Quelques annonces, mais peu d’engagements fermes. Les 35 associations, fédérations et réseaux de lutte contre la pauvreté et l'exclusion (ATD quart-monde, Secours catholique, Uniopss, Médecins du monde, FAS, etc.), invitées le 3 juin par Catherine Vautrin à un point d’étape sur le « pacte des solidarités », seront en partie restées sur leur faim. C’était d’ailleurs la première fois que l’exécutif réunissait les parties prenantes du pacte depuis l’entrée à Matignon de Gabriel Attal. Déception : contrairement à la « tradition » initiée par Jean Castex et poursuivie par Elisabeth Borne, ce n’était le Premier ministre en personne qui présidait la séance mais sa ministre chargée du Travail, de la Santé et des Solidarités.
Changement de braquet social
L’occasion de l’alerter sur « la dégradation de la note sociale de la France », indiquait Noam Leandri, président du collectif Alerte. Car depuis la réélection du chef de l’Etat, le pacte – qui a succédé en 2023 à la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté qu’avait initiée Emmanuel Macron en 2018 – a reçu de sérieux coups de canif. « Elisabeth Borne nous avait promis une augmentation de 50 % des moyens dédiés à la lutte contre la pauvreté. On ne les voit pas sur le terrain ! », prévient le président du collectif.
Et la série de réformes et autres coups de rabot budgétaires mis en place ou annoncés par le gouvernement sur l’aide médicale d’Etat (AME), l’insertion par l’activité économique (IAE), le revenu de solidarité active (RSA) ou, plus récemment, le durcissement de l’indemnisation du chômage, traduisent un net changement de braquet en matière de politiques sociales, corroboré par un discours public identifié comme « stigmatisant pour les plus vulnérables » par les associations engagées dans le collectif.
« Dans le bon sens », mais...
Toutefois, les annonces de la ministre ont été perçues comme « allant dans le bon sens ». Pêle-mêle, celle-ci a ainsi évoqué :
- la reconduite du contrat d’engagement jeunes (CEJ) en 2025, ce dispositif d’accompagnement renforcé des moins de 25 ans sans emploi, diplôme ou formation qui a succédé à la garantie jeunes en 2020 et dont l’avenir après la fin de l’expérimentation en 2024 était incertain ;
- l’arrêt des contrôles policiers lors des distributions alimentaires pendant les Jeux olympiques ;
- la mise en stand-by de la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droit que le Premier ministre s’était engagé à remplacer par le RSA dans son discours de politique générale de janvier dernier. Cependant, sur ce dernier point, il est davantage question du gel d’une mesure que d’une annulation : « Au moment où le gouvernement fait la réforme de l’assurance chômage, ce n’est pas un sujet d’actualité immédiat », tempère-t-on dans l’entourage de Catherine Vautrin.
RSA : une évaluation avant l'extension
La réforme du RSA inquiète d’ailleurs particulièrement les acteurs de la solidarité. Car le nouveau système, qui conditionne désormais le versement de l’allocation à 15 heures « d’accompagnement renforcé » de ses bénéficiaires par les équipes de France travail, actuellement en test dans 49 départements, doit être étendu à l’ensemble du territoire dès 2025. « Or on nous remonte des situations où cette mesure se traduit par 20 à 30 % de radiation des allocataires dans certains départements », s’alarme Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD quart-monde.
Surtout, avec 1,9 million de bénéficiaires du RSA automatiquement inscrit sur les listes de France travail, les réseaux associatifs doutent de la capacité de la structure à fournir à chacun un accompagnement individuel de qualité. Daniel Goldberg, président de l’Uniopss, estime ainsi que pour garantir le niveau de service attendu, quelque 27 400 agents seraient à recruter d’ici l’année prochaine. Or, pour l’instant, le renfort se limite à 325 conseillers. Une situation qui pousse les associations à réclamer une évaluation de l’expérimentation en préalable de toute extension du dispositif.
Renvoi à la loi de finances 2025 ?
Sur d’autres points en suspens, tels la tarification sociale de l’eau, la mise en place de la solidarité à la source, le triplement du montant du chèque énergie ou les stratégies de lutte contre le non-recours, silence radio du côté du ministère. Laissant présager que ces sujets seront traités lors de l’élaboration du prochain projet de loi de finances 2025. Or, à l’heure où Bercy cherche des économies, ce renvoi fait redouter « que les pauvres ne deviennent la variable d’ajustement des équilibres budgétaires », explique Jean Merckaert, directeur de l’action et du plaidoyer France-Europe au Secours catholique.
Dans ce flou général et au vu de la trajectoire que semble prendre l'exéxutif, difficile aux réseaux associatifs d’imaginer que l’engagement de 2018 d’Emmanuel Macron « d’éradiquer la pauvreté à l’horizon 2030 » puisse être tenu. A moins d’un infléchissement sensible des politiques publiques en ce sens…