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Sans-abri : Des maisons vides pour un logement durable

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HL - FRANCE - RENNES - LOGEMENT - SANS-ABRI - FONDATION ABBE PIE

Armelle Bounya, bénévole de la Fondation Abbé-Pierre et présidente de l'association Un toit c'est un droit.

Crédit photo Jean-Michel Delage/Studio Hans Lucas
Afin d’offrir un lieu de vie pérenne aux personnes à la rue, l’association Un toit c’est un droit, accompagnée par la Fondation Abbé-Pierre, expérimente à Rennes depuis deux ans la gestion conventionnée. Un moyen efficace pour inciter les promoteurs immobiliers à mettre à disposition gratuitement des maisons vouées à la destruction.

 

Le jardin de 1 000 m2 est une jungle luxuriante où s’épanouissent des arbres fruitiers et des rosiers odorants. Avec une bonne tondeuse et beaucoup d’huile de coude, il deviendra bientôt un terrain de jeu idéal pour la petite Rose, 2 ans et demi, qui s’installe aujourd’hui avec sa mère, Virginie, dans leur nouveau logement. Elles vont occuper le premier étage de cette maison en pierre qui en compte deux, rue de Nantes, à Rennes.

Virginie pousse la porte et découvre une cuisine entièrement aménagée, à l’exception du réfrigérateur. Les tapisseries tout comme la chaudière sont récentes. La salle de bains et son carrelage mural aux motifs floraux sont en bon état. Dans la grande chambre, les fenêtres à double vitrage disposent de volets roulants. Les anciens occupants sont partis en laissant les rideaux et une armoire. Il manque juste un lit. Cela tombe bien car, dans le garage, des bénévoles de l’association Un toit c’est un droit (UTUD) déposent des matelas et des couvertures. Virginie mesure sa chance d’avoir croisé leur route. Elle vient de faire une demande de logement social mais n’a pas les moyens de se payer l’hôtel en attendant.

Disposant d’un titre de séjour, la jeune femme de 34 ans à la frêle silhouette est arrivée à Rennes il y a seulement quelques jours, totalement par hasard. « Séparée de mon conjoint, je ne pouvais plus payer la location et les factures à Châtellerault (Vienne), où j’habitais avant », raconte-t-elle. Elle a pris le train pour quitter la ville, mais s’est trompée de destination. Complètement perdue à son arrivée en gare de Rennes, sans personne vers qui se tourner, elle a été prise en charge par un vigile qui a contacté l’association. « Quelqu’un est venu me chercher au bout de vingt minutes. Sans cette personne, ma fille et moi, on aurait dormi à la rue. » Pour vivre dans cette maison, Virginie n’aura rien à débourser. Elle devra seulement partager la cuisine et les sanitaires avec une autre famille de cinq personnes. Et cela, en toute légalité.

En effet, cette belle bâtisse vouée à la destruction n’est pas squattée. Elle est mise à disposition dans le cadre d’une convention. Dans l’attente de pouvoir la détruire pour construire un immeuble à la place, un promoteur, Groupe Arc, a accepté d’en confier momentanément les clés à l’association UTUD afin d’y loger des personnes sans abri. Il s’est laissé convaincre par la Fondation Abbé-Pierre, qui a joué le rôle d’intermédiaire rassurant, promettant de financer les travaux nécessaires à hauteur de 4 800 €. La mise à disposition a fait l’objet d’un acte notarié (de prêt à usage ou commodat), qui sécurise les parties. « Tout est prévu, notamment le nombre d’occupants et la durée d’occupation, souvent d’au moins dix-huit mois », explique Stéphane Martin, directeur de la Fondation Abbé-Pierre en Bretagne.

