Le Pacte européen sur l’asile et la migration a été adopté par le Parlement européen le 10 avril. Si la signature du texte par les membres du Conseil de l’Union européenne est prévue pour la fin du mois, l’application du nouveau cadre juridique prendra effet d’ici à deux ans. Avec le réseau européen European Council on Refugees and Exiles, Laurent Delbos a passé au crible les 900 pages du document. Il est formel : l’Union européenne se déresponsabilise de ses obligations en matière d’asile.
ASH : Quelles seront les conséquences de la réforme en France ?
Laurent Delbos : Les changements ne seront peut-être pas immédiats car le nouveau cadre législatif interviendra probablement en 2026.
La réforme entrera directement dans le droit français. Cela posera surement des questions de conformité avec le cadre légal national. Des articles de loi pourraient être abrogés ou ne plus être effectifs en pratique puisque les juges et les administrations se devront d’appliquer les règlements européens, considérés comme supérieurs. Par exemple, les modalités d’accueil au sein des zones d’attente pourraient être concernées.
Dans quelle mesure le parcours des demandeurs d’asile sera-t-il impacté ?
Avec un règlement baptisé « filtrage », le nouveau cadre suppose qu’à leur arrivée aux frontières de l’UE, notamment en bateau, les personnes étrangères seront privées de liberté, avec une installation dans des lieux d’enfermement durant sept jours. L’objectif étant d’effectuer des contrôles sanitaires, sécuritaires et de connaître leur intention pour la suite de leur parcours. S’il s’agit d’une demande d’asile, les nouveaux critères d’attribution de la protection internationale prévus par le texte se révèlent complexes.
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Justement, le nouveau pacte, par ce système de filtrage, distingue les demandeurs d’asile en fonction de leur nationalité. De quoi s’agit-il ?
Il prévoit, en effet, une distinction entre les individus selon l'évaluation du taux d’accord dans l’espace communautaire, au regard de leur pays d’origine. En clair, si le taux d’accord est important, les personnes peuvent sortir du lieu d’enfermement et entamer une procédure classique. En revanche, les autres seront soumises à des procédures effectuées à la frontière et resteront privées de liberté sur une période pouvant aller jusqu’à 12 semaines. Cela suppose que la part de personnes retenues longtemps à la frontière augmente et cela implique aussi des difficultés d’accompagnement juridique, d’identification des vulnérabilités ou d’adaptation. Les conditions d’accueil sont différentes de celles connues au sein des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) français. C’est un changement important.
Comment s’organisera ensuite la répartition au sein des différents Etats ?
Le règlement Dublin va être supprimé. Il sera remplacé par le règlement « gestion ». Ce dernier reprend quasiment les mêmes critères, c’est-à-dire faire prévaloir le lieu de la première entrée dans l’UE pour aboutir à des mécanismes de transfert d’un pays à l’autre. Là aussi, un durcissement de la procédure est prévu. Par exemple, chaque Etat disposera de moins de marges de manœuvre pour les transferts de personnes qui pourront avoir lieu sur simple notification, quand aujourd’hui l’accord des pays entre eux est nécessaire.
La réforme s’appuie aussi sur le partenariat avec des pays tiers. Qu’est-ce qui va changer ?
Le durcissement de l’appréciation des demandes d’asile se poursuivra aussi avec l’augmentation du nombre de « pays tiers sûrs ». Il s’agit d’Etats dans lesquels on pourra renvoyer les personnes avant d’avoir examiné leur demande de protection, ici en France. Si aujourd’hui, cette notion existe déjà, sa définition est assez exigeante et le renvoi vers ces pays reste facultatif. L’assouplissement de la définition, qui pour l’heure se réfère à la convention de Genève, élargirait considérablement le nombre de pays considérés comme « sûrs ». Par la nouvelle approche européenne, de nombreuses demandes d’asile seront jugées « irrecevables » et le transfert de ces familles vers des pays tiers par où elles sont passées durant leur parcours migratoire sera obligatoire. C’est très inquiétant. Cela signifie qu’on se déresponsabilise de nos obligations en matière d’asile.
