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« Il faut une commission insertion à chaque échelon de la gouvernance de France travail » (Antoine Dulin, COJ)

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Pour Antoine Dulin, vice-président du COJ : « Le contrat d'engagement jeune n’a pas tenu sa promesse de s’occuper des plus vulnérables. »

« Bien, mais peut mieux faire ». C’est en substance la conclusion du deuxième rapport sur le déploiement du contrat d’engagement jeunes – dispositif permettant aux jeunes de 18 à 25 ans éloignés de l’emploi de percevoir une allocation en échange de 15 heures d’activité hebdomadaires – que le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) a remis voici quelques jours à Gabriel Attal. Si la réussite quantitative est soulignée, les experts pointent l’échec du ciblage des publics les plus précaires et proposent plusieurs pistes d’amélioration du dispositif. Entretien avec Antoine Dulin, vice-président du COJ.

ASH : Quel bilan établissez-vous du déploiement du contrat d’engagement jeunes (CEJ) ?

Antoine Dulin : Les derniers chiffres dont nous disposons, recueillis en novembre 2023, faisaient état de 540 413 jeunes entrés dans le dispositif pour un taux d’abandon proche de 5 %. Sur le plan quantitatif, le CEJ fonctionne. Mais il faut tout de même apporter quelques nuances à cette réussite. En premier lieu, ces chiffres étaient un peu attendus puisqu’ils recouvrent, en partie, des jeunes qui, au lancement de l'opération, étaient déjà suivis par Pôle emploi dans le cadre de l’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) ou par les missions locales au titre de la « garantie jeunes ». En revanche, la réussite est moindre sur le public spécifique des « jeunes en rupture » puisque l’on n’en identifiait, en septembre dernier, que 6 560 parmi lesquels seuls 1 460 avaient signé un contrat d’engagement jeunes. Il faut également relativiser les données puisque le ministère du Travail ne nous a transmis que celles de Pôle emploi (aujourd’hui France travail) qui affiche un taux de retour à l’emploi durable des jeunes accompagnés de 60 % à leur sortie du dispositif. Un résultat à comparer à celui des missions locales où le retour à l’emploi à 12 mois n’est que de 24 %. Normal : les jeunes que Pôle emploi accompagnent sont en moyenne plus âgés et plus diplômés que ceux des missions locales. Enfin, il y a la question des sorties du dispositif autres que vers l’emploi, sur lesquels nous ne disposons pas de statistiques. Or l’emploi n’est pas l’unique porte de sortie du CEJ : il est aussi possible d’enchaîner sur une formation ou de reprendre les études. En résumé, je dirais que le dispositif a engagé une dynamique intéressante, mais il demeure encore quelques points d’amélioration pour que nous puissions vraiment en tirer un bilan pleinement bénéfique.

Quels points de blocage avez-vous identifiés ?

Le principal problème, c’est que le CEJ n’a pas tenu sa promesse de s’occuper des plus vulnérables, malgré l’appel à projets lancé en avril 2002 pour repérer et intégrer les jeunes en rupture, en dépit de l’investissement des missions locales, des collectivités locales et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). L’autre point de blocage, c’est la difficulté que rencontrent les jeunes les plus éloignés de l’emploi à s’insérer dans un dispositif qui exige 15 heures d’accompagnement par semaine. Certains n’y sont pas préparés car, au-delà de leurs difficultés d’insertion sur le marché du travail, ils sont confrontés à d’autres freins périphériques liés, par exemple, à la mobilité, au logement ou à la santé. De plus, nombre d’entre eux ne sont pas éligibles à l’allocation associée au contrat (530 € mensuels au maximum) car ils ne répondent pas à la condition des 5 mois d’inscription à France travail établie par le dispositif. C’est une barrière qu’il faudra lever si on veut que le contrat d’engagement jeunes fonctionne à plein. Certaines missions locales parviennent à trouver des subterfuges pour contourne le problème, en inscrivant les jeunes en rupture dans un parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) ou en mobilisant le Fonds d’aide aux jeunes (FAJ) de leur département, mais ce n’est pas automatique.

Votre rapport note également un niveau de mobilisation des entreprises inférieur aux attentes.

