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Hébergement d’urgence : Ariane, décollage vers un logement durable

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Centre d'Hébergement d'Urgence Ariane - Paris XIV

Mamadou Yaya Diallo et ses deux enfants, dans leur appartement du centre.

Crédit photo Vincent Wartner / Riva Press
Situé dans le XIVe arrondissement de Paris, le centre d’hébergement d’urgence Ariane est ouvert depuis le 1er décembre 2020. Totalement réhabilités par le promoteur privé Galia, les appartements neufs accueillent déjà une centaine de personnes, dont plusieurs familles.

C’est dans un quartier plutôt cossu de Paris, tout près du métro Plaisance (XIVe arrondissement), que se dresse l’immeuble gris qui accueille le nouveau centre d’hébergement d’urgence (CHU) du Samu social, baptisé Ariane. Un immeuble classique mais, à l’intérieur, l’architecture a tout d’un décor de start-up : une très grande pièce à vivre vitrée permet de rassembler le personnel comme les habitants. Une large table moderne y est installée tout près d’une cuisine neuve, et un coin bibliothèque commence à être organisé à côté de canapés en cuir et acier noir. Le tout surplombé de cadres colorés. Au sous-sol, on découvre une salle informatique, des bureaux, et même une salle « Montessori » (inspirée de la célèbre méthode pédagogique) qui donne sur un patio.

« C’est trop beau », s’exclame Yenifer Lema, coordinatrice du centre. Avant ce poste, elle dirigeait un autre CHU du Samu social et ne peut, aujourd’hui, que constater la différence : « C’est incomparable. Là où je travaillais avant, il fallait composer avec la situation – par exemple, très souvent, des ascenseurs qui ne fonctionnaient pas. Là, c’est l’inverse, on a des appartements dédiés aux personnes à mobilité réduite. On a une famille dont le fils est en fauteuil roulant, auparavant ils devaient le porter pour accéder à sa chambre. Ici, tout est équipé, on a même un lit médicalisé. Les familles ont le temps de souffler, de se poser. » Temporairement. Car l’objectif de la structure est clair : accueillir, héberger et accompagner les familles sans abri, avant de les orienter vers un logement définitif.

Répartis sur huit étages, ce sont bien des appartements refaits à neuf, du T1 au T3, qui doivent servir de tremplin à leurs locataires. Pour l’heure, 25 familles ont trouvé refuge au CHU Ariane, dédié à l’accueil de couples avec enfants ou de parents seuls, dont de jeunes mères âgées de 18 à 25 ans. Si une centaine de personnes ont actuellement investi l’immeuble, la capacité maximale est de 131 hébergés. Toutes les familles dont les demandes étaient jusque-là non satisfaites sont orientées ici par le Siao (service intégré d’accueil et d’orientation) du Samu social de Paris. Ariane héberge des familles « parce que cela correspond à une nécessité très importante », détaille Adeline Samuel, responsable de la structure pour le Samu social de Paris. « Y a-t-il de plus en plus de familles à la rue ou est-ce qu’on les identifie mieux ? Un peu des deux, je pense. On en découvre qui vivent dans des halls de maternité, des abris de fortune, des garages. Le profil des personnes sans abri a changé. Mais les besoins sont toujours aussi présents et les coups de fil au 115 toujours plus nombreux. »

Un espace à soi

Au premier étage, Mamadou Yaya ouvre la porte de son appartement d’environ 40 m2. Des effluves de plats mijotés embaument le logement, composé de deux lits à étage, d’un canapé-lit, d’un coin cuisine et d’une salle de bains. Fatoumata et Mohammed, ses enfants, sont sagement assis sur le canapé, à côté d’un grand planisphère de Médecins sans frontières. « J’ai affiché cette carte pour que mon fils et ma fille apprennent la géographie et sachent placer les continents », raconte la maman qui, malgré la situation, a toujours assuré la scolarisation de ses enfants. « La France, c’est ici ! », pointe sans hésitation la fillette de CE2 sur la carte. « Et la Guinée, là ! », poursuit-elle en faisant glisser son doigt. C’est justement de Guinée que la famille est arrivée en 2019. Depuis, la famille a enchaîné les hébergements associatifs ouverts seulement le soir, les maisons partagées à plusieurs familles en Seine-Saint-Denis, avant de se retrouver à la rue. « En fin d’année, on dormait tous les trois dehors. J’avais trouvé un garage, au sous-sol d’un parking. Mais ça ne fermait pas la nuit, alors je ne dormais pas beaucoup », confie la mère, sans rentrer dans le détail de ces nuits sans sommeil.