 

Un compromis gagnant-gagnant

Le dispositif fonctionne sur le principe du gagnant-gagnant. En bénéficiant d’un toit dans la durée, les occupants peuvent enfin se poser et améliorer leurs chances de s’insérer dans la société. En échange, le promoteur obtient la garantie contractuelle que le bien sera rendu à la date convenue et dans le même état qu’avant. « En voyant cette maison, on se dit qu’elle serait parfaitement louable ainsi. Et dire qu’autrefois les propriétaires détruisaient les sanitaires ou faisaient volontairement des trous dans le toit afin d’éviter les squats ! », remarque Stéphane Martin. Ce dernier a déjà convaincu quatre promoteurs de participer à l’expérimentation. « Nous avons deux motivations. La première est humaine et la seconde plus pragmatique, reconnaît Patrice Pinson, directeur régional de Groupe Arc. Quand on achète en risque des terrains avec des maisons dessus, il arrive que le projet soit différé de plus d’un an faute de permis de construire. Plusieurs solutions s’offrent alors à nous. » Louer peut être rentable, mais entraîne des dépenses pour tout mettre en conformité. Murer ? Cela attire les squatteurs, à moins de mettre en place une solution de vidéosurveillance ou de gardiennage, qui peut coûter jusqu’à 400 € par mois. Autant de frais qu’une mise à disposition conventionnée permet d’éviter…

Dès 2018, Groupe Arc a tenté l’aventure avec une première maison de 180 m2 à Vezin-le-Coquet, près de Rennes. Elle abrite actuellement 15 personnes. « En prenant connaissance du projet, nos salariés ont décidé d’y contribuer volontairement. Ils ont donné des tables, des chaises et des jouets pour les enfants », se souvient Patrice Pinson. Pour rendre la maison habitable, les travaux ont été financés comme convenu par la Fondation Abbé-Pierre. Un premier retour d’expérience positif qui a convaincu le groupe de pérenniser cette action solidaire, les avantages étant plus grands que les inconvénients.

Les raisons de la réussite de ce début d’expérimentation sont multiples. Pour Stéphane Martin, il faut d’abord chercher du côté de ce qu’il appelle la « fibre solidaire bretonne ». L’engagement des promoteurs locaux tient beaucoup au fait que ce sont souvent des entreprises familiales. « Avec une seule personne à la tête, la décision de prendre ce genre de risque est plus simple », estime Patrice Pinson. Ajoutons à cela un contexte politique et associatif particulièrement favorable. « Jamais nous n’aurions pu nous lancer dans ce genre de projet sans une longue expérience derrière nous », rappelle Armelle Bounya, présidente de l’association UTUD, qui existe depuis dix ans. La légalisation, en 2017, du squat des Jardins de la Poterie a été un élément fondateur pour le développement de solutions concertées entre les propriétaires, la mairie de Rennes et UTUD.

Tout commence il y a quatre ans. Face au désengagement de l’Etat, l’association investit une ancienne maison de retraite pour y loger 160 personnes migrantes dont la moitié sont des enfants. Rapidement, le promoteur immobilier et propriétaire des lieux demande l’expulsion des habitants et souhaite la restitution de son bien. Il est débouté de sa demande par le tribunal administratif de Rennes, qui estime que l’hébergement de 160 personnes est prioritaire au regard d’un projet immobilier resté au point mort depuis plus de deux ans. UTUD sollicite alors la mairie pour avoir accès à l’électricité et au chauffage. Celle-ci accepte, à condition qu’une convention soit signée avec le propriétaire, légalisant ainsi l’occupation jusqu’à la fin de l’année 2017. Les frais sont alors partagés entre les migrants, les associations et la collectivité. A la date annoncée, les 200 occupants ont mis un point d’honneur à respecter leur engagement et ont quitté les lieux. « Ces dix-huit mois passés aux Jardins de la Poterie ont coûté 3 € par nuit et par personne. Ce n’est rien par rapport à une chambre d’hôtel. A partir de ce moment-là, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire », observe Stéphane Martin. Ensuite, tout est allé très vite. UTUD a fait une croix sur les squats et s’est vu confier de nouveaux lieux (14 en trois ans).

