Une pétition recueillant à ce jour plus de 1 600 signatures s’inquiète de l’évolution de la Maison de Kate, à Bucy-le-Long, dans les Hauts-de-France. Structure dédiée à la prise en charge des personnes souffrant d’addictions – la seule en France fondée sur le modèle « Minnesota » –, cet établissement géré par l’association Aurore ne respecterait plus ses préceptes fondés sur l’abstinence et l’entraide entre patients.
La pétition « Pour la survie du centre Apte et de son modèle » n’est pas nouvelle mais elle a fait tache d’huile, signe de l’inquiétude que suscite la Maison de Kate de Bucy-le-Long (Aisne). Rebaptisé ainsi en hommage à sa fondatrice Kate Berry, fille de Jane Birkin, ce centre accueille en post-cure des personnes en état de dépendance à l’alcool ou aux drogues. A ce jour, le texte initié en octobre 2020 a recueilli plus de 1 600 signatures d’anciens patients, de salariés ou de professionnels de la prise en charge des addictions. Ils s’alarment de l’évolution de cet établissement devenu un service d’Aurore depuis sa fusion en 2009. Nombre d’entre eux accompagnent leur signature de commentaires mettant en cause le management et, surtout, le dévoiement d’un modèle qui faisait jusqu’alors la spécificité de l’établissement.
Ouvert en 1994, le centre Apte (Aide et prévention des toxico-dépendances par l’entraide) est unique en France. Il est le seul établissement à s’inspirer directement de la méthode « Minnesota ». Développée aux Etats-Unis à partir des années 1950, cette thérapie est fondée sur des principes d’abstinence – aux produits comme aux médicaments de substitution – et d’entraide entre patients. Une partie des thérapeutes présentent la particularité d’être d’anciens usagers, des counsellors, formés à l’approche thérapeutique. « Le centre était un modèle différent, qui venait enrichir les propositions faites partout ailleurs et qui n’avaient pas marché pour nous [les anciens patients, Ndlr]. Aujourd’hui, nous assistons avec tristesse et inquiétude à la disparition de ce modèle unique qui nous a sauvé la vie », expose la pétition. Elle dénonce des situations de consommation en interne, des discours divergents sur l’abstinence, une médication systématique, l’absence d’orientation vers les groupes d’entraide ou encore le non-renouvellement des postes de counsellors, passés de huit à deux salariés.
Un centre comme un autre ?
Thérapeute spécialisée en addiction, Charlotte Roux avait l’habitude d’orienter des patients vers Bucy-le-Long. Aujourd’hui, elle les dirige vers d’autres structures. « C’est vraiment dommage. Je connais la force et la pertinence du modèle “Minnesota” pour toutes les personnes qui ont échoué via le parcours classique de réduction des risques. C’était impressionnant de récupérer des résidents du centre et de voir la qualité du travail réalisé. » Thérapeute de 2017 à 2020 à l’association Espoir du Val-d’Oise (EDVO), qui accueille d’anciens résidents de la Maison de Kate, elle a constaté la dégradation de l’accompagnement. « Il fallait reprendre tout à zéro avec les résidents du centre Apte. Le règlement était devenu très élastique. Je n’ai rien contre l’idée qu’il devienne un centre comme un autre, mais il faut le dire. Là, ce n’est pas clair, juge cette praticienne libérale installée à Paris. Aujourd’hui, je suis pragmatique, je ne vais pas envoyer des patients à Soissons s’ils peuvent bénéficier du même accompagnement en Ile-de-France. »
L’uniformisation de la prise en charge, c’est aussi ce que regrette Rani Duprat, ancienne counsellor à la Maison de Kate. « Les consommateurs sont différents de ceux d’hier. Au départ, nous accueillions beaucoup d’héroïnomanes. Aujourd’hui, les produits ont changé, les patients ont des comorbidités : on est obligé de s’adapter et de réaliser davantage d’accompagnement individuel. Que la structure évolue, c’est donc logique. Mais elle n’a pas tenu compte du travail qui pouvait être effectué dans ce cadre, pour rester dans une logique d’entraide et d’abstinence. »
La direction d’Aurore a lancé des discussions avec les initiateurs de la pétition, conviés à un travail de réécriture du projet d’établissement. « Je souhaite maintenir le dialogue, nous interroger sur la clinique de l’abstinence en allant au fond des sujets. Nous accompagnons de plus en plus de publics précaires, avec des comorbidités, psychiatriques notamment. Ces spécificités nécessitent d’être prises en compte, explique Florian Guyot, directeur général d’Aurore. Mais je tiens à le réaffirmer : nous avons la volonté de conserver un modèle “Minnesota” centré sur l’abstinence et la pair-aidance. Le nombre de counsellors a diminué parce qu’on a connu des difficultés de recrutement. Nous souhaitons former pour augmenter leur nombre. »
Florian Guyot soutient sa directrice, mise en cause pour son management. « S’il y a une mise à plat à effectuer, elle se situe sur le projet, pas sur les salariés », assure-t-il.