Ses enfants souffrent d’asthme, le plus petit a attrapé une infection au ventre, et c’est dans un contexte de grande fatigue que la famille a trouvé refuge à Ariane, après un nouvel appel au 115. « Quand je suis arrivée dans cet appartement, je ne pensais pas que j’allais être hébergée ici. Je suis tellement contente ! Depuis que je suis arrivée en France, c’est la première fois que j’ai mon espace à moi », confie la maman, ravie. Sa fille Fatoumata a aussi été surprise quand on lui a annoncé que ce serait sa maison, mais elle s’y est vite habituée, nouant même des amitiés avec ses petits voisins. « Mais ma maîtresse et mes copines me manquent », lâche la petite fille, dont l’inscription à l’école n’est pas encore finalisée.

« Pour certaines familles qui ont longtemps vécu à l’hôtel, l’arrivée ici peut être perturbante. J’ai connu des familles qui ont eu besoin de s’asseoir pour regarder le lieu et assimiler que c’est là qu’elles allaient vivre », raconte Laure Hervé, technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF) du centre. Ses deux collègues et elle-même accompagnent les familles au quotidien : état des lieux, installation dans le logement, ménage, soutien à la parentalité. Leurs missions sont multiples et essentielles. Si certaines familles sont déjà proches de l’autonomie, elles sont en demande d’activité, assure Sarah Lescure, TISF : « Elles ont besoin d’un peu de joie et de lien au quotidien. Notre objectif est aussi de créer des relations entre les différentes familles. » Après trois mois d’ouverture, le centre d’hébergement d’urgence a déjà organisé des repas partagés entre les personnes qui y sont hébergées pour que chacun propose une découverte de sa culture. Dans un deuxième temps, quand la crise sanitaire le permettra, la structure s’ouvrira sur les habitants du quartier.

Pour trouver de la vitalité, il suffit de jeter un œil dans la salle commune. Les enfants, qui représentent une quarantaine de pensionnaires, s’y croisent, jouent, chantent et prennent leurs goûters côte à côte. Ils ont aussi des activités, comme cette initiation à la réalité virtuelle orchestrée par Wild Immersion, une prouesse technologique de captation d’images et de diffusion à 360°, qui permet, entre autres, de se projeter au cœur d’une réserve naturelle sans bouger du centre. Ici, l’accompagnement des enfants est une priorité. Trois fois par semaine, ils bénéficient d’une aide aux devoirs organisée par les TISF, ainsi que d’ateliers divers (origami, magie, etc.). « Nous cherchons à humaniser l’accueil. La plupart des familles ont connu l’hôtel, mais ce n’est pas viable sur le long terme, souligne Adeline Samuel. La crise sanitaire a aussi montré qu’il fallait pouvoir proposer des conditions d’accueil permettant la continuité pédagogique. C’est ce que nous comptons réaliser. »

Nouvelle chance

L’autre ambition du lieu est de lutter contre la fracture numérique. En France, 17 % de la population souffre d’illectronisme : 34 % des personnes peu ou pas diplômées n’ont pas accès à Internet et, selon l’Insee, c’était le cas pour 16 % des ménages modestes en 2019. « Nous souhaitons recenser les besoins des habitants du centre pour les sensibiliser et les accompagner aux usages du numérique », affirme Adeline Samuel. Dans cette optique, le Samu social a embauché Coline Labaye. Etudiante de 24 ans en master de langues, elle effectue un service civique de huit mois dans le dispositif : « J’accompagne les familles dans des choses très concrètes : la rédaction d’un CV, l’accès en ligne aux notes de leurs enfants. Je les aide à chercher des renseignements spécifiques, je leur montre comment effectuer un entretien d’embauche sur Zoom. L’idée est que les adultes accèdent à une autonomie sur le web. A terme, le but serait aussi de présenter aux enfants et aux adolescents le plus de métiers du numérique possible. Ce sont des professions où il y a du travail et dont les études sont accessibles sans trop de moyens. » Pour la responsable du centre, « les enfants vont bénéficier ici des mêmes droits que les autres, et ça, c’est primordial ».

