Chaque année, les acteurs du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE) permettent à 140 000 personnes éloignées de l’emploi de devenir salarié. Fraichement nommé délégué général de la Fédération des entreprises d’insertion (FEI), qui regroupe 800 sociétés adhérentes, Matthieu Orphelin retient de multiples avantages à leur essor.
ASH : Pour quelles raisons avez-vous souhaité vous engager dans le secteur de l’IAE ?
Matthieu Orphelin : Je suis persuadé que les transitions écologique et solidaire constituent un même combat. Pour réussir à répondre à leurs enjeux, il faut une modification en profondeur de notre société, notamment sur le plan de l’économie. Pour aboutir à de réels changements, il est nécessaire de s’appuyer sur des éclaireurs, des modèles précurseurs. Et les entreprises d’insertion sont aux premières loges de ce nouveau modèle économique.
Lors de mes deux mandats politiques en tant que vice-président de la région Pays de la Loire et de député du Maine-et-Loire, j’ai pu observer de nombreux liens entre les freins liés à la formation, à l’emploi, à l’insertion des jeunes et des personnes en situation de handicap, et à la lutte contre le décrochage scolaire. Tout s’entremêle. La prise en compte des parcours individuels dans l’insertion s’avère aussi essentielle. Les réponses à l’ensemble de ces défis s’inscrivent clairement dans les problématiques relevées au sein des filiales de l’IAE.
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A quels changements fondamentaux faites-vous référence ?
En premier lieu, il faut être clair et savoir quel modèle économique nous souhaitons pour nos territoires : le choix se porte-t-il sur une croissance qui ne profite qu’à quelques-uns ou doit-on miser sur un développement qui permette à chacun de s’émanciper ?
Ensuite, la chasse aux idées reçues est nécessaire. De nombreuses personnes ne comprennent pas qu’il y ait beaucoup d’offres d’emploi non pourvues avec, en face, de nombreux demandeurs d’emploi. La réponse n’est pas simple. Pour certains, et c’est ce que les entreprises de notre fédération permettent, l’insertion nécessite un accompagnement fort en amont, que ce soit en termes de reprise de confiance, d’acquisition de compétences, de mobilité, de logement, d’addictions ou de maîtrise de la langue. Bref, il s’agit d’un travail de précision pour lever les freins personnels à chacun sur une période qui peut s’étendre sur deux ans et qui facilite l’obtention d’un emploi durable dans des entreprises traditionnelles.
Pourquoi la précision et l’individualisation de l’accompagnement sont-elles essentielles ?
Même dans les périodes où le taux de chômage est faible, le nombre de personnes éloignées de l’emploi reste important. Certes il n’y a pas de recette magique pour y parvenir mais on peut compter sur la méthode qui consiste à associer la performance économique à l’utilité sociale. C’est un double défi de conjuguer l’insertion à l’efficacité économique.
Au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPPV) et des zones rurales, l’accès à l’emploi est plus compliqué qu’ailleurs. Mais ce n’est pas qu’une affaire de nombre, il s’agit à chaque fois d’un profil, d’une vie, d’une aventure personnelle et les freins sociaux à lever sont propres à chacun.
En termes de possibilités, dans les entreprises d’insertion, le panel de métiers est très large : transition écologique ou numérique, bâtiment, paysages, industrie, logistique… La diversité des secteurs d’activités offre de très belles possibilités de parcours au public.
La mise en place de France travail débute. Le secteur de l’IAE a participé à l’élaboration de la loi pour le plein emploi. Quelles sont les priorités ?
Nous espérons que les réponses aux problématiques de l’insertion actées par le lancement de nouvelles expérimentations sur les territoires seront prises en compte. De plus, dans le contexte du remaniement gouvernemental, les priorités politiques annoncées par le nouveau Premier ministre Gabriel Attal portent sur l’économie et notamment sur l’insertion des jeunes. C’est un thème sur lequel les entreprises de la fédération peuvent être force de propositions.
Pour Matignon, la simplification de la vie des entreprises semble également être à l’ordre du jour. A notre sens, elle est nécessaire et nos préconisations n’attendent qu’à être entendues. Nous les porterons d’ailleurs auprès des nouveaux responsables de cabinets ministériels. Par exemple, aujourd’hui, le conventionnement est le plus souvent départemental, ce qui n’est pas le plus simple pour des entreprises qui étendent leurs activités sur plusieurs régions.
Nous comptons par ailleurs nous inscrire, dans les prochains mois, comme partie prenante de l’élaboration de la nouvelle feuille de route de l’IAE et du projet de loi sur le logement.
Quels rapports faites-vous entre les enjeux écologiques et ceux de l’insertion ?
Il n’y a pas de transition écologique sans solidarité. Le principal potentiel réside dans le développement d’emplois non délocalisables. On les retrouve particulièrement dans les champs de la transition écologique. Cela concerne, par exemple, la rénovation énergétique des bâtiments, l’économie circulaire, la gestion des déchets ou des nouvelles mobilités, une agriculture plus durable et plus locale, et tout cela créé d’importantes opportunités pour l’économie et le maintien de l’emploi. Ce potentiel est déjà présent au sein des entreprises d’insertion. Pour une entreprise, réussir à cumuler activité économique, solidarité et transition écologique, c’est le tiercé gagnant ! Et qui sait, peut-être qu’un jour, dans quelques dizaines d’années, ce type de modèle sera celui de toutes les entreprises. Aujourd’hui, on en est loin.
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