Ce n’est pas un accord national en bonne et due forme, mais à tout le moins une initiative de nature à booster le développement du partage de la valeur dans le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). L’Udes et quatre syndicats de salariés (CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC) ont signé, à l’issue d’une négociation menée dans le cadre du groupe de dialogue social de l’ESS (GDS), une « déclaration commune » visant à associer plus étroitement les salariés aux performances de leurs structures employeuses, que celles-ci soient de nature associative, coopérative ou mutualiste. Seule la CGT s’est abstenue de parapher le document final, conformément à sa position concernant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 sur le partage de la valeur qu’elle avait déjà refusé de signer.
« Manque d’acculturation »
C’est un fait : l’ESS reste toujours à la traîne des entreprises capitalistiques classiques en matière de partage de la valeur. Pas forcément anormal concernant certains dispositifs comme la participation et l’actionnariat salarié, appuyés sur les seuls résultats financiers et donc inadaptés à des structures associatives à but non lucratif – et, de fait, seules les grandes mutuelles disposent de tels outils –, mais plus surprenant pour un mécanisme comme l’intéressement, assoupli à deux reprises ces dernières années pour permettre aux entreprises de l’ESS de s’en emparer grâce à l’introduction de critères extra-financiers dans le mode de calcul, tels que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Si quelques obstacles juridiques subsistent encore – liés notamment à l’absence d’indicateurs précis pour mesurer ces critères extra-financiers ou à l’insuffisance d’incitations fiscales – c’est aussi « le manque d’acculturation des employeurs de l’ESS » qui explique ce dédain pour cet outil de partage de la valeur, explique-t-on à l’Udes.
Seulement deux accords de branche sur l’intéressement
« C’est un secteur qui n’a pas de véritable culture du variable », confirme Fabien Lucron, expert en rémunération au sein du cabinet Primeum. Résultat : l’intéressement patine. Selon les derniers chiffres disponibles de la Dares, on ne comptait, en 2020, que 682 accords signés et 27 décisions unilatérales de l’employeur en faveur de ce dispositif. L’année suivante, net recul avec seulement 469 accords et 32 décisions unilatérales. Et ce sur 100 290 structures de l’ESS recensées.
Côté branches, le sujet n’est clairement pas en haut de la pile des priorités avec seulement deux accords signés – le premier en 2019 dans les métiers de l’éducation, de la culture, des loisirs et de l’animation (Eclat), le second en 2021 à la Mutualité – et la production d’un « kit » destiné aux entreprises, édité par le Syndicat national des employeurs spécifiques d’insertion (Synesi) à destination de la branche des ateliers et chantiers d’insertion. « Cela ne traduit pas un engouement en faveur de l’intéressement au sein du champ multi-professionnel de l’ESS », soupire l’Udes.
La PPV plébiscitée
En réalité, seule la prime de partage de la valeur (PPV) – ancienne « prime Macron » ou « prime de pouvoir d’achat » instaurée fin 2019 suite au mouvement des gilets jaunes –, cette gratification à la main de l’employeur pouvant monter jusqu’à 3 000 € par an (6 000 € dans le cas de la signature d’un accord d’intéressement), a réellement trouvé son public du fait de sa simplicité d’utilisation. Ainsi, dans le secteur de l’action sociale et de l’hébergement médico-social, 21,2 % des employeurs l’avaient versée en 2022 à 216 502 salariés (d'un montant en moyenne de 458 €).
Et dans un contexte où la loi du 29 novembre 2023 oblige désormais les employeurs de plus de 10 salariés à développer au moins un mécanisme de partage de la valeur, le dispositif présente un nombre conséquent d'avantages pour gratifier les salariés et contribuer ainsi au développement de l'attractivité des métiers. Sous réserve, toutefois, que ces primes ne se substituent pas aux augmentations de salaires – une véritable ligne rouge pour les signataires de la déclaration commune – et que des indicateurs relatifs à l’intéressement autres que financiers soient imaginés par les pouvoirs publics. Et pourquoi pas ouvrir la porte à des mesures dérogatoires favorables au développement de la participation dans les entreprises de l’ESS… sans pour autant remettre en question leur nature « désintéressée ». Vaste chantier.