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« Les CHRS ont encore un rôle à jouer »

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Cédric Sadin-Cesbron, auteur de "Habiter en CHRS. Faire comme chez soi, quand on est pas chez soi". (éd. érès)

Crédit photo DR
Le droit au logement peut-il devenir une contrainte pour les publics « désaccordés » ? Pour Cédric Sadin-Cesbron, formateur, il faut apporter des réponses nuancées à un problème complexe. Et si brûler les CHRS n’est plus à l’ordre du jour, les pistes ne manquent pas pour les réformer.
 
 

Cédric Sadin-Cesbron (1) est responsable formation supérieure et recherche à Ocellia (Lyon).  Cet éducateur spécialisé de formation s’est intéressé à la vie en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), oscillant entre hospitalité et coercition. Nuançant la politique du Logement d’abord, il invite à réinvestir ces établissements pour mieux prendre en compte la diversité des publics.

 

Vous avez étudié la vie en CHRS à l’heure du Logement d’abord. Quels constats dressez-vous ?

Lorsque j’ai débuté une recherche dans le cadre d’un master 2, j’étais éducateur au CHRS Riboud, devenu Bell’Aub, à Lyon. Militant du Logement d’abord, je considérais que l’approche collective et « en escalier » n’était pas bonne, rejoignant d’une certaine manière le principe de « désinstitutionnalisation », qui suggère de fermer les établissements spécialisés. Au terme de mon travail, je suis parvenu à la conclusion que les CHRS avaient encore un rôle à jouer. Et que le Logement d’abord avait aussi ses limites : il ne s’applique pas à tous les publics. Si certains résidents refusent le collectif, perçu comme toxique, d’autres s’en satisfont, même s’ils peuvent se montrer critiques vis-à-vis du bâti ou des règles de fonctionnement.

Ces personnes font écho à ce que le sociologue Christian Laval décrit comme des publics « désaccordés ». En raison de leur parcours de vie (rue, prison, hôpital psychiatrique…), elles ressentent le besoin d’être protégées du milieu ordinaire, perçu comme compétitif. Alors que les travailleurs sociaux sont supposés favoriser une sortie rapide vers une solution pérenne, elles ne souhaitent pas s’inscrire dans un projet d’accès au logement. C’est un élément que je refusais d’entendre jusque-là.

 

Qu’est-ce qui vous a fait évoluer ?

Le fait d’avoir travaillé avec quatre résidents du CHRS, qui ont co-enquêté avec moi auprès des anciens résidents partis en logement. J’ai choisi cette démarche, proche du soutien par les pairs, avec l’idée que l’expérience commune favoriserait une expression plus libre. Au préalable, je les ai formés à la technique d’interview semi-directive. Puis ils ont réalisé eux-mêmes leur grille d’entretien. Le résultat est un dialogue enregistré, sans ma présence, où les co-enquêteurs peuvent donner leur avis.

Cette méthodologie, le fait d’observer leurs questions, de s’intéresser aux anciens résidents un an après leur départ, a fait dériver le projet vers la temporalité des séjours. Dans tous les entretiens, la question de la pression à la sortie de l’établissement est apparue. Certains avaient accepté des logements rapidement, sans vraiment l’avoir souhaité, par peur de perdre leur place dans le CHRS. D’autres étaient contents sur le moment puis l’ont regretté.

 

Comment les résidents envisagent-ils la temporalité de leur séjour ?

Il y a ceux qui souhaitent rester et ceux pour qui l’accueil est provisoire. Pour quitter le CHRS, il faut le pouvoir (du point de vue administratif et de la capacité d’habiter un logement) et le vouloir (ce que les professionnels prennent très peu en compte). A partir de là, j’ai établi quatre profils de résidents : ceux qui peuvent et veulent partir, ceux qui peuvent mais ne veulent pas, ceux qui ne peuvent pas et ne veulent pas et ceux qui ne peuvent pas mais veulent partir. Pour représenter visuellement ces parcours, j’ai créé l’outil « cheminements »(2). Il peut être utilisé avec les personnes et les professionnels pour décrire où chacun se situe. S’attacher au vouloir et au pouvoir me paraît plus efficient que le projet personnalisé, avec les cases « santé » et « logement ». J’en tire plusieurs conclusions. D’abord, les parcours étant différents, la réponse des institutions ne peut donc pas être la même. Ensuite, les parcours sont constitués d’une multitude d’étapes : il ne se passe parfois rien pendant longtemps, avec des grandes avancées soudaines ou des régressions, mais jamais un long fleuve tranquille.