Pour autant, même dans un centre d’urgence aussi moderne que celui-ci, la réinsertion prendra du temps. Difficultés administratives pour obtenir des papiers, soucis de santé… Les problématiques sont multiples. « On les aide aussi à trouver une crèche, un petit boulot, et on met en place un suivi psy pour chaque famille. C’est important », insiste Yenifer Lema. Mais pour celle qui chapeaute une équipe d’une dizaine de salariés en relais 24 heures sur 24 et sept jours par semaine, l’accueil dans le quartier s’est révélé très chaleureux. Ce qui représente un véritable atout pour l’insertion du public.

Les familles possédant des ressources doivent s’acquitter d’un loyer de 60 € par mois. En revanche, toutes reçoivent 6 € de ticket service alimentaire par personne et par jour. « Nous voulons vraiment leur permettre de souffler et d’épargner. Même si on rappelle dès le départ que tout cela n’est pas pour la vie. Alors, certes, on est sur une dynamique de se poser, mais il faut aussi que ça bouge, qu’ils nous sollicitent et soient acteurs de leur accompagnement », rappelle Yenifer Lema.

Justement, cet après-midi-là, un homme frappe à sa porte pour demander un renseignement. L’habitant est Albanais et vit avec sa femme Valerjana et leurs trois enfants dans un appartement lumineux situé dans les étages. Chez eux, les têtes blondes rient et se courent après. Sur la table trône un gros bouquet de roses. « C’est un cadeau de mon mari pour la Saint-Valentin », sourit timidement l’épouse. Après avoir fui l’Albanie où il faisait l’objet de menaces, le couple a transité par l’Allemagne, puis par la Dordogne, avant de passer deux ans dans un CHU d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où ils vivaient à cinq dans une seule pièce et devaient partager une cuisine collective. « Ici, c’est vraiment bien, je me sens entourée. On peut cuisiner, on a fait connaissance avec les autres. C’est une vraie occasion d’avancer », confirme la jeune femme. Si son mari alterne les petits boulots dans le bâtiment et sur les marchés, elle attend impatiemment que les enfants soient tous scolarisés pour trouver un emploi.

Membre clé de l’équipe, Abdoulaye Kale est l’assistant de service social du centre. Il apporte un soutien global à toutes les familles : de l’ouverture de droits à la création de partenariats ou à la mise en réseau. « Tout le sens de cet accompagnement est d’aller au-delà du beau et du joli que représente cet endroit pour construire quelque chose de durable. Il faut travailler le sens des réalités, expliquer qu’il n’y a jamais de logement rêvé. Evidemment, le but n’est pas de reloger pour reloger. On travaille sur la symbolique du chez-soi. On leur explique qu’on n’est jamais autant chez soi que dans son chez-soi, où l’on peut vivre sans contrainte. Ce qui n’est pas le cas ici où, par exemple, ils n’ont pas le droit d’héberger des amis ou de la famille. Il y a un règlement. Ce qu’on cherche, c’est les aider à comprendre que ceci est une étape. »

Ce répit permet à ces familles et à leurs enfants de retrouver de la stabilité, mais aussi davantage d’estime de soi. « Je pense à cette jeune lycéenne, confie Laure Hervé. Le fait de vivre ici lui a permis de changer d’image, surtout par rapport à ses amies de l’extérieur. Avoir un lieu d’hébergement tout neuf, ça change tout. »

Prochaine étape : accueillir les mères précaires orientées par le SIAO, enceintes ou avec leur bébé, au dernier étage de l’immeuble, dans une colocation sur deux étages avec balcons et vue sur le Sacré-Cœur.

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