Alors que la loi du 26 janvier 2024 impacte lourdement la procédure d’asile déjà réformée en 2015, puis en 2018, et alors que l’organisation des Jeux olympiques entraîne des dispersions accrues des demandeurs d’asile, le collectif Asile Ile-de-France détaille, dans un rapport intitulé Asile en terre hostile, à paraître mi-juillet, les pratiques abusives et dysfonctionnements observés en préfecture et dans les administrations en région francilienne. Trop souvent, selon ce collectif réunissant notamment l’Ardhis, le Comede, le centre Primo Levi, Dom’asile, le Gisti ou encore Watizat, le cadre légal et les engagements internationaux sont « ignorés ou appréciés de manière extrêmement restrictive » par les autorités chargées de l’asile, entraînant des difficultés massives d’accès aux droits pour les requérants.
75 % des demandeurs d'asile sans hébergement ni allocation
Selon les chiffres issus du rapport, fin 2023, 44 000 demandeurs d’asile, soit près d’un demandeur sur trois, ne bénéficient pas des conditions matérielles d’accueil (CMA) en France, comprenant un hébergement et l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) à hauteur de 220 €. La situation est encore plus criante en Ile-de-France, qui accueillerait 43 % des personnes avec une demande en cours d’examen. Trois quarts d’entre elles seraient sans CMA.
« Depuis quelques années, l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) fait tout pour ne pas accorder les conditions matérielles d’accueil : si la personne dépasse le délai de trois mois à compter de son arrivée pour demander l’asile, si elle refuse son orientation en région, si elle a été éloignée, par exemple, à Dijon mais ne souhaite pas y rester... Dans tous ces cas, on lui refuse ou coupe la CMA », souligne Pierre Nicolas, responsable de l’accompagnement juridique et plaidoyer à JRS France.
Le collectif relève de nombreux dysfonctionnements dans les orientations en région décidées par l’Ofii, visant à faire baisser drastiquement le nombre de demandeurs d’asile en Ile-de-France. « On a orienté une femme à Metz, alors qu’elle avait indiqué que son mari était dans le 94. Elle a refusé et se retrouve donc sans conditions matérielles d’accueil. Or la loi prévoit des dérogations pour ce type de situation, indique Caroline Maillary, chargée d’études au Gisti. Il est arrivé la même chose à un jeune Afghan qui voulait retrouver son frère à Bordeaux, mais ils l’ont orienté à Strasbourg. Ce jeune a donc refusé et dû faire toute sa procédure d’asile en étant à la rue. » Et avec la dernière loi « asile-immigration » dite « Darmanin », le délai de recours en cas de refus de CMA a été considérablement raccourci, passant de deux mois à sept jours, rendant plus difficile la possibilité de monter un dossier.
Renforcement des contrôles pour les personnes « dublinées »
C’est également sur la situation des personnes tombant sous le coup du règlement Dublin – selon lequel le premier pays d’arrivée dans l’Union européenne doit examiner la demande d’asile, ce qui entraînerait le transfert du demandeur d’asile –, que se concentrent les alertes du rapport. « Nous observons les difficultés des personnes à faire valoir leurs situations individuelles. Les préfectures vont automatiquement les placer en procédure Dublin, alors que différents critères priment, comme la présence d’autres membres de la famille sur le territoire, ou le fait d’avoir entamé un parcours de santé en France, comme une transition », souligne Anna Amiach, coordinatrice du pôle asile à l’Ardhis. Pour ces demandeurs d’asile « dublinés », les associations observent un durcissement drastique du contrôle, « avec pour objectif principal de sanctionner tout manquement » davantage que d’éloigner effectivement les personnes.
Un accompagnement trop sommaire faute de moyens
Le rapport pointe également le faible accompagnement social réalisé dans les structures de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada), financées par l’Ofii et gérées par des associations opératrices (notamment Coallia et France terre d’asile). Celles-ci sont entre autres chargées d’assurer un pré-accueil et d’aider à l’enregistrement des demandes d’asile. Une ancienne salariée d’une de ces structures témoigne d’un important sous-effectif pour gérer les dossiers : « On peut recevoir 40 à 60 personnes en une matinée pour seulement trois employées. [...] Et je pense que je devais passer moins de 15 minutes par personne [...], cela donne une idée de la cadence. » Selon elle, « en raison du manque d’effectif, le temps accordé aux personnes n’est pas suffisant pour effectuer correctement les missions et les informer de leurs droits ».
Les associations mettent aussi en lumière un défaut de formation chez les intervenants sociaux présents dans les Spada, notamment sur les questions liées aux identités de genre et à l’orientation sexuelle. « On se retrouve avec des travailleurs sociaux qui ne savent pas comment parler avec des personnes de la communauté LGBT, et qui ne posent pas les bonnes questions, regrette Stéphanie Troum, membre du conseil d’administration de l’Ardhis et accompagnatrice du pôle Asile. Le résultat, ce sont des récits hors sujet qui peuvent entraîner des rejets à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). »