Plus de 60 000 au Secours catholique, 20 000 dont un quart de façon très régulière au sein d’APF France handicap, ou 81 000 dans les rangs du Secours populaire. Les associations nationales de solidarité revendiquent un nombre considérable de bénévoles et mènent leurs actions en bonne partie grâce à l’appui de ces volontaires qui œuvrent gratuitement. Traditionnellement, ils accompagnaient sur le terrain les personnes en difficulté. Bien sûr, ces missions perdurent, mais depuis le début des années 2000, on assiste à « une diversification des acteurs », selon les termes d’Hubert Pénicaud, responsable national du développement associatif d’APF France handicap et vice-président de France Bénévolat, avec l’arrivée de mécènes de compétences, la présence de jeunes en service civique, un nombre croissant de bénévoles qui deviennent des élus des associations ou les représentent dans des instances locales (maisons départementales des personnes handicapées, commissions communales d’accessibilité, services hospitaliers…), etc. Un afflux de profils nouveaux aux degrés de compétence et d’engagement variés qu’il s’agit d’accueillir pendant que, simultanément, les associations sont invitées à se professionnaliser.
Les près de 1,5 million d’associations existant en France doivent donc conserver les bénévoles, précieux en raison de leur engagement, mais aussi du fait de leur « ancrage territorial » souligné par Sophia d’Oliveira Rouxel, responsable du service « vie fédérale » à la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité). Ces structures importent simultanément des outils et des procédures du monde de l’entreprise pour apparaître comme bonnes gestionnaires. De quoi susciter des contradictions chez les bénévoles entre l’intérêt du projet, source de leur engagement, et celui de l’organisation, qui développe de nouvelles méthodes d’organisation. C’est du moins ce que relèvent Marie Cousineau et Sébastien Damart dans un article paru en 2017 dans la Revue française de gestion(1).
Management « intégratif »
Pour concilier l’inconciliable, les deux universitaires préconisent d’abord de permettre à l’ensemble des bénévoles de trouver leur place et leur rôle, quel que soit leur degré d’acceptation de la professionnalisation des associations et de leur prise d’appui, parfois sur le modèle des entreprises. Et ils ne doutent pas que même les plus réfractaires à ces évolutions puissent offrir de précieux apports aux organisations. Ce sont ceux qu’ils appellent les « incompatibles » : les plus ardents défenseurs des valeurs de l’association. Ils apparaissent comme de parfaits gardiens du temple et de l’idéologie. A l’opposé du spectre, les plus prompts à accepter ces évolutions sont qualifiés par les chercheurs de « démocrates sociétaux », et ils excelleront dans la coordination de projets, la gestion des autres bénévoles, la défense des valeurs de l’association vis-à-vis de l’extérieur, la prise de postes au sein des conseils d’administration et des bureaux… Bref, ils participeront aux prises de décision et aux choix d’orientation des associations. Enfin, des bénévoles perçus par les deux universitaires comme « pragmatiques statutaires » pourront s’avérer fort efficaces en matière de planification d’activités, comme la réception de marchandises et la réalisation d’autres tâches routinières. Leur conclusion : pour que chacun fasse bénéficier l’association de sa « contribution positive », le management doit être « intégratif » et propice à la fidélisation des bénévoles.
Sophia d’Oliveira Rouxel ne dit pas autre chose, lorsqu’elle invite à « soigner l’accueil », et prend l’exemple de la remise d’un annuaire aux arrivants, d’un organigramme, du calendrier des rencontres… Mais aussi d’une fiche mission co-construite avec les salariés et chefs de service, qui indiquera les tâches assignées au bénévole, les limites de son champ d’action ou les quelques lignes rouges à ne pas franchir (ex. : ne pas signer un chèque personnel à un bénéficiaire accompagné) : « S’il n’y a pas de subordination des bénévoles, il existe toutefois des règles du jeu. »
Dans le même esprit, Joëlle Bottalico, secrétaire nationale du Secours populaire, précise : « Un bénévole n’est jamais isolé, et se voit toujours associé à une équipe. » Elle ajoute que des temps de formation sont prévus, parfois au travers de séminaires populaires sur des thématiques pointues. Sophia d’Oliveira Rouxel prévient qu’il convient de proposer les formations « avec tact », tant certains bénévoles peuvent penser venir avec les compétences nécessaires. Et de façon générale, elle observe qu’une condition de la réussite de la coopération entre bénévoles et salariés tient à l’inscription de cette complémentarité dans le projet associatif.
Fin de la dimension sacrificielle
Cet enracinement de la présence des bénévoles dans ce texte de référence peut aussi contribuer à leur fidélisation. D’autant que de l’avis général, les bénévoles expriment de plus en plus d’attentes et entendent recevoir des rétributions symboliques en échange de leur temps : « La nature de l’engagement a beaucoup évolué. La dimension sacrificielle a largement cédé le pas face à des dynamiques plus exigeantes et plus matures », note Hubert Pénicaud. « Les bénévoles d’aujourd’hui ont moins envie d’être un maillon de la chaîne que de s’inscrire dans un projet construit où ils vont trouver du sens et pouvoir participer aux décisions », confirme Jérôme Voiturier, vice-président du Mouvement associatif et par ailleurs directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Aussi, pour les fidéliser, invite-t-il à « requestionner le projet politique de l’association et à accorder, dans les instances de gouvernance, une plus grande écoute aux personnes concernées ».
