Recevoir la newsletter

"Salles de shoot": pourquoi Médecins du monde saisit la justice

Dans une démarche inédite en Europe, l’ONG a déposé le 14 avril 2025 deux plaintes contre l’État pour dénoncer son inaction dans sa gestion de l’expérimentation des Haltes soins addictions. Elle entend recentrer les débats sur les bénéfices factuels, à l’heure où les considérations répressives sur les drogues dominent.

Imposer un débat dénué d'affect et fondé sur des données objectives à propos des Haltes soins addiction (HSA) -plus connues sous le nom de « salles de shoot »- tel est le pari de Médecins du monde. L’ONG a déposé le 14 avril deux plaintes contre l’Etat pour dénoncer son inaction, alors que l’expérimentation des deux seules HSA françaises de Paris et de Strasbourg doit s’achever en décembre 2025, sans perspective de suite pour le moment.

« Il y a urgence puisque nous sommes déjà en avril et que nous n’avons toujours aucun signe de ce que ces dispositifs vont devenir », alerte Céline Debeaulieu, chargée de plaidoyer réduction des risques liés à l’usage de drogues de l’organisation. « En passer par la justice doit permettre d’ouvrir un dialogue technique et documenté à l’écart des prises de position politiques basées sur des préjugés et des opinions et alors que l’approche répressive occupe les débats », déclare Vincent Brengarth, avocat de Médecins du monde. Une HSA offre un lieu sécurisé de consommation, encadré par des professionnels de santé et des travailleurs sociaux, et permet un accompagnement global des usagers en situation de précarité qui ont accès à des consultations médicales et à un soutien social. « C’est une passerelle qui leur permet de retrouver des droits », défend Céline Debeaulieu. Les expérimentations de Paris et Strasbourg, lancées en 2016, avaient été reconduites en 2021. « Il est maintenant temps de décider de leur inscription dans le tissu médico-social de droit commun et d’en ouvrir d’autres », martèle-t-elle.

Au titre de son traitement général des HSA, l’État, décisionnaire des arrêtés d’ouvertures, se voit attaqué sous trois angles devant le tribunal administratif de Montreuil. Médecins du monde lui reproche d’abord ses manquements à ses obligations en matière de prévention, découlant de la loi de 2016 sur la réduction des risques et des dommages qui a rendu possible l’expérimentation de HSA et dont l’ONG attend qu’il tire les conséquences. « Le répressif et la lutte contre le narcotrafic ne doivent pas conduire à ne pas aller au bout des obligations légale de l’État en matière de prévention », met en garde l’avocat Vincent Brengarth. « Ces politiques ont des dimensions complémentaires. » L’association reproche ensuite à l’État de ne pas avoir donné sa chance à la solution des HSA. « On compte 80 salles en Europe, plus d’une vingtaine en Allemagne et seulement deux en France en 10 ans d’expérimentation. Celle-ci a été clairement sous-dimensionnée par rapport aux besoins. L’État n’est pas allé jusqu’au bout de la démarche », dénonce l’avocat, qui déplore « une absence de transparence sur son évaluation comme de travaux législatifs engagés ». Le premier recours de l’ONG pointe enfin l’obstruction de l’État contre le déploiement de nouveaux dispositifs. « Nous avons documenté les interventions politiques qui ont notamment mis un terme aux projets d’ouverture de salles à Lyon, Marseille et Lilles », précise l’avocat. Le cas particulier d’un projet à Marseille, enterré en janvier 2024, fait l’objet d’un deuxième recours de Médecins du monde devant le tribunal administratif de Paris. « Nous avons là un cas de figure où, alors que tous les acteurs s’étaient accordés sur l’ensemble des paramètres pour l’ouverture d’une salle, que les locaux avaient été trouvés et les contrats signés, une intervention politique de madame Sabrina Agresti-Roubache, alors secrétaire d’État à la ville et potentielle candidate aux élections municipales de 2026 à Marseille, a brutalement mis fin au projet », expose l’avocat.

L’ONG met en avant le recul qui existe pourtant sur les bénéfices des HSA. « Le risque n’est pas négligeable que la réalité documentée soit éclipsée au profit de considérations d’opinion », met en garde Vincent Brengarth. Médecins du monde met en avant plusieurs travaux existants, « y compris ceux demandés par le gouvernement ». En octobre 2024, un rapport de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales préconisait notamment de légaliser l’ouverture des HSA et de pérenniser celles en expérimentation. Selon un rapport scientifique de l’INSERM rendu en 2021, les HSA permettraient d’éviter 69 % des overdoses, 71% des passages aux urgences et 77% des infections graves. L’association met également en avant les bénéfices sociaux étayés, citant notamment un rapport de la Fondation Jean Jaurès de janvier 2025 : « Les HSA installées à proximité de l’espace publique absorbent les consommations dans cet espace et notamment dans des espaces laissés à l’abandon où les usagers se regroupent et qui deviennent des lieux de violences anxiogènes pour tout le monde », résume Céline Debeaulieu. Vincent Brengarth indique que d’autres recours spécifiques quant à des situations locales pourraient suivre.

Insertion

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15