La situation de vulnérabilité d’une famille, couplée à l’absence d’hébergement, peut faire apparaître une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant ainsi l’intervention du juge des référés, rappelle le Conseil d’Etat dans une décision rendue le 10 janvier 2023. Dans cette affaire, une réfugiée ivoirienne et ses trois enfants de 10, 13 et 15 ans sont sans domicile. Logée quelques nuits, la famille ne parvient à obtenir un logement stable. Elle forme alors un recours en référé devant le tribunal administratif de Paris, afin qu’il puisse enjoindre l’Etat à la prendre en charge dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence.
Une famille particulièrement vulnérable
Dans son ordonnance, le juge des référés estime que la famille n’établit pas une « situation d’urgence extrême », une des conditions de saisine, et rejette la requête. Pourtant, le cadet de la fratrie est atteint d’une pathologie longue qui nécessite un traitement et un suivi rigoureux de son état de santé. Le juge ne prend pas en compte, non plus, le léger handicap de la mère, qui impacte ses capacités à marcher. Le juge prend enfin en compte la présence du père en région parisienne, qui maintient des liens avec le plus jeune des enfants.
Un raisonnement complètement renversé par le Conseil d’Etat dans sa décision. Il rappelle tout d’abord qu’il « appartient aux autorités de l’Etat […] de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ». Une obligation prévue par plusieurs articles du code de l’action sociale et des familles. Le Conseil d’Etat ajoute qu’une « carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative [qui prévoit l’action en référé-liberté, ndlr], une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ». Cela étant posé, reste donc, pour le Conseil d’Etat, à vérifier si, en l’espèce, la situation de la famille justifiait son action en référé.
Des capacités d'accueil accrues en Ile-de-France
La Haute Juridiction administrative constate qu’en Ile-de-France, « l’ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait », notamment pour les familles avec des enfants. Pourtant, les services de l’Etat ne ménagent pas leurs efforts : la région bénéficie du plus fort taux d’équipement avec 7,7 places d’hébergement d’urgence pour 1 000 habitants contre 2,9 au niveau national. Le seul département de Paris compte plus de 38 000 places, avec un taux de 17,9 places pour 1 000 habitants. Entre 2017 et 2022, les capacités d’hébergement dans la région se sont même accrues de près de 27 000 places. Des moyens qui ne suffisent pas : sur les 14 622 appels reçus le 23 décembre 2022, le 115 n’a pu proposer de solution d’hébergement qu’à 613 personnes, dont des familles.
De surcroît, le Conseil d’Etat relève que l’état de santé du fils cadet, qui devra subir une nouvelle opération fin janvier, place la famille sans abri dans une situation de détresse sociale. Eu égard à la situation de santé de cet enfant, le juge estime que cela place la famille « parmi les plus vulnérables ». Il conclut enfin que la situation, en l’espèce, « fait ainsi apparaître […] une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Le juge des référés aurait donc dû traiter le fond de la demande.
En 2012, la juridiction administrative a déjà eu l’occasion de consacrer l’hébergement d’urgence comme une liberté fondamentale, ouvrant ainsi la possibilité d’un recours en référé-liberté en cas de carence de l’Etat (CE, 10 février 2012, n° 356456). La décision rendue ce 10 janvier confirme cette position.