La deuxième édition de la « Mêlée Nexem » – le congrès annuel des employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire privé à but non lucratif - se tient aujourd’hui et demain à Reims. Coïncidence du calendrier : c’est également demain que le conseil des ministres examine le projet de budget de l'Etat pour 2025. Alain Raoul, président de Nexem, revient pour ASH sur les grands dossiers à l’agenda de la fédération.
ASH. Avec plusieurs semaines de retard, le projet de loi de finances pour 2025 sera présenté en conseil des ministres le 9 octobre. Qu’en attendez-vous ?
Alain Raoul : Nous espérons que les orientations budgétaires de l’Etat répondent aux problématiques d’urgence que rencontrent nos secteurs. Les établissements que représente Nexem interviennent sur des champs de la cohésion sociale tels que le handicap, le grand âge, la petite enfance ou l’insertion. Et souffrent quasiment tous d’un financement insuffisant qui compromet leur capacité à répondre aux divisions de notre société.
Nous serons très attentifs aux déclarations de jeudi et nous avons travaillé sur un plaidoyer destiné à convaincre les parlementaires de déployer des moyens à la hauteur, au service de l’accompagnement de nos concitoyens les plus vulnérables.
Le paradoxe de notre secteur, c’est d’être à la fois indispensable pour la cohésion de la société et totalement invisible aux yeux des pouvoirs publics ! J’en veux pour exemple le récent accord salarial du 4 juin dernier relatif à l’application du Ségur de la santé dans nos branches, dont certains financeurs ont choisi de s’affranchir.
Quels sont les besoins financiers des établissements situés dans le périmètre de Nexem ?
Au global, pour remettre totalement le secteur à flots et compenser plusieurs années de sous-financement, l’envol de l’inflation, les surcoûts entraînés par la crise énergétique et les conséquences de la pandémie de Covid-19, une dizaine de milliards d’euros serait nécessaire. Pour les seules augmentations salariales consécutives au Ségur de la Santé, il faudrait environ un milliard.
Plusieurs départements refusent de prendre en charge le coût du Ségur. Nexem est-elle prête à aller devant les tribunaux pour contraindre les mauvais payeurs à appliquer l’accord du 4 juin?
Nous sommes face à un véritable cas d’école ! Il existe un accord signé par les partenaires sociaux, agréé et étendu par les pouvoirs publics et qui a donc force de loi. Pourtant, certains financeurs publics – départements surtout, mais aussi régions, métropoles ou agences régionales de santé - refusent de l'appliquer !
Leur argument pour motiver leur refus, c’est de prétendre avoir été mis devant le fait accompli sans avoir pu provisionner de fonds à cet effet. Mais c’est absolument faux. Ils étaient tenus au courant de l’avancée des débats tout au long de la négociation et savaient parfaitement à quoi s’en tenir.
Dans le passé, notre secteur s’est beaucoup trop laissé faire dans des circonstances similaires. Mais cette fois, c’est terminé ! Appuyé par plusieurs autres acteurs associatifs comme l’Uniopss, la FAS ou le Cnape, Nexem a décidé de faire appel au Conseil d’Etat pour que l’Etat contraigne ses agences régionales de santé à appliquer la loi.
Et si, en tant qu’organisation d’employeurs, nous ne pouvons pas directement saisir les tribunaux administratifs pour forcer les conseils départementaux réfractaires à payer, nous accompagnons et outillons nos adhérents dans leurs démarches judiciaires contre les collectivités qui refusent de payer ce qu’elles leur doivent ! Il faut harceler les départements devant les tribunaux pour les obliger à respecter le droit !
La Fehap, l’autre fédération d’employeurs membre d’Axess, vous suit-elle ?
Ils sont moins présents sur le secteur sanitaire que nous: à ce titre, cela constitue moins une préoccupation pour eux. J’aimerais qu’ils nous accompagnent sur ce sujet et que leurs adhérents aillent eux aussi au contentieux, mais je ne peux pas parler en leur nom.