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Quel est l’intérêt global du pacte ?
Il s’agit de gérer moins de demandes d’asile en Europe, donc l’idée est de voir comment on peut freiner les arrivées et comment on peut davantage envoyer les personnes vers la responsabilité d’autres Etats. C’est pourtant une orientation qui va dans le sens contraire des enjeux mondiaux où les besoins de protection se multiplient.
C’est, par ailleurs, une généralisation de l’enfermement, c’est-à-dire que le schéma tel qu’il est prévu par le pacte prévoit quand même de revenir à une logique déjà mise en œuvre en 2015, celle de la mise en place de « hotspot » (points d’accès), des centres fermés aux frontières de l’UE. Maintenant, il s’agit de s’en doter à très grande échelle car ces lieux pourront accueillir des milliers, voire des centaines de milliers de migrants. Pour l’heure, personne ne connaît les conditions d’accueil prévues, ni comment cela sera financé. Les modalités d’accompagnement restent également opaques.
Il s’agit d’un revirement car les textes actuels sont plutôt protecteurs…
C’est un changement de logique basé sur la dissuasion. Le principe important et incontournable qu’on ne peut pas opposer l’entrée irrégulière d’une personne sur le territoire dès lors qu’elle demande l’asile génère chez les Etats membres une sorte d’impuissance et de limite à leurs compétences juridiques, comme une remise en cause de leur souveraineté. Actuellement, près d’un demandeur d’asile sur deux voit sa demande d’asile rejetée et se maintient dans l’Union. Par le nouveau cadre, à la suite des sept jours de « filtrage » et des 12 semaines prévues pour la procédure, si la demande est rejetée, les personnes sont renvoyées à une procédure de retour et maintenues enfermées pendant 12 semaines supplémentaires. L’idée est de garder les gens « sous la main » et de placer la coercition à l’arrivée.
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Au regard de la réalité des situations où les gens sont prêts à tout pour venir en Europe, pensez-vous que cela puisse fonctionner ?
Le fait de durcir le cadre ne freine pas les personnes étrangères dans leur démarche. Ce qui les pousse à venir, ce sont les facteurs qui les ont fait quitté le pays d’origine, ce ne sont pas les facteurs d’attraction de l’UE. La seule conséquence de l’adoption des textes s’inscrira sur le respect de leurs droits fondamentaux. Un mauvais accueil génère plus de précarité et de désordre.
Par ailleurs, le règlement Dublin retarde l’accueil de 90 % des personnes qui en dépendent. Le nouveau cadre se calque sur ces dispositions. Il est pourtant clair qu’il ne joue pas du tout son rôle de répartition, qu’il entraîne des démarches coûteuses et longues pour les Etats et pour les juridictions. C’est un système qui ne présente d’intérêt pour personne.
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Quelles seront les répercussions sur le travail social en France ?
Sans connaître les règlements d’application, c’est un peu tôt pour tout anticiper. La réforme prévoit des marges de manœuvre très importantes pour les Etats alors qu’elle est vouée à proposer des termes très précis… Pourtant beaucoup de dispositions laissent leurs applications incertaines, notamment sur ce volet-là.
Il est certain que les demandeurs d’asile passeront par un dispositif de privation de liberté, par une coercition à l’arrivée et par un durcissement des possibilités d’obtenir une protection. Les moyens d’intervention des professionnels pourraient se voir complexifiés et réduits pour l’accompagnement du plan psychique des arrivants, par exemple. Ce n’est pas anodin d’être privé de liberté pour des familles ou des enfants. Cela a aussi un impact sur les perspectives et la confiance que le public met dans la démocratie et dans la justice. La réduction des droits complique les parcours d’intégration. Le fait d’accueillir les gens comme s’il s’agissait de délinquants génère des conséquences. L’intégration est un mouvement qui va dans les deux sens.
Prévoyez-vous des actions pour garantir davantage le respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile ?
Comme le texte est validé, la principale action que nous mènerons reste notre travail de plaidoyer autour des textes d’application. Des comités de rédaction s’organisent. Nous tâcherons de défendre les droits des demandeurs d’asile auprès des Etats membres.
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