Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs l’ont martelé depuis 2017, le plein emploi à l’horizon 2027 est un objectif atteignable. Ce fut même la principale boussole des différentes réformes sociales qui se sont empilées depuis son entrée à l’Elysée : formation professionnelle et apprentissage (2017), assurance chômage (2019 et 2021) – dont une nouvelle étape dans le durcissement des conditions d’indemnisation reste toujours fixée au 1er décembre prochain –, taxation du recours excessif aux contrats courts, marché du travail (qui facilite notamment le recours à la VAE [validation des acquis de l'expérience] dans les métiers du travail social)...
Sans oublier France travail qui consacre son volet principal au retour à l’emploi des allocataires du RSA (revenu de solidarité active), via un « accompagnement renforcé » d’une quinzaine d’heures hebdomadaires et dont la généralisation est attendue au 1er janvier prochain.
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Résultat : les bons chiffres en valeur absolue s’alignent sur le front de l’emploi. Avec un taux de chômage global de 6,9 %, l’objectif du plein emploi apparaît désormais presque accessible à la date fixée. Il est déjà atteint sur l’emploi cadre, où le niveau de chômage oscille entre 3,5 % et 4 %. Et même l’horizon des seniors semble se dégager avec un taux d’emploi qui atteignait les 58,4 % en 2023, selon une étude de la Dares publiée mi-septembre 2024.
Du jamais vu depuis 1975. Sauf qu’à y regarder de plus près, la situation apparaît moins idyllique.
"L'illusion du plein emploi"
Pour l’association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC), il y a même de quoi tirer la sonnette d’alarme : « Cette évolution de l’emploi n’a pas entraîné une baisse de la précarité. Au contraire, sur certains aspects, celle-ci s’est aggravée », avertit sa présidente dans un plaidoyer publié le 19 septembre.
Car avec la possibilité d’un retournement de conjoncture qui verrait le chômage repartir à la hausse, les dernières réformes de l’assurance chômage qui ont affaibli la protection des demandeurs d’emploi et les objectifs essentiellement quantitatifs fixés au service public de l’emploi risquent d’entraîner une précarisation accrue des chômeurs. « On compte plus de personnes en emploi, mais en même temps, plus de chômage de longue durée. Ce phénomène n’est pas propre à la France. En Europe, les marchés du travail offrent de plus en plus d’emplois précaires », prévient l’association. Avec, in fine, le risque d’une « illusion de plein emploi » où les chiffres de l’activité cacheraient une réalité de sous-emploi, voire d’emploi forcé, un peu sur le modèle de ce qu’ont connu l’Allemagne avec les lois Hartz IV de 2003-2005 ou le Royaume-Uni plus récemment et l’extension des « contrats zéro heure ».
Seniors et auto-entrepreneurs : populations à risques
Cette perspective inquiète suffisamment pour que son plaidoyer soit appuyé sur un plan d’action comprenant des pistes visant un retour à l’emploi stable. Avec comme priorité identifiée un changement d’indicateurs de la mesure du taux d’emploi qui écarterait du décompte les auto-entrepreneurs générant un chiffre d’affaires inférieur à un Smic mensuel, les salariés en contrat de travail inférieur à 6 mois – intérim ou CDD – ou les travailleurs en temps partiel subi. Un nouveau système de comptage qui présenterait la vertu de calculer avec précision « la part de la population mobilisée par une activité professionnelle qui ne place pas son titulaire dans une situation de précarité ».
Deux populations à risques sont particulièrement ciblées par les préconisations de SNC : les seniors et les auto-entrepreneurs.
Pour les premiers, à qui le relèvement de l’âge de départ à la retraite fait courir un risque accru de maintien dans un chômage de longue durée, il y a urgence, estime l’association, à développer une prise en charge des carrières longues et des conditions de départ à la retraite anticipée. Via un aménagement des fins de carrière qui pourrait passer par la mise en place de systèmes de temps partiel, un accès à la formation facilité pour favoriser les reconversions ou encore une mobilisation des comptes épargne-temps (CET) afin d’anticiper les départs anticipés en fonction de la pénibilité de l’emploi exercé.
Autrement dit : des réflexions que plusieurs organisations syndicales – CFDT en tête – avaient proposé d’aborder en parallèle de la réforme des retraites engagée par Elisabeth Borne. Mais que le gouvernement avait choisi de renvoyer à une négociation entre partenaires sociaux ultérieure… dont la date n’a pas encore été déterminée.
Concernant les auto-entrepreneurs, dont le recours est parfois privilégié par certains employeurs, SNC demande la transposition rapide en droit français de la directive européenne relative aux travailleurs des plateformes afin de garantir à ces derniers un socle de droits minimal qui permettrait de sécuriser leurs conditions d’emploi.
De fait, force est de constater que si les chiffres du chômage demeurent bas, ils ont tendance à légèrement remonter depuis 2022. Et ce alors que, dans le même temps, le nombre de créations d’emplois et d’emplois déclarés vacants par les entreprises diminue.
En outre, on recensait en mars près de 1,8 million de personnes inactives échappant au scope de France travail. Soit parce qu’elles n’y étaient pas inscrites, soit parce qu’elles ne se déclaraient pas immédiatement disponibles sur le marché du travail. Dernière possibilité, elles n'étaient pas en recherche active d’emploi. En janvier dernier, Pôle emploi devenu France travail a entamé sa nouvelle existence avec 5,4 millions d’inscrits dans ses trois catégories : l’arrivée de plus d’un million de bénéficiaires du RSA le premier janvier prochain risque d’alourdir encore la statistique.
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A quoi s’ajoute tout le non-dit autour de la dynamique de l’emploi, portée en partie par des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, la propreté, le soin (aides-soignants) ou les services à la personne (aides à domicile) qui multiplient les offres de contrats à durée limitée, en intérim, voire assurés par des travailleurs « indépendants » au statut d’auto-entrepreneurs, posant ainsi la question de la qualité des emplois créés et des conditions de vie et de travail.
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