ASH : Le 16 octobre dernier, le gouvernement Borne enjoignait aux branches de négocier sur les salaires et les grilles de classifications. Six mois plus tard, quel est l’état de la situation dans l’ESS ?
Hugues Vidor : Il n’y a pas eu beaucoup d’avancées. Beaucoup de nos branches dépendent des dotations publiques pour réviser les rémunérations à la hausse et, comme nous l’avions indiqué au gouvernement à l’occasion de la conférence sociale, nous demandons toujours une inflexion importante des politiques publiques sur ce plan. Or, pour l’instant, celle-ci ne vient pas. Une révision générale des salaires dans les secteurs de l’éducation populaire, de la petite enfance, du médico-social et de l’aide à domicile exigerait le déblocage d’une enveloppe de 4 milliards d’euros de la part de l’Etat, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. En octobre, par exemple, les employeurs de l’aide à domicile avaient sollicité la création d’un fonds d’urgence de 400 millions sur deux ans afin de permettre à leurs structures de compenser l’inflation et les augmentations du coût de la vie qui touchent leurs salariés, mais il n’a été obtenu que 100 millions, ce qui est très insuffisant pour combler les besoins.
En outre, certaines collectivités départementales persistent à ignorer les accords signés et refusent toujours d’accorder aux employeurs de nos branches les dotations nécessaires pour compenser les augmentations salariales négociées. Les Hauts-de-Seine, les Yvelines et Mayotte par exemple n’appliquent toujours pas l’avenant 43 de la convention collective de l’aide à domicile qui prévoit une revalorisation salariale de 18 %. Ailleurs, certains départements choisissent de ne pas verser en intégralité la dotation de 3 € de l’heure destinée à améliorer la qualité de l’offre de service en matière d’aide et de soins à domicile, alors même que cette dernière est inscrite au PLFSS 2023 et que c’est la CNSA qui paye !
Dans ce contexte, comment les employeurs de l’ESS ont-ils accueilli les récentes annonces de Gabriel Attal sur la bascule des bénéficiaires de l’ASS vers le RSA ?
Elles nous inquiètent fortement. Cette bascule devrait coûter 2,1 milliards aux collectivités selon Départements de France. Ce qui aura pour conséquence de réduire d’autant leur capacité d’accompagnement financier de nos structures. François Sauvadet, président de Départements de France, a même récemment alerté sur le fait que dans ces conditions, quinze collectivités départementales ne seraient plus du tout en mesure d’assurer leurs dépenses sociales. Ce serait catastrophique.
Partagez-vous la déception des partenaires sociaux de la branche associative, sanitaire, sociale et médico-sociale (BASS) au sortir de la conférence salariale du 28 février dernier ?
Je la comprends. A l’Udes, nous demandions que l’Etat fixe un taux directeur d’évolution salariale pour l’ensemble du secteur afin de pouvoir aligner l’augmentation des rémunérations sur le niveau de l’inflation et ainsi permettre aux salariés de la branche d’éviter de tomber dans la précarité. Mais cette demande est restée sans réponse et, faute de taux directeur, les grilles de classification existantes ont tendance à maintenir un certain nombre de niveaux de rémunérations juste au-dessus du niveau du SMIC, constituant ainsi autant de trappes à bas-salaires. Pour sortir du brouillard, nous aimerions que la DGCS nous associe à ses travaux sur la prochaine conférence salariale de la branche.
Que pensez-vous de l’injonction faite aux partenaires sociaux de la BASS de retourner en négociation pour plancher sur une convention collective unique ?
C’est ce qu’avait proposé la fédération Nexem, qui fait partie de nos adhérents, pour sortir de la crise et permettre aux « oubliés du Ségur » de bénéficier de la revalorisation salariale à laquelle ils n’ont pas eu droit. Le problème, c’est qu’actuellement il est difficile d’établir un comptage précis de ces « oubliés ». Nexem estime leur nombre à 92 400 environ et l’Etat n’a pas la même approche.
Début 2024, l’Udes et quatre organisations syndicales ont signé un document commun incitant les employeurs de la branche à mettre en place des outils de partage de la valeur (primes, accords d’intéressement...). Où en êtes-vous aujourd’hui ?
