La découverte peut parfois être fortuite. Cherchez l’adresse d’un établissement ou service social ou médico-social sur Google, et vous découvrirez que votre structure peut être notée et commentée. Comme les restaurants, les hôtels ou les médecins. Les avis laissés par les internautes ne seront pas forcément nombreux. Difficile, malgré tout, d’y rester indifférent, surtout s’ils sont négatifs. « C’est une question d’image mais aussi d’amour-propre, d’estime de soi », souligne une cadre d’une structure gestionnaire de foyers de jeunes travailleurs, qui voit passer des commentaires sur l’état de certaines résidences.
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Sur Google, une recherche rapide en ligne, en région parisienne, montre que certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) cumulent plus de 70 avis, voire plus pour certains services à domicile. Plus épargné, le champ du handicap fait parfois l’objet de commentaires isolés, venant des familles ou des bénéficiaires. Sur les fiches de certains foyers dans la protection de l’enfance, il n’est pas rare que des « anciens » se manifestent. Les services d’action éducative en milieu ouvert prêtent souvent le flanc aux critiques de parents en colère. Des services tutélaires peuvent être très mal notés, dénoncés par des proches de personnes en tutelle ou curatelle. L’image offerte par ces quelques commentaires peut être, selon les cas et profils d’institutions, valorisante ou, à l’inverse, très négative pour les équipes concernées. On y retrouve aussi les échos de l’actualité quand certains internautes n’hésitent pas à rappeler des scandales portés dans les médias.
Une question d’image… voire d’accessibilité
Les services de communication se sentent particulièrement concernés par l’e-réputation de leurs établissements ou services. « L’identité numérique est aussi importante que le bouche à oreille », clame Carmel Rinaldi Serrié, directrice de la communication d’Arpavie. Recevant environ deux avis par semaine, elle compte près de 1 500 avis ciblant les Ehpad de ce groupe associatif. Elle remercie systématiquement ceux qui sont positifs et enquête en cas de note égale ou inférieure à trois étoiles, afin de vérifier l’authenticité du message, d’identifier le problème et apporter la bonne réponse. Objectif : défendre l’image de la marque. La tentation peut être forte en cas de concurrence avec le secteur privé, y compris dans le grand âge. « Sur les secteurs ruraux, nous ne manquons pas de salariés et devons aller chercher les bénéficiaires », explique Solène Job, responsable communication de l’Adar 44, un service d’aide à domicile en Loire-Atlantique.
Fiche sur Google
Néanmoins, des secteurs moins exposés voient eux aussi leur intérêt à soigner leur présence en ligne, ne serait-ce qu’en répondant à la poignée de commentaires. « La e-reputation est importante pour l’accessibilité de nos services. Notre projet associatif est d’être les plus ouverts possibles à des personnes qui n’ont pas reçu de notification de la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] », explique Edeline Delanaud, responsable du service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) Les Trois Rivières à Stains (Seine-Saint-Denis). « On sait que notre fiche sur Google est consultée », souligne Laurine Dugas, chargée de communication et des partenariats entreprises à Belle Alliance, une structure publique qui compte un établissement et service de réadaptation professionnelle (ESRP), ainsi qu’un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) à Groslay (Val-d’Oise). Encourager les travailleurs en situation de handicap à témoigner de leur formation donne l’opportunité de « favoriser un lien de confiance », en encourageant ceux qui aimeraient sauter le pas.
Un outil de travail
Vecteur d’image voire d’informations pour le public, le suivi et même la sollicitation d’avis sur Internet peuvent aussi se justifier pour des raisons professionnelles. Au sein de l’association d’aide à domicile Adar 44, leur suivi a permis, par exemple, de travailler à un meilleur accueil téléphonique des demandes de prises en charge à domicile, désormais gérées par le siège et non en agence. Le traitement des commentaires, ajoute sa responsable qualité Véronique Godet, fait partie des nouveaux standards à respecter dans le cadre de la norme NF Service, même si cette certification, qui date de 2014, ne le mentionne pas explicitement. « Nous avons l’obligation de traiter l’ensemble des réclamations que l’on reçoit. On considère les avis sur Internet comme des réclamations écrites », souligne-t-elle.
Outil professionnel
Admettre qu’un usager puisse s’exprimer sur Internet, quel que soit son avis, est une question de principe, selon Edeline Delanaud. « On sait que dans le handicap, il y a un énorme boulot pour lutter contre la maltraitance. Notre projet de service nous amène à encourager les personnes à exposer leurs problèmes. Tout circuit est bon pour dire quand quelque chose ne va pas », indique la responsable. Tout commentaire, positif, négatif ou même infondé, doit donc être considéré de la même manière. « En répondant, on remet un peu d’humanité en ligne, et on donne à voir qu’on est très présents auprès des personnes que l’on accompagne », précise la professionnelle.
