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Fin de l’état d’urgence : face au risque du sans-abrisme

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Crédit photo Adobe Stock
Le 10 juillet sonne le glas définitif de la trêve hivernale, deux fois prolongée pendant la crise sanitaire. En dépit de réels efforts, salués par les acteurs de l’hébergement d’urgence et de l’accompagnement vers le logement, nombre de personnes pourraient se retrouver sans solution.

Pas de sortie sèche… Le désormais ex-ministre du Logement Julien Denormandie l’avait promis le 2 juillet, huit jours avant la fin de la trêve hivernale : les personnes vivant à la rue et hébergées pendant la crise sanitaire ne devraient pas se retrouver sans solution, et les ménages en difficulté ne pas être expulsés sans proposition de relogement ; 3 000 ménages devaient se voir proposer un logement social. Dès le 3 juin, les préfets avaient reçu en ce sens des consignes par circulaire.

La volonté politique était affichée, martelée même, et bien peu mise en doute par les acteurs du secteur. Ceux-ci avaient salué les efforts réalisés pendant le printemps confiné, y voyant un signe d’engagement du ministre et de l’administration centrale. Mais Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, prévient : « Il ne suffit pas qu’un ministre soit sincère et de bonne volonté pour que les choses se fassent sur le terrain. » A plus forte raison quand, entre-temps, le ministre change de fonctions en même temps que le gouvernement de Premier ministre…

La date du 10 juillet marque, elle, toujours la fin de l’état d’urgence (sauf à Mayotte et en Guyane), et pose donc de graves questions. D’abord pour les personnes vivant à la rue hébergées de façon temporaire pendant le pic de la crise du Covid-19. Mais aussi pour celles qui risquent l’expulsion dès que la fin de la trêve hivernale entrera en vigueur, après avoir été repoussée au 31 mai puis au 10 juillet.

 

Un investissement de l’Etat reconnu face à la crise

« En matière d’hébergement d’urgence, la situation est très différente de celle que nous connaissons habituellement à la fin de la trêve hivernale, souligne Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité et coporte-parole, avec Christophe Robert, du Collectif des associations unies. 20 000 nouvelles places ont été ouvertes, qui ont complété les 15 000 habituellement proposées pendant l’hiver et prolongées jusqu’au 10 juillet. » C’est pour lui un « effort considérable », qui a produit des « résultats concrets et positifs », comme la baisse de 70 % des appels au Samu social et la chute notable des demandes non pourvues. « Le ministre, son équipe et l’administration se sont vraiment investis, et sur les territoires et avec les associations, les méthodes de travail se sont améliorées », complète-t-il.

Cet avis semble largement partagé par les acteurs, qui notent – autre avancée qu’ils aimeraient voir conservée – que la crise sanitaire a permis un rapprochement entre le sanitaire et les centres d’hébergement d’urgence, en particulier avec la venue en leur sein d’équipes mobiles sanitaires pilotées par les agences régionales de santé. Sans doute de façon bien inégale, tient tout de même à faire observer Philippe de Botton, président de Médecins du monde, plus circonspect.

De plus, malgré un contexte qui présente des éléments positifs, les motifs d’inquiétude se multiplient. Quelques jours avant la fin de la trêve hivernale, les acteurs ignoraient encore largement le sort qui serait réservé aux squats et aux bidonvilles… Seront-ils aussi concernés ? Conserveront-ils les points d’eau installés dans l’urgence ce printemps ? Toutes les personnes hébergées dans des hôtels et des résidences de tourisme qui vont retrouver leurs activités habituelles trouveront-elles des solutions ? Autant de questions pour lesquelles les réponses varieront d’un territoire à l’autre, notamment selon les disponibilités en logements sociaux, en centres d’hébergement et, plus largement, en capacité foncière pour envisager des constructions.

 

Sur le plan budgétaire, l’incertitude domine

Dans le troisième projet de loi de finances rectificative, 200 millions d’euros sont consacrés au programme 177, qui finance l’hébergement, le parcours vers le logement et l’insertion des personnes vulnérables. Mais les acteurs disent ignorer encore l’état de consommation de ces crédits pour l’année en cours, et font observer que le Covid-19 a engendré des surcoûts (frais de gardiennage, achats de masques…) qui ne semblent pas pris en compte.

