Précarité, addictions, handicap, protection de l’enfance, grand âge, santé mentale… La plupart des secteurs du médico-social se sont dotés depuis une vingtaine d’années d’équipes mobiles qui, si elles sont très disparates en termes d’objectifs et de fonctionnement, reposent toutes sur trois piliers incontournables : pluridisciplinarité, spécialisation sur un public cible et déploiement hors les murs. Confortées par le décret n° 2021-1170 du 9 septembre 2021 qui entérine officiellement cette pratique de « l’aller vers », appliquée depuis longtemps par la prévention spécialisée, mais aussi par la mesure 27 du Ségur de la santé s’intéressant en particulier à la lutte contre les inégalités, ces dispositifs ne cessent de fleurir dans les métropoles comme en milieu rural. En appui d’un établissement accueillant des usagers ou en solo. Sous forme de maraudes ou d’équipes mobiles d’intervention.
Les premières se définissent par une déambulation aléatoire dans l’espace public, quand les secondes viennent davantage en soutien des professionnels au sein des structures ou au domicile des personnes concernées. Les unes sont plus informelles et arpentent le bitume. Les autres suivent un cahier des charges et apportent conseils et formation à la demande des travailleurs sociaux, de l’Education nationale ou des familles. Ces deux catégories recouvrent l’ensemble du spectre des équipes mobiles. Une sorte de fourmilière de « bataillons » du social, à pied ou en voiture, aussi variées que complémentaires. Loin d’en dresser une liste exhaustive, il s’agit de décrypter leurs pratiques de terrain, les profils qui les composent et les qualités requises pour y évoluer avec bonheur.
Les 4 compétences pour réussir son équipe mobile
1. Savoir s’adapter
Consommateur de drogues, majeur et en situation de précarité, le public visé par l’équipe mobile parisienne du Caarud EGO, dépendant de l’association Aurore, est à la fois urbain et itinérant. Cette maraude de réduction des risques, composée dans l’idéal de six travailleurs sociaux – dont une majorité d’éducateurs spécialisés – d’un infirmier, d’une coordinatrice et d’un chef de service, pratique elle-même un nomadisme très souple. Si certains quartiers restent incontournables, Stalingrad, porte de la Chapelle, la Goutte-d’Or, ils explorent souvent d’autres arrondissements de Paris en fonction des lieux de rassemblements révélés par le bouche à oreille. « Nous avons un planning de rues et de sites défini en amont, mais nous sommes à l’écoute de ce que nous disent les uns et les autres, explique la directrice Dorothée Piérard. Si on entend untel parler d’un nouveau lieu de rassemblement, à nous de nous adapter aux gens que l’on rencontre. » Adossé à un centre d’accueil et à un comptoir de mise à disposition de matériel stérile et d’échanges de seringues (Step), cet accompagnement médico-social de rue, la plupart du temps en binômes, se veut le moins intrusif possible. « Une impasse ou un carton, c’est déjà chez quelqu’un. Alors avant même d’orienter, il s’agit de créer le lien, là où les personnes se trouvent. Même si c’est sur le trottoir. »
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Cette capacité à épouser toutes les situations, à ne pas rester figé dans des pratiques sclérosantes, fait également partie de l’ADN d’un dispositif comme celui de l’équipe mobile autisme Adapei 63 (Puy-de-Dôme). Mandatée par le Centre ressources autisme du département, elle intervient dans un délai d’un mois auprès de personnes ayant un diagnostic TSA (aide à la structuration de la journée, aménagements de postes dans le milieu professionnel) et de leurs aidants familiaux mais aussi au sein d’établissements sociaux et médico-sociaux. « Notre mission est de venir en appui et en soutien des travailleurs médico-sociaux, où nous jouons un rôle de ressources et mettons en place des outils », précise Bruno Ribière, manager proximité de l’équipe mobile. Il s’agit ainsi d’éviter les ruptures de parcours au sein des établissements, d’aider à structurer l’environnement ou encore à faire monter en compétences les équipes sur la prise en compte des comportements-défis des résidents, comme des crises de colère ou des angoisses paralysantes. « Nous apportons un regard neuf, plus neutre, dans une structure, reprend Bruno Ribière. Le fait d’être à la fois dedans et dehors nous donne une souplesse et une adaptabilité intéressantes. »
2. Favoriser la créativité
Maraudes ou équipes mobiles, ces dispositifs en milieu ouvert partagent une grande latitude pour organiser leur temps. Une autonomie voulue par la majorité de leurs chefs de service qui, justement, les recrutent pour leur capacité à prendre des initiatives. « Il n’y a pas de plannings préétablis et je ne vais pas dire aux travailleurs sociaux qu’ils doivent organiser telle rencontre à tel endroit et à tel moment », estime Martin Legendre qui coordonne aussi une équipe mobile autisme destinée au double public adulte et enfant en Auvergne Rhône-Alpes. « Chaque professionnel invente sa propre manière d’intervenir. Cette même créativité, nous essayons de la distiller auprès des personnes TSA. Il y a toujours le risque qu’une certaine rigidité s’installe et nous sommes très soucieux de prévenir des règles trop strictes qui peuvent rassurer mais aussi empêcher de progresser. Le changement, c’est la vie. C’est vrai pour les personnes autistes et c’est vrai pour nous, les professionnels », précise-t-il.
Cette liberté dans la gestion de son emploi du temps, dans le choix de son approche auprès d’une personne vulnérable ou d’un bénéficiaire hisse la singularité au rang de compétence. Outre la trousse à outils classique de l’éducateur ou de l’assistant de service social, le professionnel en équipe mobile peut parfois puiser dans des ressources plus personnelles. L’équipe du Un chez-soi d’abord de la Métropole de Lyon tisse, par exemple, des liens bien particuliers avec les anciens sans-abri ayant des troubles psychiatriques sévères qui vivent désormais dans leur appartement autonome.