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Sans institution qui fait office de tampon, les travailleurs sociaux exerçant en libéral s’intéressent eux aussi aux avis, ne serait-ce que pour développer leur activité au-delà du bouche à oreille. C’est aussi un outil professionnel. « Les avis donnent un retour direct sur la qualité du travail», clame Yann Schraauwers, président du réseau Humacitia, qui prépare des travailleurs sociaux à l’activité en indépendant. Lui-même incite, en fin d’accompagnement, à laisser un avis – positif ou négatif – sur son travail. « Les avis permettent de repérer ce qui a été apprécié et donc de mieux répondre aux attentes. Cela peut être la disponibilité, le temps consacré, la rapidité, et parfois le prix », indique-t-il. Ce professionnel invite à ne pas craindre cette expression en ligne. « En dix ans, je n’ai eu qu’un seul avis négatif », explique celui qui cumule 170 commentaires.
Quelle authenticité ?
On en arrive à ce constat récurrent, fait par plusieurs interlocuteurs interrogés : encourager son public à laisser un avis tourne souvent à l’avantage de l’institution ou du service concernés. Arpavie revendique 90 % d’avis positifs sur ses 128 résidences. « Les critiques ont d’abord tendance à s’exprimer par téléphone car elles visent à résoudre une problématique. En ligne, on va trouver davantage d’avis positifs. Selon les objectifs, les bénéficiaires ou leurs proches ne vont pas employer le même canal », analyse Laurence Godet, de l’Adar 44. Dans des secteurs parfois exposés au « bashing », ce recueil d’expériences positives fait du bien. A l’instar des « likes » des réseaux sociaux, les services de communication ou les directions ne se privent donc pas de transmettre les compliments reçus. L’avis se transforme alors en moyen de reconnaissance. « C’est comme un cadeau. Cela donne du sens aux équipes, à l’heure où l’on parle beaucoup des crèches dans les médias », convient Claudia Kespy-Yahi, fondatrice de Cap enfants, un réseau de crèches privées implantées dans les Hauts-de-Seine, l’Essonne et le Val-d’Oise.
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Pour pousser le public à s’exprimer en ligne, il existe différentes méthodes, plus ou moins structurées. « Le contact favorise les avis », estime Claudia Kespy-Yahi, après avoir constaté que les rencontres organisées régulièrement avec les parents pouvaient susciter des avis « spontanés ». La pratique n’en est pas moins encouragée oralement, à cette occasion comme à d’autres, en particulier à l’entrée et à la sortie de crèche. Certains Ehpad font connaître, par affiche, la possibilité de laisser un avis sur Internet. Il est également possible de lancer des campagnes d’emailing en suggérant de laisser un commentaire à l’issue d’une enquête de satisfaction. Jusqu’où aller, et à partir de quand verse-t-on dans le maquillage de la réputation ? A chacun son curseur. « On fait attention aux avis, mais on n’incite pas à en donner », tranche Carmel Rinaldi Serrié. Tant par souci d’authenticité que pour s’épargner une course aux avis sans fin, coûteuse en temps de réponse, et donc en moyens…
Le grand âge en première ligne
Wedoxa, Aviseniors, PapyHappy, Mazette, VivreenEhpad… Dans le secteur du grand âge, des services d’avis en ligne se sont développés, répondant au besoin d’information du public. « Notre objectif, c’est de donner l’image la plus réaliste possible des résidences », explique Joachim Tavares, fondateur du comparateur PapyHappy, qui recense 3 400 Ehpad avec au moins un avis. L’entreprise authentifie et modère les avis laissés sur le site, affiche également ceux d’autres « collecteurs d’avis » comme Wedoxa et Aviseniors, et propose divers services, tant aux particuliers ayant besoin de conseils qu’aux établissements en quête de maîtrise de leur e-reputation. A noter que l’ensemble de ces sites s’inscrivent dans un cadre légal strict. Est considéré comme pratique commerciale trompeuse le fait d’affirmer l’authenticité des avis sans avoir pris les mesures nécessaires pour le vérifier, mais aussi de diffuser, ou faire diffuser par un tiers, des faux avis, de modifier des avis de consommateurs ou de promouvoir des produits. Un sujet surveillé par la répression des fraudes (la DGCCRF), qui nous indique n’avoir eu, à ce jour, « aucune suite sur d’éventuels avis frauduleux » dans le secteur des Ehpad, « sous étroite surveillance ».