Des mesures de long terme qui seront complétées de façon bénéfique par des mesures concrètes immédiates, comme des temps de convivialité, des témoignages de reconnaissance dans le journal associatif au travers de portraits de bénévoles ou de récits d’actions menées. Bref, recourir à des bénévoles nécessite un travail d’animation, et Joëlle Bottalico confirme qu’au Secours populaire, c’est une des fonctions premières des salariés. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que les collectifs deviennent de plus en plus complexes, rappelle Hubert Pénicaud : « Auparavant, les choses étaient simples. Coexistaient quelques salariés et des bénévoles aux profils largement similaires. Aujourd’hui, les statuts se multiplient. Chacun (stagiaire, mécène de compétences, service civique…) a sa propre temporalité. Tout ceci génère une richesse incroyable et une forte capacité de mobilisation mais manager devient aussi une chose très difficile. » Une mission compliquée mais d’autant plus cruciale que certains bénévoles sont employeurs, en particulier dans de petites structures, et que dans les plus grandes, les administrateurs ont leur mot à dire sur le choix des directeurs généraux qui, à leur tour, auront droit de regard sur les fonctions des bénévoles.
L’enjeu central de la question du sens
Pour éviter l’impasse, Marie Cousineau et Sébastien Damart suggèrent de recourir à un « leadership diffus » plus qu’à une volonté de domination, le but final consistant à harmoniser la légitimité de l’acte gratuit et celle de l’expertise professionnelle. La recette selon Hubert Pénicaud : « S’appuyer sur les ressorts de l’engagement pour mobiliser dans l’action. Et cela fait de la question du sens l’enjeu central. » L’association mène actuellement une démarche pour définir un mode d’emploi qui permettra de mieux « coopérer en mode projet et en mode réseau », autrement dit d’associer les dimensions de gestion et d’animation. Le document est espéré au cours du second semestre, après avoir été imaginé en concertation avec les différents acteurs de l’association.
« Se donner un objectif commun et donner du sens à l’action, voilà ce qui s’avère le plus fédérateur », résume Joëlle Bottalico. Et ce qui, complète Sophia d’Oliveira Rouxel, va créer un indispensable « sentiment d’appartenance ».
Remise en mouvement des plus démunis
« Quand tu es pauvre, les personnes qui te parlent sont payées pour le faire. » Cette remarque, entendue lors d’une réunion de travail avec des personnes accompagnées, semble avoir marqué Vincent de Coninck, aujourd’hui directeur général d’abej Solidarité. Créée en 1985, basée dans le département du Nord, l’association accompagne des personnes sans domicile de façon globale et inconditionnelle. Aux yeux de son directeur général, le bénévolat offre une dimension de gratuité, importante pour les personnes accompagnées, que les professionnels ne peuvent apporter : « Cela témoigne d’une attention et d’une présence qui sont autres. » L’association compte aujourd’hui 235 bénévoles et 230 salariés. « L’adhésion à notre volonté d’accueil inconditionnel est « le » préalable indispensable à un engagement volontaire chez nous. C’est le cœur de notre projet, notre ADN. » Et donc ce qui fédère les équipes. Abej Solidarité s’attache aussi à offrir la possibilité aux personnes accompagnées de devenir bénévoles elles-mêmes : « Leur faire entendre que l’on a besoin d’elles contribue à les remettre en mouvement aussi pour elles-mêmes. » Vincent de Coninck ne nie pas que parfois faire cohabiter bénévoles et professionnels s’avère complexe et il reconnaît que cela demande du temps. Le temps de l’écoute, de l’échange, du respect pour ne pas empiéter sur le domaine de l’autre tout en le faisant parfois pour que les projets aboutissent.
Secours Catholique : Le choix des engagements durables
Des bénévoles au service de la vie associative, autrement dit des hommes et des femmes en soutien à d’autres volontaires, ceux de terrain. Voilà ce qui se met en place depuis un peu plus de deux ans au sein du Secours catholique. Le but : offrir un accompagnement de proximité indispensable à des hommes et des femmes qui interviennent auprès de personnes en grande difficulté. En trop petit nombre pour offrir ce soutien partout sur le territoire, les salariés ne peuvent assurer un encadrement suffisant. Autre avantage de ce « pair bénévolat », selon Arnaud Poincelet, chargé d’animation national : une meilleure compréhension, si les bénévoles de soutien appartiennent à la même génération que ceux qu’ils encadrent, ce qui n’est pas le cas de tous les salariés, souvent plus jeunes. « La mise en place prend du temps, parce que cela n’était pas dans notre culture associative. Et de plus, chaque délégation reste libre de mettre en place ou non ce que nous tentons de déployer au niveau national. » Autre difficulté : il est plus simple de mobiliser des bonnes volontés pour intervenir sur le terrain que pour assurer ces missions, perçues comme moins utiles que l’intervention auprès des bénéficiaires. La solution ? S’appuyer sur les bénévoles aguerris et présenter le bénévolat comme une forme de prolongement de l’engagement. Arnaud Poincelet voit dans ce déploiement un outil de fidélisation des bonnes volontés.
Les mécènes de compétences auront-ils des astuces à proposer pour la réussite de ce projet ? Ils sont en tout cas aujourd’hui une trentaine et restent en moyenne deux ans sur leur poste. « Compte tenu du parcours d’intégration que nous leur offrons, nous privilégions les fins de carrière aux offres de plus courte durée », explique Christian Miclot, lui-même bénévole, chargé du mécénat de compétences au sein de la direction des ressources humaines.
Enfin, à l’opposé du spectre générationnel, l’association accueille aussi des jeunes en service civique. Chaque année, plus d’une centaine d’entre eux œuvrent sur le terrain, en France et à l’étranger. Et certains, quelques années plus tard, deviennent salariés, en particulier sur des postes d’animation. Une autre forme d’engagement dans la durée.
(1) M. Cousineau, S. Damart – « Le management des bénévoles, entre outils et valeurs. Une approche par les paradoxes » – Revue française de gestion n° 262