Délégué général de la FCSF (Fédération des centres sociaux et socio-culturels de France), Hugo Barthalay revient à la fois sur la singularité des centres sociaux dans les territoires et sur le manque structurel de financements. Conjuguées à l’inflation et à la crise d’attractivité des métiers de l’éducation populaire, ces maisons de quartiers risquent de réduire drastiquement leurs activités. Voire de fermer.
ASH : Quelle est la place des centres sociaux dans les territoires ?
Hugo Barthalay : Nous sommes des structures de développement social local inspirées par l’éducation populaire. Ces projets sont portés par les habitants, à partir d’un diagnostic de territoire, et appuyés par des professionnels aussi bien animateurs que travailleurs sociaux. Avec 2 300 centres sociaux – la Fédération nationale des centres sociaux en regroupe 1 500 – nous sommes le plus grand réseau social de France. Nous touchons plus de 5 millions d’habitants chaque année. Nous avons à la fois la mission de créer du lien, mais aussi de proposer des activités socio-culturelles, des modes d’accueil du jeune enfant, des centres de loisirs, du soutien à la parentalité, de l’appui à des projets collectifs, des ateliers pour les seniors ou des initiatives ancrées dans la vie des quartiers. Que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, ces structures peuvent être gérées par des associations, des collectivités territoriales ou parfois même par des caisses d’allocations familiales. Nous sommes en prise directe avec le quotidien des habitants et toutes les problématiques de précarisation, d’accès aux droits, d’arrivée à la retraite, de mobilité ou encore d’habitat. L’accueil y est inconditionnel et si nous accompagnons des besoins initialement individuels, on essaye de les transformer en démarches collectives avec l’idée d’être le relais d’autres partenaires présents dans le quartier ou la commune.
Vous représentez un secteur qui a l’habitude de travailler avec des bouts de ficelle, mais avez-vous le sentiment que la situation se dégrade ?
Le modèle économique des centres sociaux ne cesse de se fragiliser, on peut dire que la coupe est pleine. Notre mobilisation est partie de ce constat qui, sans être vraiment nouveau, s’est accentué depuis 2023. A tel point que la journée du 31 janvier a pour slogan « On est sous l’eau », ce qui traduit bien l’état d’esprit des équipes… Dernièrement, nous avons subi le contrecoup de l’inflation dans les activités et les services, ainsi qu’une augmentation de notre masse salariale avec notamment les revalorisations des plus bas salaires. Un coup de pouce nécessaire en termes d’attractivité des métiers, mais qui a encore fragilisé notre économie. Par ailleurs, au niveau des collectivités territoriales, il y a plutôt une stagnation des finances, et dans un contexte inflationniste, un financement qui stagne est un financement qui baisse. Sans parler du contexte de surcharge administrative constant, la multiplication des appels à projets, le morcellement des financements…
Dans le même temps, les demandes sociales sont de plus en plus importantes…
L’augmentation de la pauvreté accroît d’autant la demande de lien social. Les événements parfois violents de cet été témoignent de la place particulière et incontournable des centres sociaux : on a eu, en même temps, des habitants qui les ont protégés et d’autres qui les ont brûlés. Notre particularité est d’être un espace de réassurance, à la fois institution permettant de renouer avec le droit et lieu d’expression. Les professionnels ressentent une forme de ras-le-bol d’être sans cesse pris dans cette injonction contradictoire entre des financements qui stagnent et des besoins qui augmentent. Certaines structures doivent réduire drastiquement la voilure, soit en contractant leurs horaires d’ouverture, soit en stoppant carrément des activités ou en ne reconduisant pas des postes. Certains centres sociaux, déjà un peu fragiles, risquent même de fermer.
Qu’attendez-vous de cette mobilisation générale ?
Le 7 mars prochain, au Conseil économique social et environnemental (Cese), nous invitons l’ensemble des partenaires nationaux de la cohésion sociale à se mettre avec nous autour de la table pour assurer la pérennité des centres sociaux. A court terme, nous demandons un soutien exceptionnel chiffré à 65 millions d’euros, somme qui équivaut au déficit estimé en 2024. A moyen terme, il s’agit de déterminer un nouveau modèle économique. Nous souhaitons la présence de la Caisse nationale des allocations familiales, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, du ministre de la Cohésion des territoires et des associations d’élus. Il s’agit à la fois d’inciter les collectivités territoriales à revaloriser leur soutien, mais aussi d’interroger de façon plus structurelle notre modèle économique. Il faut imaginer d’autres mécanismes financiers, pour que les centres sociaux puissent retrouver une forme de sécurité financière et arrêtent de se demander ce qui va advenir l’année d’après.
Avant ce rendez-vous au Cese, vous appelez à une mobilisation générale le 31 janvier. Sous quelles formes ?
Cette journée est le point d’orgue d’une mobilisation qui a démarré à la mi-décembre. Les centres sociaux ont proposé aux habitants, aux partenaires, aux élus locaux, ainsi qu’aux équipes, salariés et bénévoles, de témoigner sur des cartes postales – fabriquées pour l’occasion – de l’importance que revêtent pour eux les centres sociaux. Cet outil d’éducation populaire permet de parler des difficultés et de montrer son attachement. Au-delà de cette démarche, la mobilisation du 31 janvier prendra des formes plurielles : des manifestations festives et joyeuses (défilé à Lyon avec des masques et des tubas pour montrer que les professionnels sont « sous l’eau »), soupes populaires concoctées avec les habitants, fermetures ponctuelles, réunions locales… C’est très varié, parce que nous sommes le réseau de la dentelle.