 

Comment les institutions se positionnent-elles sur la notion d’habiter ?

On distingue deux grands pôles : la fiction d’hospitalité et la coercition. Dans le premier, les résidents sont invités à faire « comme chez eux ». Une attitude réellement hospitalière consisterait à partir de leur rêve plutôt que de leur projet de vie. Certains commencent à l’envisager. Ces dernières années, des programmes d’humanisation des CHRS se sont développés, avec des règlements assouplis et des activités qui permettent de considérer l’établissement comme un lieu de vie. Le second pôle est autoritaire et coercitif. On maintient un « chez soi » impossible, avec des contrats de six mois renouvelables, des interdits (contrôle des présences ; interdiction d’héberger la nuit ; absence d’intimité, l’institution conservant les clés et imposant des visites pour s’assurer que le ménage est bien fait…). Souvent, la participation des usagers est peu reconnue.

 

A quelles mutations sont confrontés les CHRS aujourd’hui ?

Les CHRS sont soumis à de nombreux paradoxes, notamment une pression permanente à la sortie malgré la loi sur la continuité de l’hébergement. Le parc essaye de s’adapter à la nouvelle philosophie du Logement d’abord. Au niveau national, les budgets alloués ont baissé de 3 % entre 2018 et 2022 pour financer la nouvelle politique. Les CHRS s’adaptent aux critiques.

Certains sont transformés en pension de famille – une réponse intéressante mais qui ne correspond pas à tous les profils. D’autres font disparaître les monoblocs, remplacés par de l’habitat diffus dépourvu de dimension collective. Des places en diffus ont basculé en logement, via des dispositifs d’intermédiation locative (IML), comme cela se fait beaucoup dans le Rhône. Parfois jusqu’à l’absurde : à Bell’Aub, les places de CHRS ont basculé en IML, tout en conservant les interdits classiques d’un établissement, et sont limitées à 18 mois. C’est un dévoiement de la philosophie originelle du Logement d’abord, où la personne doit pouvoir choisir où et comment elle habite.

Il faut veiller à ce que le droit au logement ne devienne pas une injonction à l’autonomie, synonyme de maltraitance. Pendant 50 ans, on a défendu le modèle des CHRS. Maintenant, il faudrait les brûler pour favoriser le Logement d’abord. Ces paradigmes qu’on oppose manquent de nuances, alors même que le public est complexe et varié.

 

Comment faut-il repenser le modèle du CHRS ?

Une première critique porte sur les interdits. Les résidents n’arrivent pas à tenir, avec raison tant les règles sont parfois contraignantes (interdiction d’héberger des tiers la nuit, de consommer de l’alcool, d’avoir un animal…). Il serait pourtant souhaitable d’aligner les règlements sur le milieu ordinaire, pour avoir un chez-soi, même en hébergement. Ensuite, la taille de la structure est importante : le collectif peut être aidant, à condition qu’il ne dépasse pas 20 à 25 résidents, comme en pension de famille. L’accompagnement social aussi doit pouvoir évoluer pour ne plus être imposé, avec des professionnels agissant comme des personnes ressources. Enfin, pour sortir de l’aspect normatif du CHRS, il faudrait envisager l’habitat au sens plus large. Cesser de percevoir l’insertion comme étant constitué du logement et de l’emploi. Et surtout, ne plus considérer le provisoire comme une norme, forcément précaire, et installer des places pérennes. Certains en feraient un tremplin vers autre chose, d’autres prendraient le temps d’« habiter ».

 

Notes

(1) Cédric Sadin-Cesbron vient de publier "Habiter en CHRS. Faire comme chez soi quand on n'a pas de chez soi", préface de Bertrand Ravon (éd. érès)

(2) Disponible sur le site de la FAS

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