A côté de ces questions et inquiétudes, une déception pour les acteurs du secteur : celle de ne pas avoir obtenu la prolongation de la trêve des expulsions et du maintien des 35 000 places en hébergement d’urgence jusqu’au 1er novembre prochain. Cela leur aurait permis de poursuivre le travail entamé avec les personnes vivant à la rue hébergées, et d’éviter de voir basculer des personnes précarisées par la crise qui pourraient perdre leur logement.

Car c’est bien là le double enjeu de l’après-10 juillet. Les acteurs demandent que les personnes soient hébergées ailleurs si leur lieu temporaire d’accueil doit fermer pour retourner à sa mission première. Sans toujours y croire, à l’instar de Philippe de Botton, de Médecins du monde, qui regrette un manque d’anticipation et doute fort que soient trouvées « pour ces milliers de personnes des solutions d’hébergement pérennes ». Inquiet en particulier pour les personnes en situation irrégulière, il tempête : « On paie des années de pansements sur la question du sans-abrisme ! »

 

Un manque d’anticipation

Nombre de ménages risquent, du fait de la crise sociale qui découle de la crise sanitaire, de basculer vers une plus grande pauvreté, voire de perdre leur logement. Sans doute pas précisément le 10 juillet. Mais les acteurs du secteur se montrent vigilants et font des propositions pour limiter ces effets possibles du Covid-19. Christophe Robert souligne qu’en dix ans le nombre d’expulsions par les forces de l’ordre de familles du fait d’impayés de loyers a crû de 40 %, pour atteindre 16 000 foyers en 2018. Pour limiter ce risque et l’accroissement de ce nombre, les acteurs recommandent d’une seule voix la revalorisation des aides personnalisées au logement (APL) – qui ont diminué de 5 € au début du mandat présidentiel – et leur désindexation de l’inflation. Ils regrettent aussi que le fonds d’indemnisation des propriétaires ait été ramené, entre 2010 et 2018, de 55 à 33 millions d’euros.

Ils espèrent que la date du 10 juillet, et l’urgence qu’elle représente, pourra accélérer la construction de logements sociaux que tous, y compris l’ex-ministre du Logement, appellent de leurs vœux. Il en faudrait 150 000 par an, selon Christophe Robert, dont 60 000 logements très sociaux. Afin de dépasser l’urgence, tous appellent aussi à accélérer la politique du « logement d’abord » et la transformation des hébergements collectifs d’urgence tels que les dortoirs en dispositifs individuels, par ailleurs bien plus adéquats en temps de crise sanitaire.

Philippe de Botton est formel : « Pas de bonne santé sans logement. » Or « la santé est un droit fondamental ». Qui doit s’appuyer sur un logement pérenne. Une façon de pointer la dimension très humaine de l’après-10 juillet.

Comme le fait aussi Régine Benveniste, membre du Collectif des morts de la rue, par ailleurs médecin psychiatre : « Les personnes à la rue sont tellement vulnérables que la moindre chose peut les faire basculer. Avec le Covid, le confinement, le déconfinement, on leur a demandé de s’adapter sans arrêt. Or on sait très bien que, plus il y a de ruptures, plus elles sont fragiles. » Et de prévoir que cette crise causera des « glissements » et augmentera les facteurs de morbidité. Trop tôt pour les chiffrer, prévient-elle, mais elle estime que des changements de lieu, surtout non préparés, peuvent réactiver des stress anciens chez des personnes qui, pour beaucoup, ont déjà connu des chocs post-traumatiques.

Autant de phénomènes qui, note-t-elle, « auront des incidences sur les travailleurs sociaux », forcément touchés par la situation des publics qu’ils accompagnent. Avant de conclure : « On habite les liens avant d’habiter les lieux. »


 

Le logement accompagné voit ses publics se précariser

« Nos métiers ont changé, note Arnaud de Broca, délégué général de l’Unafo (Union professionnelle du logement accompagné). La crise a révélé de nombreuses difficultés, particulièrement en matière d’accompagnement en santé mentale. On a constaté que ça ne fonctionne pas. » L’aide alimentaire, elle, a largement fait son entrée dans ces logements, tant la crise a frappé de plein fouet leurs résidents. Le secteur du logement accompagné entend bien jouer son rôle dans l’accueil de publics précarisés par la crise, mais Arnaud de Broca souligne la nécessité qu’une mixité demeure dans les structures d’accueil, au sein desquelles quatre entrants sur dix viennent de la rue ou de centres d’hébergement d’urgence.

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