 

Les limites de l’expérimentation

Pour rendre les nouveaux logements décents et confortables, la Fondation Abbé-Pierre pioche actuellement dans le fonds d’urgence Covid-19. Ouverte cet été, une maison de la rue de Fougères, à Rennes, a par exemple nécessité 9 600 € de travaux. Electricité, changement de la chaudière, cloisonnement, installation de garde-corps aux fenêtres, peinture… Une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite (PMR) a même été ajoutée afin d’accueillir Gezim, un Albanais en fauteuil roulant. Il vit ici depuis trois semaines avec sa femme Vjollca et son fils Xhani, 18 ans, qui a accroché sa guitare en haut de la cheminée. Tous les trois en situation irrégulière, ils partagent la maison avec deux autres familles et quatre jeunes célibataires. En tout, ce sont 17 personnes, comme prévu par la convention. « On se respecte entre voisins, on a l’habitude maintenant », explique Xhani en souriant. « Il est essentiel pour nous que tout se passe bien, car c’est la condition pour que cela continue, affirme Armelle. Nous devons être rigoureux. On veille notamment à ce que les personnes n’en hébergent pas d’autres. » Afin d’assurer une rotation, les publics accueillis sont mixtes : des réfugiés qui ont un travail, des bénéficiaires du dispositif « Logement d’abord », des personnes déboutées du droit d’asile… « On choisit les occupants avec soin. On sait qu’il peut y avoir des incompatibilités d’humeur et que les célibataires se plient plus facilement au respect des règles quand il y a des familles avec des enfants », remarque l’institutrice à la retraite.

En jean et tee-shirt blanc, Hady approuve. Ce demandeur d’asile guinéen de 22 ans est arrivé à Rennes il y a deux ans. « J’ai fui mon père et sa famille », explique-t-il en faisant visiter sa chambre. A la rentrée, il intégrera un lycée de la « deuxième chance ». En toute logique, il devrait être logé par l’Etat en tant que demandeur d’asile, mais malheureusement, « pour les jeunes hommes en bonne santé, c’est débrouille-toi », peste Armelle. Au dernier étage de la maison, vit Kanga, 32 ans, originaire de Kinshasa, avec ses quatre enfants de 2, 4, 7 et 9 ans. L’un d’entre eux souffre de drépanocytose et doit être fréquemment hospitalisé. Autrefois hébergée à l’hôtel puis dans un squat, la petite famille peut enfin souffler. Insouciante, la petite Gemina en robe orange fluo se déhanche et sautille devant les clips diffusés à la télé.

L’un des freins au développement du dispositif est le coût des charges. Les factures d’eau, de chauffage, d’électricité s’accumulent. Il faut compter plusieurs milliers d’euros de dépenses par an pour une grande maison. La Fondation Abbé-Pierre milite pour la création d’un fonds « Energie pour tous » qui serait abondé par les collectivités et des mécènes. L’expérimentation repose aujourd’hui sur la bonne volonté des bénévoles de l’association, qui a ses limites. Faute de moyens humains et financiers, UTUD doit refuser certaines maisons. Son action est aussi remise en cause par d’autres associations militantes du droit au logement, qui lui reprochent d’être subventionnée par la mairie. « Selon elles, en acceptant cet argent, on vendrait notre âme au diable. D’accord, on fait des concessions et on pèse parfois nos mots avec la municipalité, reconnaît Armelle, mais au final on loge 130 personnes. Peuvent-elles en dire autant ? »

 

4 300 bénéficiaires bretons du fonds d’urgence Covid-19

Le 3 avril dernier, devant l’ampleur de la crise sanitaire liée au Covid-19, la Fondation Abbé-Pierre a créé un fonds d’urgence et lancé un appel à la solidarité. En Bretagne, les sommes récoltées ont permis de soutenir 4 000 bénéficiaires sur les maraudes et l’aide alimentaire, ainsi que 300 autres sur les solutions de logement. Une enveloppe de 56 000 € a été dépensée. 149 000 € ont été remis par ailleurs sous la forme de chèques alimentaires à des ménages, aussi bien en ville qu’en secteur rural.

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