Oui. Les employeurs n’ont pas été au rendez-vous. On compte 87 000 jeunes inscrits dans un parcours qui prévoit un stage en entreprise dont la durée peut s’échelonner entre une journée et un mois. Or beaucoup de bénéficiaires du CEJ n’ont pas les codes de l'entreprise et les employeurs, de leur côté, peuvent se retrouver désarmés devant des jeunes qui, comme je le disais tout à l’heure, rencontrent parfois d’autres problèmes que ceux d’insertion dans l’emploi. Cela explique en partie la faible mobilisation des PME et TPE dans ce programme. Le problème de l’« employeurabilité » fait partie des dossiers à traiter en urgence pour permettre à ces entreprises d’être de meilleures employeuses pour ces publics.

La mobilisation du réseau des acteurs de l’emploi et des travailleurs sociaux associés à la démarche est-elle à la hauteur ?

Tous les acteurs impliqués se sont fortement mobilisés et c’est justement l’une des forces du dispositif. L’Etat a débloqué les budgets nécessaires pour assurer un accompagnement renforcé aux bénéficiaires du dispositif et Pôle emploi a réduit le portefeuille de demandeurs d’emploi des conseillers déployés sur le CEJ (ils sont passés en moyenne de 80 personnes à suivre à 40). Pôle emploi et les missions locales ont su monter des équipes pluridisciplinaires pour lever un maximum de freins périphériques à l’insertion. Toutefois, sur ce volet, les acteurs ont été confrontés à nombre de lourdeurs administratives. Au point que certaines missions locales, qui avaient budgété l’embauche de travailleurs sociaux pour épauler leurs conseillers, ont dû y renoncer et recruter à la place des assistants administratifs pour absorber la charge du CEJ ! Une simplification administrative du dispositif est nécessaire.

Craignez-vous que la transformation de Pôle emploi en France travail le 1er janvier dernier ne vienne ralentir le dispositif ?

En soi, non. France travail et son réseau des acteurs de l’emploi conservent l’expertise acquise en matière d’accompagnement des jeunes. Ce que nous pouvons redouter davantage, ce sont les possibles blocages des différents échelons de gouvernance (départemental, régional, national) du nouveau service public de l’emploi. C’est pourquoi nous proposons qu’une commission entièrement dédiée à l’insertion des jeunes soit mise en place à chacun de ces échelons. Un autre point d’attention concerne l’accompagnement renforcé des allocataires du RSA que le gouvernement teste dans 15 territoires et qu’il compte bientôt étendre à 47, puis à la France entière en 2025. Les deux dispositifs se ressemblent beaucoup, mais dans le premier cas, le RSA est un droit, alors que le CEJ n’est qu’un dispositif d’accompagnement social qui s’étend sur 9 mois et n’ouvre pas aux mêmes prestations. Par exemple, le RSA peut donner un accès au logement social, ou encore, dans certains territoires, à la gratuité des transports. On pourrait imaginer la création de filets de sécurité pour les jeunes en CEJ à partir de 25 ans et leur ouvrir certaines prestations réservées aux allocataires du RSA. La question des 15 heures d’accompagnement pose aussi celle du financement du dispositif et, là-dessus, il faut que l’Etat et les collectivités restent souples afin de l'adapter aux besoins des jeunes. Nous avons ainsi constaté qu’aujourd’hui, la moyenne de la durée d’accompagnement en contrat d’engagement est de 16 heures, mais la moitié est réalisée en autonomie. Il faut conserver cette liberté d’adaptation en fonction des cas individuels.

Votre rapport note également des inégalités d’accompagnement en fonction des territoires et de la nature de la gouvernance locale du dispositif. Quelles pistes d’amélioration imaginez-vous ?

Il est vrai que certaines gouvernances sont construites à minima, autour des seuls services de l’Etat, de France travail et des missions locales, sans prendre en compte les initiatives d’accompagnement des jeunes déployés par les départements, les métropoles ou les communes par exemple. Ailleurs, la gouvernance est plus ouverte à des acteurs comme l’Epide ou les Ecoles de la deuxième chance et imaginent des solutions structurantes pour prévenir des ruptures. Il y a celles, enfin, qui mettent tout le monde autour de la table, y compris les collectivités qui portent l’insertion des jeunes. Et c’est le modèle à développer.

Retrouvez ici le rapport du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse

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