L’objectif que poursuit cette déclaration commune, c’est surtout de développer une culture autour du partage de la valeur dans nos structures employeuses qui le connaissent mal et le pratiquent peu, même si certaines branches, comme la BASS ou Alisfa (centres sociaux), ont déjà commencé à déployer des outils en ce sens. D’ailleurs, lors du débat parlementaire sur la loi « partage de la valeur » de 2023, nous étions intervenus auprès du gouvernement afin que les dispositions du texte s’appliquent également à l’ESS, ce que nous avons obtenu ! Car dès lors que l’on a rappelé, comme nous l’avons fait dans notre déclaration commune, que ces mécanismes de partage de la valeur n’ont pas vocation à se substituer aux salaires, il existe des choses intéressantes à faire et certains mécanismes, comme l’intéressement, sont plutôt bien adaptés à des structures associatives ou à vocation non lucrative. Il existe encore toutefois des écueils administratifs à lever dans certains secteurs. Par exemple, dans le médico-social, certaines agences régionales de santé (ARS) exigent que les associations qu’elles financent leur restituent leurs excédents annuels. C’est évidemment un frein à toute redistribution de la valeur aux salariés de ces employeurs associatifs. Nous avons interpellé la DGCS sur ce sujet. Il n’est pas normal que les salariés de nos structures soient ainsi exclus des mécanismes de partage de la valeur lorsque ceux-ci sont possibles. L’autre mesure qui serait de nature à favoriser la mise en place de ces dispositifs dans nos branches pourrait prendre la forme d’une incitation fiscale, et plus particulièrement de la possibilité pour les associations de déduire de leurs charges d’exploitation le montant de l’intéressement versé.
Les partenaires sociaux de l’interpro sont actuellement en négociation sur l’emploi des seniors. Quelles sont les pistes de l’Udes pour le maintien dans l’emploi et l’embauche de salariés âgés ?
L’ESS peut représenter un important vivier d’emplois pour ces derniers. Il est d’ailleurs regrettable que cette question ait été le grand impensé de la réforme des retraites de l’an dernier. Il aurait fallu traiter les deux sujets conjointement au lieu de se focaliser sur l’allongement de la durée du travail en renvoyant la question de l’emploi des seniors à une négociation ultérieure. Et aujourd’hui, le gouvernement brouille encore plus le jeu en évoquant une réduction de la durée d’indemnisation à 18 mois seulement contre 27 aujourd’hui pour les salariés de plus de 55 ans, ce qui risque d’entraîner de nombreux travailleurs seniors dans une spirale de précarité, en oblitérant au passage toute réflexion sur la pénibilité du travail. Or c’est, là encore, un sujet majeur. On le voit bien dans certaines de nos branches – celles du « care » notamment – où les salariés sont particulièrement exposés à des situations d’usure professionnelle. C’est d’ailleurs pourquoi les propositions de l’Udes au moment du débat sur les retraites prévoyaient des dispositions relatives à la pénibilité comme l’extension du mécanisme de retraite anticipée afin de permettre aux salariés en invalidité professionnelle de pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein dès 60 ans, ou le déplafonnement du nombre de points accumulables sur son compte personnel de prévention (C2P) afin de tenir compte de la poly-exposition à l’usure professionnelle et, là encore, de pouvoir partir avant 64 ans tout en conservant son taux plein.
Mais nous avions également porté d’autres propositions en faveur de l’emploi des seniors. Nous suggérions notamment la création d’un abondement public du compte personnel de formation (CPF) des seniors afin de leur permettre d’accéder à des formations aux outils numériques ou de maintien de leur employabilité ; la mise en place d’aides à l’emploi sous forme d’un contrat d’engagement entre l’entreprise et le salarié senior, sur le modèle du contrat d’engagement jeunes ; la création de parcours emplois compétences (PEC) dédiés aux séniors éloignés de l’emploi en s’inspirant du modèle « 1 jeune, 1 solution » ; l’allègement des cotisations sociales pour l’embauche d’un salarié de plus de 55 ans ; l’accès au congé de mobilité pour les salariés séniors dans les TPE et PME de moins de 300 salariés ou l’adaptation de l’organisation du travail pour gérer au mieux les fins de carrière. Il s’agit de permettre aux salariés seniors volontaires, par un accord de branche, de passer à temps partiel tout en maintenant les cotisations sociales sur la base d’un temps plein et en prenant en considération la pénibilité des métiers. Ces idées sont toujours sur la table. Libre aux partenaires sociaux et au gouvernement de s’en inspirer dans leurs propres réflexions.