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Intérim : un mal nécessaire ?

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L’Uniopss avait lancé une grande consultation à l’été 2022 auprès des services de l’hébergement et de la protection de l’enfance: elle révélait que près de 40 % des structures sondées avaient eu recours à l’intérim pour compléter leurs effectifs.

Crédit photo vegefox.com - stock.adobe.com
[MANAGEMENT] Les alertes contre le recours au travail temporaire dans le secteur social se multiplient. Pourtant, confrontés à une pénurie de candidats qui a empiré depuis la crise sanitaire, les employeurs n’ont pas toujours d’autre choix que de recourir aux intérimaires pour remplir leurs organigrammes, en dépit des surcoûts financiers et de l’amoindrissement de la qualité des services que cela entraîne.

Hier, on ne les appelait que pour remplacer les salariés partis en congés. Aujourd’hui, ils se sont mués en béquilles sans lesquelles certains services et établissements ne pourraient tout simplement plus fonctionner. En quelques années, les intérimaires sont devenus « la traduction des tensions sur l’emploi que rencontrent nos secteurs », résume Emmanuel Sys, directeur général du Groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du Val-de-Marne et président de la Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH).

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Qu’ils soient infirmiers, aides-soignants, éducateurs spécialisés, accompagnants socio-éducatifs, conseillers en économie sociale et familiale ou professionnels du grand âge, de la petite enfance ou du handicap, les travailleurs temporaires occupent désormais les postes non pourvus faute de candidats. Pas forcément à leur détriment, d’ailleurs. En période pénurique, il peut être financièrement plus rentable de choisir l’intérim plutôt que le contrat à durée indéterminée (CDI). « Sur certains postes d’infirmiers ou d’aides-soignants en Ehpad, la rémunération peut se négocier à 20 % ou 50 % au-dessus du salaire habituel », calcule Emmanuel Sys. Et la prime de précarité que doit verser l’employeur en fin de mission n’explique pas à elle seule cette flambée des prix. Les carences en main-d’œuvre que subissent les employeurs du travail social incitent les candidats à faire monter les enchères.

« Comportement de mercenaires »

Mais forcément, dans des secteurs comme le grand âge, la petite enfance ou le handicap, où le niveau d’investissement attendu des collaborateurs est particulièrement élevé, ce genre d’état d’esprit agace : « Un nombre grandissant de jeunes diplômés ne croient plus au travail collectif. Le hiatus entre ce qu’ils ont appris durant leurs études et les pratiques au quotidien est tel qu’ils se désengagent progressivement. Confrontés au cynisme du modèle de soin et d’accompagnement français, mal considéré et sous-financé, ils perdent le sens du métier et se retrouvent à pratiquer une forme de “tourisme professionnel” en multipliant les employeurs plutôt que se fixer en CDI », déplore Pascal Champvert, fondateur et ancien président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Des « comportements de mercenaires », selon les termes d’un cadre dirigeant de la Haute Autorité de santé (HAS), qui répondent aussi en partie aux aspirations d’une jeune génération qui perçoit dans ce nouveau mode de travail un attrait rémunérateur supplémentaire, mais aussi un moyen de mieux équilibrer ses temps de vie et de préserver sa santé mentale face à des situations d’exercice parfois pesantes.

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Faute de données centralisées, difficile toutefois de savoir combien pèsent ces « nomades » dans les effectifs du travail social. Selon une enquête de la Dares (service des statistiques du ministère du Travail) datée de septembre 2023, la part des intérimaires dans les hôpitaux s’établissait à 0,3 % dans le public et à 0,8 % dans le privé. Des taux relativement faibles si on les compare à ceux du recours au travail temporaire dans le tertiaire global (1,7 %), mais néanmoins en nette progression depuis 2017. A l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres privées sanitaires et sociales), une grande consultation réalisée à l’été 2022 auprès des services de l’hébergement et de la protection de l’enfance révélait que près de 40 % des structures sondées avaient eu recours à l’intérim pour compléter leurs effectifs (pour un total de 11 000 heures de travail). Au sein du groupe Avec, qui gère une quinzaine d’Ehpad et de services d’aide à domicile en France, on estime à 1 – voire 1,5 – le nombre d’infirmiers manquants dans les équipes de chaque établissement (où l’on en compte 3 à 5 habituellement) qu’il faut bien remplacer pour assurer l’accompagnement des résidents.

Si les statistiques manquent, les alertes sur la situation, elles, sont nombreuses. Dont certaines antérieures à la crise Covid parfois abusivement désignée comme point de départ d’une tendance de fond qu’elle a néanmoins accélérée. Du rapport « El Khomri » sur la mobilisation des efforts en faveur des métiers du grand âge de 2019 au Livre blanc du travail social du Haut Conseil du travail social (HCTS) de décembre 2023, en passant par l’ensemble des tableaux de bord des tensions des ressources humaines réalisés par les différentes associations et fédérations professionnelles, le poids croissant des intérimaires au sein des équipes est régulièrement pointé du doigt. S’il traduit la perte d’attractivité des métiers dans les secteurs du lien et de l’accompagnement, ce besoin ponctuel de personnel pèse également lourd sur les budgets.