De leur côté, certains syndicats exhortent les salariés lésés à recourir aux Prud’hommes contre leurs employeurs en cas de non versement du Ségur. Recensez-vous beaucoup de ces contentieux prud’homaux actuellement ?
Oui, c'est un autre paradoxe de la situation que nous vivons... Pour l’instant, en tous cas, rien ne nous remonte du terrain. C’est encore trop récent. Mais beaucoup d’employeurs du périmètre Nexem ont appliqué les revalorisations salariales contenues dans l’accord malgré l’incertitude sur leur trésorerie.
D’ailleurs, certains financeurs, comme l’assurance-maladie, ont joué le jeu. Ce sont surtout les départements qui se font tirer l’oreille.
Les syndicats affirment que les emplois aidés et contrats d’alternance doivent aussi bénéficier du Ségur alors la partie patronale les exclut. Où en êtes-vous?
Pour nous, il est clair que les contrats aidés et d’alternance ne sont pas concernés par les termes de l’accord.
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La partie patronale de la Bass (Nexem et Fehap) veut construire une nouvelle grille des rémunérations et des classifications autour de critères classants. Certains syndicats y sont opposés. Pourquoi ce choix de refonte?
Pour l’instant, la négociation se poursuit. Nous amenons nos propositions. Les syndicats apportent les leurs. Notre argument en faveur des critères classants, c’est qu’ils permettent de répondre à nos difficultés de recrutement. Pour rendre nos métiers attractifs, nous avons besoin de les inscrire dans une logique de parcours professionnel et de valorisation des compétences. Et à cette fin, nous avons besoin d’adosser les niveaux d’emploi et de rémunération à des critères objectifs qui valorisent les parcours.
Les organisations syndicales redoutent que ces critères soient attribués « à la tête du client », mais ce n’est pas du tout notre intention. Simplement, comme le révèle une étude Ifop que nous présentons aujourd’hui dans le cadre de notre Mêlée, les jeunes qui choisissent nos métiers sont désormais très attachés à l’idée que leur progression professionnelle soit récompensée. Or, sur ce point, la convention collective qui existe actuellement est très injuste. Un éducateur spécialisé en fin de carrière touchera 70% de plus qu’à son entrée dans la profession alors qu’un agent administratif, par exemple, ne peut espérer qu’une augmentation totale de 33% sur l’ensemble de sa vie professionnelle. Ce n’est pas du tout attractif.
Nous avons besoin de grilles de rémunérations qui tiennent compte de l’exercice du métier et des compétences. Il n’est pas question de remettre en cause la légitimité du diplôme ou de l’ancienneté, mais l’évolution de carrière peut être différente à diplômes égaux. Or, aujourd’hui, la grille en vigueur, qui reste l’une des dernières à appliquer encore des critères « Parodi », ne le permet pas. J’espère que sur ce point, nous parviendrons à trouver des compromis avec les syndicats.
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Avez-vous déjà rencontré Paul Christophe, nouveau ministre des Solidarités ?
Non. Nous avons sollicité un rendez-vous avec lui, mais la rencontre n’a pas encore pu se faire. C’est dommage, d’ailleurs. Nous aurions apprécié qu’il vienne à nos rencontres de Reims. C’est quelqu’un que nous savons proche de nos sujets grâce à ses prises de position passées sur le handicap ou ses anciennes fonctions de président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale: sa nomination est une bonne chose. Nous regrettons toutefois le choix du nouveau gouvernement d’avoir disloqué le Santé et les Solidarités au sein de ministères différents là où dans l’ancien, ces portefeuilles étaient rassemblés au sein d’un seul. Cela avait le mérite de permettre une organisation systémique embrassant l’ensemble du champ des vulnérabilités. Désormais, on cloisonne à nouveau les politiques publiques. C’est dommage.
Au-delà des PLF et PLFSS, qu’attendez-vous du gouvernement ?
Notre secteur a besoin d’une grande loi de programmation sur les solidarités qui inscrive ce sujet dans le temps long et qui puisse nous permettre d’envisager cette question sous l’angle à la fois économique et social. Il y a urgence : le secteur ne peut plus attendre !
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