Comment fonctionnent les pensions de famille ? Ces résidences où les locataires, aux situations psychologiques et sociales complexes, bénéficient d’un accueil sans condition de durée et d’un accompagnement individuel comme collectif restent atypiques. A l’occasion de la semaine nationale des pensions de famille, organisée du 9 au 15 octobre par plusieurs fédérations (1) et par le ministère chargé du logement, levons le voile sur la dynamique impulsée et sur ses limites...
Les caractéristiques des pensions de famille :
1. Des usagers aux profils précis
Ce type de résidences sociales s’adresse à des personnes issues de la rue, des hommes âgés de 50 ans en moyenne. Leur durée de vie sans domicile est élevée et leur parcours social, complexe. Ils intègrent les logements, en moyenne, pour trois à cinq années. « Autant au début, l’esprit familial est intéressant car les gens se retrouvent autour de parcours et de difficultés similaires, mais ils peuvent ensuite avoir envie de s’extraire de cet environnement qui les rattache à leur histoire », souligne Arnaud de Broca, délégué général de l’Unafo (Union professionnelle du logement accompagné). L’orientation du public vers les résidences émane majoritairement des SIAO (services intégrés de l’accueil et de l’orientation) bien que les équipes de maraude ou les services d’accompagnement sociaux locaux y contribuent aussi. Le type de candidatures doit correspondre au projet social de la pension de famille, décidée par son association gestionnaire.
2. Des logements pérennes
Souvent apparentées à de l’hébergement d’urgence, les pensions de famille sont en réalité des dispositifs locatifs pérennes. Les immeubles accueillant le public sont composés, en moyenne, de 25 appartements de petite taille et meublés. En effet, l’appellation « pension de famille » n’entend pas recevoir des familles mais des individus seuls et isolés avec un enjeu de resocialisation. Pour ce faire, des espaces collectifs sont aménagés. Parmi les singularités de ce type de résidences, l’aspect durable. Le public accueilli y reste autant de temps qu’il le souhaite contrairement à d’autres types d’habitats accompagnés, considérés comme des « tremplins ».
3. Une organisation collective
En 2023, plus de 22 000 logements en pensions de famille sont recensés. Malgré la multiplicité des projets, le collectif constitue le facteur commun pour combattre la solitude par la création de liens. Agrémentés de repas, de sorties ou d’ateliers avec des intervenants d’associations locales, ces temps partagés se révèlent plus efficients lorsque le public contribue à leur organisation et que les différentes personnalités s’accordent. L’élan donné et la bonne coopération du groupe tiennent surtout au travail des hôtes des pensions de famille.
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4. Les professionnels, entre coordination et accompagnement
Outre les partenariats locaux et la dynamique du collectif, rendue parfois difficile par les comportements des locataires, pour les professionnels, le projet global ne s’arrête pas aux moments de partage. Les missions se sacralisent aussi dans l’accompagnement social individualisé : démarches d’accès aux droits, mise en relation avec des intervenants en santé… De manière générale, chaque pension de famille emploie deux salariés en équivalent temps plein, renforcés par des temps d’astreinte. Ces permanences permettent de prévenir ou de résoudre des problématiques propres aux résidences : squats, tensions de voisinage, problèmes de santé…
5. Des hôtes aux profils multiples
La sélection des salariés s’effectue sans contrainte. Rien n’impose l’obtention préalable d’un diplôme d’Etat de travailleur social. Certaines associations privilégient des duos formés d’au moins un professionnel, comme un assistant de service social, quand d’autres font appel à des animateurs ou à des moniteurs-éducateurs. Créé par l’Unafo, un diplôme de responsable de structure du logement accompagné existe toutefois.
6. Limite des ressources humaines
Comme dans les autres champs de l’action sociale, l’attractivité reste complexe pour les associations gestionnaires. Malgré la hausse du recours à des soignants ou à des médiateurs en santé, les difficultés d’accompagnement liés aux profils du public, à la gestion de la perte d’autonomie des résidents ou aussi aux décès expliquent le turn-over observé. « Au regard de la pénurie de médecins dans certains secteurs, il n’est pas toujours facile pour les professionnels de trouver un service psychiatrique à même de répondre aux besoins spécifiques des résidents », estime Arnaud de Broca. « Par ailleurs, avoir recours à un binôme pour accompagner 25 personnes constitue un bon ratio, mais au regard de la difficulté des missions, même à deux, il est possible de se sentir seul. Il s’avère donc essentiel de créer des réseaux entre associations pour échanger sur les pratiques », ajoute-t-il.