L’horizontalité des relations entre les membres de l’équipe se retrouve également dans un certain refus de conserver la « sacro-sainte » distance professionnelle. Les uns et les autres la recalculent jour après jour, quitte à assumer d’avoir une très grande proximité avec les personnes accompagnées. « Nous posons bien sûr aussi des limites quand c’est nécessaire, tempère la coordinatrice Marion Orcet. Mais nous jouons sans arrêt avec le cadre pour faire du sur-mesure. »
3. Travailler en partenariat
La coordination est centrale, tant au sein même de l’équipe mobile que vis-à-vis des autres acteurs médico-sociaux ou issus du milieu ordinaire participant à l’étayage d’un usager. Le travail partenarial est par exemple ancré dans la pratique quotidienne de l’équipe mobile sociale Aidaphi qui sillonne la ville d’Orléans : elle s’associe lors de ses maraudes, plusieurs fois par semaine, à un professionnel du CCAS (centre communal d’action sociale), à une socio-esthéticienne, à des membres de l’EMPP (équipe mobile psychiatrie précarité) ou à ceux du Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues). Tout est affaire de repérage des besoins. Les binômes de rue se créent en fonction des profils des personnes vulnérables.
Une richesse que l’on retrouve dans un autre cadre. « Nous apportons les regards croisés de différents professionnels », précise Martin Legendre qui chapeaute une équipe composée notamment d’éducatrices spécialisées, d’une psychomotricienne, d’une infirmière, d’une neuropsychologue et d’une psychologue. « On se demande en réunion ce que l’on veut aller voir et on détermine quels professionnels seront les plus judicieux pour intervenir de façon pertinente. »
Ce système collaboratif où s’enchaînent réunions, analyse de pratiques et actions en commun attire certains profils habitués à une forme de recherche-action. « Nous avons bien souvent des postulants qui ont une formation universitaire, une culture du questionnement et une envie de transmettre à des pairs », analyse Bruno Ribière responsable de l’équipe mobile autisme Adapéi 63.
4. Connaître le territoire
La connaissance quasi ethnographique des parcs, quais et cours d’immeubles est précieuse pour toucher les publics les plus éloignés de l’accompagnement médico-social. Les professionnels « sans bureau fixe » exerçant au sein des maraudes de réduction des risques ou destinées à un public très précaire jouent également un rôle d’observateur de leur environnement proche. Ils comprennent comment fonctionne un territoire, quels en sont les règles du jeu, les dangers et les potentielles ressources. Une compétence qui rejoint celle du travail en partenariat, lorsque l’équipe mobile de réduction des risques EGO participe à la coordination des maraudes parisiennes pour échanger sur des situations préoccupantes et se répartir les zones d’intervention.
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A Orléans, l’équipe mobile sociale est ainsi aux premières loges pour analyser les transformations du secteur. « Depuis le Covid, faute de places, les CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale] sont pratiquement réservés aux femmes seules ou avec enfants, précise Thierry Gheeraert, directeur urgence et insertion du Loiret pour l’association Aidaphi. Nous nous adressons donc surtout à un public masculin, celui de la “cloche”, à la rue depuis déjà longtemps. Notre ancrage local nous permet de savoir quand et où il est opportun de se déployer. Par exemple, au moment des repas, on sait que les gens seront à l’accueil de jour Le relais orléanais et que ce n’est pas la peine d’aller au centre-ville, il n’y aura personne. »
Les trois écueils à éviter
1. Se prendre pour un « super-héros »
« Les travailleurs sociaux de la maraude sont tous très aguerris, reconnaît Thierry Gheerart. Ils aiment le terrain et son adrénaline. Mais cet engagement, y compris physique, peut parfois faire un peu disjoncter. Il faut remettre un peu d’humilité là-dedans. A force d’avoir autant de liberté d’action, certains ont l’impression d’être les meilleurs. Ce n’est pas le cas dans mon équipe, mais j’en ai connu qui devenaient autocentrés, et n’avaient plus comme horizon qu’eux-mêmes, leur véhicule et leur thermos de café. »
2. Ne pas savoir gérer sa frustration
« Notre équipe mobile autisme vient étayer une personne et son environnement, explique Martin Legendre, chef de service. On va dans des crèches, des écoles, à domicile, au travail, dans des centres de formation… C’est très riche, mais cela peut créer une frustration pour le travailleur social, parce qu’on fait de l’intervention et pas de l’accompagnement. Normalement, vous exercez ce métier pour accompagner les personnes dans leur quotidien. Beaucoup de professionnels sont partis en me disant que ce n’était pas leur cœur de métier. A l’inverse, d’autres adorent ce changement permanent de milieux et de publics. »
3. Ne pas prioriser peut mener à l’épuisement
L’expérience de ce responsable en Haute-Loire permet de mettre en garde contre le risque de burn-out. « Quand je suis arrivé en 2020, l’équipe mobile autisme était beaucoup moins conséquente et s’autogérait, poursuit Martin Legendre. Il n’y avait pas de chef de service et plus aucune limite en termes de rythme de travail. Même si ça partait d’une bonne volonté, les professionnelles n’y arrivaient plus. Elles étaient épuisées parce qu’elles couraient dans tous les sens et multipliaient les interventions alors qu’elles étaient en sous-effectif. J’ai été obligé de leur demander de respecter la file active et de se fixer des priorités. »