Des surcoûts non compensés

« Ce sont des dépenses qui peuvent difficilement être anticipées par les employeurs associatifs. En outre, elles ne figurent pas dans les budgets sur la même ligne comptable que la masse salariale. Elles ne sont donc pas prises en compte par les financeurs dans leur dialogue de gestion avec les associations… », explique Isabelle Léomant, conseillère technique à l’Uniopss. Invisibilisés par ces artifices comptables, les surcoûts liés à l’intérim passent donc sous le radar et demeurent le plus souvent à la seule charge des employeurs qui doivent piocher dans leur propre trésorerie, menaçant ainsi la qualité et la pérennité des services rendus. Quand ce n’est tout simplement pas la survie des établissements qui est en jeu.

La dégradation des prestations, c’est justement l’autre critique récurrente sur l’emploi trop fréquent de personnel vacataire. Mi-mai, le quotidien Ouest-France faisait état des « dysfonctionnements graves » survenus à la protection de l’enfance en danger de Nantes où ses services avaient été largement sous-traités à une agence d’intérim spécialisée. Sans atteindre ce niveau de gravité, d’autres employeurs déplorent avec régularité un manque d’implication de la part de leurs intérimaires, lorsque ce n’est pas une méconnaissance des procédures, voire une insuffisance professionnelle.

Un business rentable

C’est un fait : au vu des besoins de main-d’œuvre, le secteur du « care » est devenu un business rentable et plusieurs acteurs du travail temporaire – Domino Care, Adecco Medical, Vitalis Medical… – se sont spécialisés sans forcément s’assurer de la conformité des compétences des travailleurs avec les besoins des employeurs ou des bénéficiaires. « J’ignore tout de la formation continue dont bénéficient les intérimaires auxquels nous faisons appel », confesse Sandra Staudt, directrice opérations et des Ehpad du groupe Avec. Cependant, avec des établissements implantés à quelques kilomètres des frontières luxembourgeoises et suisses où les résidences senior locales n’hésitent pas à attirer les professionnels français avec des salaires attrayants, on fait avec les moyens du bord. Particulièrement, en ouvrant largement les heures supplémentaires aux personnels déjà en place pour garantir la continuité du service.

Les alternatives à l’intérim

« L’intérim est un pis-aller, pas une solution satisfaisante », synthétise Pascal Champvert. Alors partout, le secteur planche sur des solutions alternatives pour rendre son usage plus conforme aux besoins ou pour s’en passer. En Occitanie, huit associations employeuses se sont associées en 2016 pour fonder Coopemploi, une agence d’intérim spécialisée dans le travail social afin de s’assurer que les professionnels envoyés dans les établissements de la région disposent des niveaux de certification et de formation suffisants. Le groupement comprend aujourd’hui quatre agences (à Toulouse, Tarbes, Perpignan et Albi), compte 300 établissements dans son réseau et travaille avec plus de 5 000 intérimaires.

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Au sein de l’Anmecs (Association nationale des maisons d’enfants à caractère social), où l’on se refuse absolument à recourir à du personnel intérimaire, on mobilise le réseau : « Nous faisons appel à d’anciens professionnels partis en bon terme de nos structures en leur proposant des contrats courts. Nous recrutons aussi des stagiaires qui ont démontré, lors de leurs stages, un engagement, une réflexion, une maturité suffisante pour assurer des temps d’encadrement de nos jeunes », détaille Arnaud Durieux, le vice-président de l’association.

La formation et la montée en qualification des personnels « maison » constituent aussi des leviers pour améliorer leur promotion sociale et leur rémunération. Au GCSMS des Ehpad du Val-de-Marne, qui compte environ 150 salariés, 7 à 10 aides-soignants partent chaque année en formation d’infirmiers. Un cycle complet de trois ans qui n’est pas sans créer une certaine désorganisation dans les équipes. « C’est difficile dans les petits établissements. Il faut parfois se montrer acrobatique », conclut Emmanuel Sys.


Paroles de pros

« L’intérim est un pis-aller, pas une solution satisfaisante. »

Pascal Champvert, fondateur de l’Association des directeurs au service
des personnes âgées (AD-PA)

 

« Les surcoûts entraînés par l’intérim sont des dépenses qui peuvent difficilement être anticipées par les employeurs associatifs. Ils ne figurent pas dans les budgets sur la même ligne comptable que la masse salariale et ne sont donc pas pris en compte par les financeurs. »

Isabelle Léomant, conseillère technique « accompagnements, acteurs et parcours »
à l’Uniopss


Une loi restrictive mais sans décrets d’application

La contrainte légale pour restreindre le recours à l’intérim ? C’est ce qu’instaure en partie la loi « visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels » du 27 décembre 2023. Ce texte de 38 articles, défendu par Frédéric Valletoux, actuel ministre délégué chargé de la santé et de la prévention :

  • interdit à plusieurs types d’établissements (hôpitaux, Ehpad, centres d’accueil pour handicapés, etc.) de faire appel à certains personnels intérimaires dès lors que ceux-ci ne disposent pas d’une durée d’exercice minimale dans la fonction (les étudiants, en revanche, y sont toujours éligibles) ;
  • introduit des sanctions pour les agences d’intérim qui persisteraient à flécher ces professionnels vers des établissements demandeurs malgré les restrictions. Sont concernés les médecins, infirmiers, aides-soignants, éducateurs spécialisés, assistants de service social, moniteurs-éducateurs et accompagnants éducatifs et sociaux. Les étudiants ne sont pas ciblés par cette disposition.

Seul problème : les décrets détaillant la durée d’exercice minimale nécessaire avant de pouvoir recruter un intérimaire et la nature des sanctions pour les agences fraudeuses ne sont toujours pas publiés.

 

 

 

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