ASH : Les annonces d’Elisabeth Borne mettent davantage l’accès sur la question sécuritaire que l’aspect préventif. Le mot de prévention spécialisée n’est par exemple pas employé. Qu’en pensez-vous ?
Marie-Pierre Cauwet : On peut effectivement regretter que les questions de l'éducation et de la prévention ne soient pas à l'ordre du jour. Le gouvernement ne parle que de médiation sociale : cela révèle une politique court-termiste. Or, sans aucun jugement sur cette activité, on ne peut pas la confondre avec le travail de la prévention spécialisée. Les médiateurs sont des personnes moins qualifiées que des éducateurs spécialisés – formés pendant au moins trois ans – chargés de la régulation de conflits in situ. Ils ne sont pas là pour faire de l'accompagnement socio-éducatif. Par son approche globale, la prévention spécialisée s'inscrit, au contraire, dans le temps à travers des accompagnements socio-éducatifs, prenant en considération des facteurs qui concernent tous les aspects de la vie d'un jeune. Or ce dont les jeunes ont besoin, c'est d'accompagnement sur le long terme. Quand un jeune souffre, on ne peut pas régler les choses en une minute.
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Concernant le recours à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui contient également un accompagnement éducatif, ce n’est pas parce qu'on accueille un jeune délinquant et qu'on l'accompagne que, d'un seul coup, tout est réglé. Faire appel à d’autres professionnels, comme les militaires, ressemble à un retour en arrière, où on envoyait les enfants qui posaient problèmes dans des colonies pénitentiaires.
Présenter les jeunes uniquement sous l’angle de la délinquance ne risque-t-il pas de les stigmatiser davantage ?
Dans le volet jeunesse de l’enquête que nous avons réalisée pour le Conseil national de la régulation (CNR) peu avant les émeutes, il est assez poignant de constater que les jeunes s'expriment avant tout sur leur souffrance, leur malaise. Ils rapportent aussi leurs besoins, en l’occurrence de lien, d’écoute, et d’accompagnement. Je trouve dommage qu’aucune relation ne soit faite entre ce que cette étude, menée sous l’égide du gouvernement, révèle et les mesures annoncées.
Les mesures mettent l’accent sur la responsabilisation de la famille. Cela vous paraît-il pertinent ?
Il n'y a pas encore eu de recherche scientifique prouvant qu’il y a un ADN du délinquant ou de parents défaillants. On ne naît pas jeune délinquant ou parent défaillant, on le devient. Les familles aiment leurs enfants. Mais elles rencontrent de grosses difficultés : parfois démunies, parfois dépassées, parfois en grande difficulté économique, parfois les trois à la fois... Elles se trouvent dans des situations inextricables aux yeux de leurs enfants. Si on ne met pas en place des mesures qui permettent aux parents de sortir la tête de l'eau, on les condamne. Un parent qui cumule les petits boulots à des horaires décalés aura du mal à remplir son rôle éducatif. Par ailleurs, on sait depuis très longtemps que la socialisation ne se résume pas uniquement à l'influence de la famille. Il vaudrait mieux avoir une approche plus systémique, en prenant en considération l’ensemble de l’environnement des jeunes. Ils passent aussi beaucoup de temps à l’école et dans leur quartier.
Les révoltes font suite au meurtre du jeune Nahel par un policier. Pourtant, les mesures ne concernent pas les violences policières...
Ces violences policières ont été évoquées au début des événements, puis on a mis un couvercle sur la casserole. Il n’est pas question d’excuser des actes de délinquance commis par certains jeunes. Ni de prétendre que tous les participants aux événements sont conscientisés. Mais on ne peut s’empêcher de constater un glissement vers une pensée très réductrice, uniquement focalisée sur les jeunes, et maintenant les familles. Ne plus parler de ces jeunes qu’en tant que responsables des dégradations, instaure un climat aussi de division entre les catégories sociales, entre les jeunes qui vivent dans des quartiers et les autres, entre des parents qui s'en sortent à peu près et ceux qui survivent. Cela instaure aussi un climat d'insécurité. Il me semble que cette jeunesse me semble davantage en danger que dangereuse.
La Première ministre a également développé un volet social, axé sur les quartiers prioritaires. Qu’en pensez-vous ?
Au début d’un accompagnement socio-éducatif, on procède à une évaluation de la situation, en faisant éventuellement appel à des ressources externes quand on ne connaît pas les réponses. Je me pose la question de savoir si cette méthode, extrêmement simple et très classique, a été utilisée par les pouvoirs publics avant de prendre ces mesures. Les quartiers de la politique de la ville existent depuis plusieurs décennies. Pourquoi ne pas les évaluer ? De la même façon, sur quels éléments sont fondées ces mesures et pour répondre à quels besoins ? La démarche des pouvoirs publics mériterait une évaluation plus objectivée.