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"Il y a une cabale politique et médiatique contre l’AME" (Matthias Thibeaud, Médecins du monde)

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Aide Médicale de l'Etat

"L’ensemble des pistes envisagées dans la réforme de l'AME éloigneraient encore davantage la prise en charge préventive et précoce, y compris en matière de santé sexuelle, reproductive et pédiatrique, les mères étant dans une grande majorité en responsabilité de la santé des enfants" Note interassociative d'octovre 2024, Médecins du Monde, ADES, Women for women France, le Planning familial.

Crédit photo Formulaire de demande d'Aide Médicale de l'Etat (AME)., France Bouzic, France GARO/PHANIE (Photo by GARO / Phanie / Phanie via AFP)
L’aide médicale d’Etat (AME) pourrait faire l'objet d'importantes restrictions d’ici à 2025. Limitation des publics éligibles, conjugalisation des ressources, exigence de pièces justificatives, autant d'annonces qui soulèvent les inquiétudes du monde associatif. Décryptage avec Matthias Thibeaud, référent plaidoyer sur la thématique accès aux droits santé à Médecins du monde.

Avec 466 000 bénéficiaires de l'AME en 2023, cette réforme pourrait bien être un tournant pour l’accès aux soins des personnes sans papiers en France. Matthias Thibeaud, de Médecins du monde, analyse pour ASH, les risques majeurs de cette série de restrictions annoncées.

ASH : Quelles sont les attaques actuelles contre l’AME ?

Mattias Thibeaud  Depuis la rentrée, il y a une cabale médiatique et politique contre l’AME. Avec beaucoup d'infox, et des contre-vérités, selon lesquelles les clandestins auraient accès à tous les soins en France. C'est faux. De nombreux critères sont requis pour y avoir accès. Le panier de soins AME est plus réduit que celui des assurés sociaux. En sont notamment exclus : les frais d’examen de prévention bucco-dentaire pour les enfants, les frais de traitement et d’hébergement des personnes handicapées, les indemnités journalières ou encore les médicaments à faibles services rendus et les cures thermales.

Une proposition de loi portée par Les Républicains, déposée mi-septembre, présente des pistes de restrictions assez conséquentes de l’AME. Elle n’a pas encore été enregistrée au calendrier de l’Assemblée nationale, mais elle pourrait être examinée dans les prochains mois. Mardi dernier, Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, a formulé des attaques très fermes contre l’AME, contrebalancées par la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, qui défend clairement son importance en termes de santé publique. De son côté, le ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, a déclaré, lors de la cession des questions au gouvernement, que des dispositions allaient être prises pour restreindre l’AME par décret. Donc, en ne passant pas devant le Parlement.

Quels sont les principales conséquences de ces restrictions éventuelles ?

Tout d'abord, il faut bien comprendre qu’il s'agit d’une intention du gouvernement de restreindre les publics éligibles à l’AME. Notamment les personnes étant sous le coup d’une mesure d’éloignement. Nous sommes très inquiets à Médecins du monde. On est là dans une confusion entre des impératifs de santé publique et des considérations de politiques migratoires. On mélange tout et c’est dangereux. Rationalisons le débat et arrêtons avec le mythe de « l'appel d'air et de la fraude ». Personne ne quitte son pays, au péril de sa vie, pour se faire soigner en France.

Si cette réforme est mise en place, de nombreuses personnes sans papiers se retrouveront privées de soins. Cela signifie une dégradation rapide de leur état de santé, une aggravation des pathologies non traitées et, dans certains cas, un risque pour leur vie. La réforme pourrait limiter encore plus l’accès à l’AME, notamment en restreignant les bénéficiaires ou en réduisant le panier de soins. Cela entraînerait des retards de traitement, des complications médicales graves, des risques pandémiques et, in fine, des coûts bien plus élevés pour le système de santé, ainsi qu'une surcharge de travail pour les professionnels, car les patients finissent souvent par être admis aux urgences dans des états critiques.

>>> à lire aussi : Approche communautaire : Médecins du monde au chevet des livreurs ubérisés (3/9)

Quid d’un nouveau calcul des ressources, dont le projet de conjugalisation ?

Le gouvernement propose des ajustements « mineurs » à l'AME, mais nous savons que de telles modifications peuvent avoir de lourdes conséquences, en particulier pour les femmes étrangères en situation précaire. Actuellement, pour être éligible à l’AME, il faut avoir des ressources inférieures à 847 € par mois pour une personne seule, ou 1 280 € pour un foyer de deux personnes. Mais le gouvernement veut maintenant prendre en compte les revenus du conjoint dans les couples où l’un des partenaires est sans papiers et l’autre est assuré social.

