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"La France mène une politique migratoire de plus en plus maltraitante" (Samu social)

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Pour Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, les régularisations prononcées dans le cadre de l’admission exceptionnelle (circulaire Valls) risquent de diminuer drastiquement avec les nouvelles règles annoncées par Bruno Retailleau.

[ENTRETIEN] Une nouvelle circulaire du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, publiée le 23 janvier, annonce restreindre davantage l'admission exceptionnelle au séjour. « Un durcissement » dénoncé par Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris.

Après une loi « asile et immigration » déjà décriée par les associations, la dernière circulaire émanant du ministre de l'Intérieur – venant abroger celle de Manuel Valls (2012) – durcit encore les conditions de régularisation, entre autres à travers de plus strictes conditions d'intégration. Le point avec la directrice générale du Samu social, Vanessa Benoit.

 

ASH : Avant même cette circulaire, quelles sont les difficultés pour accompagner l’obtention d’un titre de séjour ?

Vanessa Benoit : Aujourd’hui à Paris, le délai moyen entre la prise de rendez-vous et la décision de la préfecture – qu’elle soit positive ou négative – est de 32 mois et demi. C’est ce que nous constatons sur le terrain et ce que reconnaissent aussi les services de la préfecture de police. On est quasiment à trois ans d’attente. Les démarches de régularisation sont longues et compliquées. Au préalable, il faut déjà plus de six mois pour obtenir un rendez-vous et le temps d’instruction du dossier.

Le deuxième obstacle : la dématérialisation massive des procédures via le téléservice « ANEF ». Ce système ne convient pas à tout le monde car il nécessite une maîtrise des outils numériques. Par ailleurs, une procédure dématérialisée fonctionne sur des cas très standards, alors que la réalité administrative des personnes est souvent complexe. Avant, au guichet, il était possible d’expliquer sa situation. Ce n’est plus le cas avec un service en ligne. Que fait-on des personnes qui n’entrent pas dans les cases du système informatique ?

Enfin, il y a un vrai problème dans la transmission d’informations entre l’ANEF et les préfectures. Cela crée des pertes de dossiers et des ruptures de droits.

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Quels seront les effets de ce nouveau durcissement des règles de régularisation ?

Les personnes sans domicile connaissent une précarité extrême qui les empêche de réunir les documents nécessaires à leur régularisation. Quand on est en errance, que l’on doit changer constamment de lieu de vie, il est difficile de stocker des papiers officiels.

Ce qui est paradoxal, c’est que nous, Samusocial de Paris, étant un groupement d’intérêt public (GIP), nous pourrions attester qu’une personne est suivie par nos services depuis plusieurs années. Mais ces attestations ne sont pas considérées comme probantes pour prouver la durée de séjour en France.

Autre difficulté : les motifs de rejet des demandes de régularisation sont de plus en plus restrictifs. Avant, la simple présence sur le territoire depuis dix ans pouvait suffire. Aujourd’hui, il faut prouver une intégration familiale ou professionnelle. Mais comment demander à une personne qui vit dans l’exclusion depuis une décennie d’avoir un emploi stable et des attaches familiales ?

Il y a aussi un problème avec la notion de « menace à l’ordre public ». Désormais, toute mention dans un fichier de police peut entraîner un rejet de dossier, même pour des infractions mineures comme la fraude dans les transports. Enfin, la reconnaissance du travail des personnes sans papiers est très compliquée. On exige des contrats et des fiches de paie en bonne et due forme, alors qu’en situation irrégulière, il est très difficile d’obtenir ces documents. 

Qu'en est-il du dispositif d’hébergement d’urgence ?

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas répondre à toute la demande d’hébergement. Chaque jour, le 115 de Paris enregistre plusieurs centaines de demandes non pourvues. Cette saturation est due au fait que les personnes restent très longtemps dans les centres d’hébergement, parce qu’elles ne peuvent pas accéder au logement tant qu’elles ne sont pas en situation régulière. Avec la nouvelle circulaire, cela va empirer. Désormais, tout refus de régularisation s’accompagnera automatiquement d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). De plus, la durée d’exécution de cette obligation a été allongée : avant, une personne devait attendre un an avant de pouvoir déposer une nouvelle demande. Maintenant, c’est trois ans.

Ajoutez à cela l’exigence de prouver une intégration sur sept ans... On parle donc d’un délai total de neuf à dix ans avant de pouvoir espérer une régularisation. C’est une absurdité totale. Pendant tout ce temps, ces personnes vivront dans des conditions déplorables, avec des impacts terribles sur leur santé, leur vie sociale et celle de leurs enfants. Ces derniers grandissent en France, c’est leur seul pays. A terme, ils seront des citoyens français, mais ils auront vécu dans des conditions de grande précarité avec des effets désastreux sur leur développement.

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Le gouvernement, lui, parle de lutter contre « l’appel d’air » et de favoriser une meilleure intégration...

Cet argument est avancé depuis 30 ans et il ne tient pas. J’ai l’impression que nous vivons dans deux réalités parallèles. Au contraire, la nouvelle circulaire réduira toute capacité d’intégration. Les politiques de non-accueil n’ont jamais réduit l’immigration. En France, nous sommes dans la moyenne européenne. Les flux migratoires correspondent à la réalité mondiale. Ces personnes viennent ici parce qu’elles veulent une vie meilleure et parce que la France a besoin d’elles.

Elles travaillent déjà, dans des secteurs en tension comme l’aide à la personne, l’hôtellerie-restauration ou le bâtiment. Dans certains départements, des statistiques démontrent que plus de 70 % des personnes travaillant auprès de nos aînés sont nées à l’étranger. Plutôt que de leur imposer 10 ou 15 ans de souffrance, de précarité, de mauvais traitements, de vies de famille exécrables avant de reconnaître leur apport à la société, on devrait mettre en place une politique d’accueil cohérente et humaine. Ce sont elles qui vont s’occuper de nos personnes âgées et travailler dans nos crèches.

>>> à lire aussi : Communiqué du Samu Social de Paris

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