7. Des usagers protégés
Chaque mois, les locataires paient une redevance. Solvabilisés par l’aide personnalisée au logement (APL) spécifique aux foyers, ils s’acquittent d’un loyer mensuel, charges comprises. Il s’agit donc, pour eux, d’un modèle protecteur face à l’inflation et à l’augmentation des prix des « fluides » (coût de l'énergie). A contrario, leur impact influe directement sur les associations gestionnaires, à qui il revient de payer le reste à charge.
8. Des élus réfractaires
Renforcé par les deux plans gouvernementaux pour le Logement d’abord visant à lutter contre les situations de grande précarité persistantes, le nombre de places en pensions de famille a doublé depuis 2016. Malgré cette hausse, les associations peinent à convaincre les élus municipaux de l’efficience des projets. Les craintes opposées tiennent à la concentration d’un public marginal au sein d’un même lieu. Néanmoins, le faible nombre d’appartements par résidence et la réponse aux besoins concrets des communes pour gérer les personnes à la rue représentent des arguments entendables. Face à cet obstacle, s’ajoute la durée de la production du bâti.
9. Une lente production
Economiquement, les montages financiers pour créer ces dispositifs dépendent de la volonté de différents interlocuteurs : collectivités territoriales, communes… En tant que logements financés par le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) adapté, des subventions de l’Etat interviennent aussi dans leur fonctionnement, à hauteur de 19,50 € par jour et par logement afin de payer les salaires des hôtes. « La recherche de moyens et de fonciers expliquent le temps long des productions. Cinq années s’avère être une durée raisonnable », détaille le délégué général de l’Unafo. « Bien qu’il n’y ait pas suffisamment de pensions de famille pour couvrir l’ensemble des besoins, nous observons des ouvertures régulières. »
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10. Des modèles hétérogènes
Majoritairement affilié à une seule association, le type de gestion de ces logements diffère en fonction de la taille des structures administratrices. D’autres formes s’imposent comme une organisation partagée entre le bailleur et le gestionnaire ou la gestion pleine et totale par l’association, elle-même bailleur.
11. Un déploiement sur 25 ans
Les pensions de famille ou « maisons relais » sont nées d'un programme expérimental lancé en 1997 sur la base d'un appel à projets par les ministères du Logement et de l'Action sociale. Elles ont ensuite été consacrées par la circulaire du 10 décembre 2002 avant de connaître une nouvelle impulsion sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Basées sur l’ensemble du territoire et majoritairement au cœur de villes proches des commerces et des lieux sociaux, elles répondent aussi à certains besoins spécifiques de zones rurales. Aucune limite de production par commune n’est prévue.
12. Des enjeux de coopération
« L’accompagnement que nous proposons aux gestionnaires de pensions de famille se porte sur le modèle économique et le montage de projets. La création de coopérations interdépartementales ou nationales représentent un sujet fort chez nos adhérents », indique Arnaud de Broca. Autre point d’attention : la production de logements s’avère primordiale, le faible turn-over des résidents (un ou deux logements vacants par pension et par an) freinant l’accession à un logement pour ce public. Enfin, la réhabilitation de certains bâtiments pour répondre à la perte d’autonomie des résidents s’avère nécessaire.
(1) L’Unafo, la Fédération des acteurs de la solidarité, Habitat & humanisme, la fondation Abbé Pierre, Solidaires pour l’habitat, la Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l’insertion par le logement et l’Union sociale pour l’habitat sont les partenaires de l’événement.
>> Programme de la semaine nationale des pensions de famille
C'est quoi une #PensionDeFamille ?
— Unafo (@UnafoUnion) October 5, 2023
Ce sont des petites structures d'une vingtaine de logements individuels et accompagnés destinés à des personnes dont la situation sociale et psychologique rend difficile l’accès à un logement ordinaire.
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