Les accueils de jour constituent un « filet de sécurité » pour les personnes sans abri, un « dernier rempart » face à la grande précarité. A l’occasion d’un colloque organisé à la Bourse du travail de Seine-Saint-Denis, la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre) a présenté en avant-première aux professionnels d’accueils de jour venus de toute l’Ile-de-France son nouveau « cahier-repères », permettant de venir combler le manque de ressources sur ces lieux d’écoute et de réconfort.
Faire du travail social autrement
Après la signature par le président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis de la Déclaration des droits des personnes sans-abri, Mélanie Tridon, qui l’a coordonné, a rappelé la multiplicité des missions des accueils de jour. La première : répondre aux besoins de première nécessité, notamment en matière d’hygiène et d’alimentation. Leur but doit aussi être de garantir et faciliter l’accès aux droits, soutenir l’accès au logement et à défaut à l’hébergement, promouvoir l’accès aux soins de santé et remobiliser les personnes accueillies par des activités sportives ou culturelles permettant de « faire du travail social autrement ». Le colloque en a été la démonstration : le temps d’un bref intermède poétique entre deux tables rondes, la troupe de théâtre créé il y a plus de 15 ans à la Boutique Solidarité de Gagny (un accueil de jour de la Fondation pour le logement) a joué un extrait de son prochain spectacle.
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La chargée de mission à la Fondation pour le logement a également rappelé le principe d’inconditionnalité qui doit régir les accueils de jour, notamment au regard de la situation administrative des personnes accompagnées, « ce qui est remis en cause par certains financeurs », déplore-t-elle. Il faut aussi permettre aux plus vulnérables de reprendre confiance et de se sentir faire partie d’un groupe. Quant aux professionnels, il s’agit de créer des partenariats, de produire des indicateurs permettant de faire un état des lieux de leurs actions et de les faire connaître.
Des enfants de moins de trois ans à la rue
Des principes essentiels mais qui se heurtent à une réalité : le manque de moyens de ces structures, l’étroitesse des locaux, l’épuisement des professionnels et le nombre grandissant de personnes sans abri. Dans la nuit du 31 mars au 1er avril dernier, 578 personnes étaient par exemple restées à la rue malgré leur appel au 115 en Seine-Saint-Denis. C’était bien plus que l’année dernière à la même période (335 personnes) et surtout, parmi elles se trouvaient 30 femmes enceintes et 255 mineurs dont 73 enfants de moins de 3 ans. Des chiffres qui, s’ils continuent de choquer les travailleurs sociaux, ne les surprennent plus, puisque les appels au 115 de femmes avec enfants ont commencé au début des années 2000. Dans la foulée, des accueils de jour spécialisés pour accueillir les familles ont été créés, comptant dans leurs équipes des éducateurs de jeunes enfants, à l’instar de celui de la rue Pitard dans le 15e arrondissement de Paris.
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Ce moment d’échanges entre travailleurs sociaux a été l’occasion de partager questionnements et revendications, beaucoup étant liés au déséquilibre entre la faiblesse des effectifs de professionnels et le nombre grandissant de personnes à la rue. Ce qui « crée une perte de sens au travail pour les professionnels et accroit la violence dans les accueils de jour », regrette Isabelle Médou-Marère, directrice régionale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
La quadrature du cercle
Pêle-mêle, les travailleurs sociaux ont soulevé de nombreuses questions : comment un accueil de jour peut-il proposer plusieurs services, comme le préconise l’Etat, quand les locaux ne le permettent pas et qu’il est impossible de déménager ? Comment orienter, le soir venu, les personnes venues à l’accueil de jour et qui n’ont aucune solution d’hébergement ? Vers qui rediriger des mineurs qui se présentent à un accueil de jour déjà saturé ? Comment garantir la scolarisation des enfants quand les administrations se renvoient la balle ? De quelle manière permettre un accès à la vie intime et à la sexualité des personnes accueillies ? Comment contraindre un CCAS récalcitrant à domicilier une personne sans abri, malgré son refus obstiné d’appliquer la loi ?
Cette dernière question constitue un enjeu central, la domiciliation étant indispensable pour faire valoir certains droits et toucher, par exemple, le RSA. Bon nombre de travailleurs sociaux en accueils de jour s’y cassent pourtant les dents, faute d’obtenir ce fameux sésame pour les personnes accueillies. La Fédération des acteurs de la solidarité, qui a mené une enquête sur le sujet, y voit plusieurs raisons : des motifs politiques venant de municipalités qui n’en démordent pas, mais aussi un manque de personnel formé ou de moyens.
Isabelle Médou-Marère recommande une technique efficace, bien que chronophage : accompagner systématiquement les personnes faisant une démarche de domiciliation et entreprendre à chaque fois des recours en cas de refus. Une stratégie censée obliger le CCAS à revoir ses pratiques, à force d’être convoqué au Tribunal administratif. Et signaler le problème à la Défenseure des droits. « C’est une charge de travail supplémentaire, mais ça peut porter ses fruits », promet la directrice de la FAS en Ile-de-France.
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