Si cette réforme passe, de nombreuses femmes étrangères vivant avec un conjoint français ou régularisé dépasseront le plafond de l’AME et perdront leur couverture santé. Ces femmes sont souvent victimes de violences économiques et administratives, et cette mesure risque de renforcer leur dépendance conjugale, car elles devront compter sur leur conjoint pour financer leurs soins. Cela pourrait également aggraver les situations d’emprise dans lesquelles elles se trouvent parfois.

Les femmes sans papiers, déjà extrêmement vulnérables, risquent de perdre leur autonomie en termes de santé, car elles dépendront de leur conjoint pour prouver leurs ressources et accéder aux soins. Cela peut les contraindre à rester dans des situations de violence pour ne pas perdre cette couverture vitale. Les violences conjugales sont souvent invisibles, et cette mesure pourrait les exacerber en mettant encore plus de pression sur ces femmes, déjà marginalisées et isolées.

>>> à lire aussi : Nouvelle loi immigration, "une poudre de perlimpinpin" (Najat Vallaud-Belkacem)

Vous pointez les obstacles administratifs qui augmenteraient le non-recours aux soins...

Les personnes sans papiers, même parmi les plus précaires, sont souvent exclues de l'aide médicale d'Etat. Le dispositif est restrictif à la base, toutes les personnes en situation irrégulière n’y ayant pas droit, et parmi celles qui sont éligibles, il y a un très fort taux de non-recours. Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) de 2019 montre qu'une personne éligible sur deux ne bénéficie pas de l'AME. Cela s'explique par le manque de connaissance de ce droit, mais aussi par les nombreux obstacles administratifs.

Il est très difficile de réunir les pièces nécessaires à la constitution d’un dossier AME. Dans certaines caisses primaires d’assurance maladie, l’accueil des sans-papiers est limité, parfois avec une seule agence pour tout un département, comme en Seine-Saint-Denis. Cela expose les personnes sans-papiers au risque de contrôle et d'arrestation. Les déplacements sont dangereux, et pour déposer un dossier AME, il faut souvent prendre rendez-vous en appelant un numéro surchargé, le 3646. Obtenir un interlocuteur peut prendre jusqu'à 45 minutes, et les informations fournies ne sont pas toujours fiables. Même si on réussit à obtenir un rendez-vous, respecter l’échéance est difficile pour des personnes en situation de précarité.

Le manque de personnel formé, les barrières linguistiques, et les modalités d'accueil souvent inadaptées rendent le parcours d’accès à l’AME extrêmement difficile. C'est un véritable parcours du combattant, bien éloigné de la facilité que les détracteurs du dispositif décrivent. En rendant l’accès à l’AME encore plus complexe, on va mécaniquement augmenter le non-recours aux soins. Moins de personnes se soigneront en amont, ce qui conduira à des situations d’urgence médicales plus graves. Cela aura des conséquences sur la santé publique : certaines maladies contagieuses, comme la tuberculose ou le VIH, qui touchent fortement ces populations, risquent de se propager davantage si les gens ne sont pas pris en charge. Les services d’urgence, déjà saturés, seront encore plus surchargés, et les coûts de prise en charge exploseront, car les pathologies non traitées coûtent bien plus cher lorsqu’elles sont en phase avancée.

Quels sont les autres ajustements prévus ?

L’exigence des pièces d'identité avec photo, requises pour obtenir l’AME, limitant ainsi les documents d’identité acceptés. Cela poserait un problème majeur, car beaucoup de personnes ont perdu leurs documents lors de leur parcours migratoire ou à cause de leur situation précaire en France. De plus, certaines femmes, notamment celles victimes de réseaux d’exploitation ou de violences conjugales, n’ont pas accès à leurs papiers. Ces obstacles supplémentaires compliqueraient encore plus l’accès à l’AME.

Même s’il ne l’a pas clairement annoncé, le gouvernement envisage également d’étendre l’obligation de déposer les demandes d'AME en personne, pour chaque renouvellement annuel, ce qui ajouterait une autre barrière pour les personnes sans-papiers. Ce processus est particulièrement complexe pour les personnes vivant dans des zones où les guichets sont peu nombreux et difficiles d'accès.

L’AME doit-elle vraiment être réformée ?

Malgré les accusations de ses détracteurs, l’AME ne représente que 0,47 % du budget total de l’assurance maladie, un chiffre stable depuis des années. L’augmentation du nombre de bénéficiaires est modérée et résulte directement des politiques migratoires qui compliquent l’accès aux titres de séjour et donc au système de santé de droit commun.

Paradoxalement, Médecins du Monde préconise la suppression de l’AME, mais pour favoriser l’intégration des bénéficiaires dans le régime général de l’assurance maladie. Il est absurde d’avoir deux systèmes de santé sur un même territoire. Nous souhaitons que toute personne vivant en France, quelle que soit sa situation administrative, ait accès à la même couverture santé.

>>> à lire aussi : les décrets d’application de la loi « immigration »

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