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Des migrants aux fourneaux avec la brigade Stamtish

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Dans les locaux de l'association La cuisine de demain, des migrants suivent une formation avec leur encadrante technique d'insertion. 

Crédit photo Pascal Bastien
L’association strasbourgeoise, qui fête son cinquième anniversaire cet automne, vise à insérer des personnes issues de migrations par le biais de la cuisine. Et organise des parcours cousus main pour ses aspirants cuisiniers en collaboration avec des chefs du cru.

Au siège de l’association strasbourgeoise Stamtish – « tablée conviviale » en alsacien –, Titin, Lydia et Moubarak découvrent sur une carte de France des photos des spécialités régionales. Tahmara Schaeffer, leur formatrice, leur fait goûter un croissant, un Munster alsacien ou encore un canelé bordelais. Le trio constitue la dernière promotion de l’association. Sa raison d’être : accompagner des migrants dotés de titres de séjour variés vers leur insertion dans la restauration. Et ce, grâce à des parcours sur mesure, sans condition de niveau de français ni limite de temps, conçus pour leur mettre le pied à l’étrier au sein d’un vaste réseau de restaurateurs strasbourgeois partenaires. Depuis 2019, plus d’une trentaine de personnes, dont une vingtaine à l’heure actuelle, ont ainsi rejoint la brigade des cuisiniers de Stamtish.

La veille, les élèves ont mis des noms sur les ustensiles au moyen d’un bingo, ce jeu cousin du loto. « Avec les images, c’est facile », apprécie Titin en reconnaissant un fouet. C’est que, jusqu’alors, l’Indonésienne n’avait approché le français qu’au sein des cours de grammaire et d’instruction civique de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), avec à la clé un niveau A2 (« élémentaire », selon le classement européen de maîtrise d’une langue étrangère). En France depuis cinq ans, elle n’a jamais pu travailler. Elle qui vante les grands repas qu’elle a l’habitude de préparer lors des mois de ramadan déplore qu’il n’y ait « pas d’endroit à Strasbourg où l’on peut manger indonésien ». Elle se projette avec assurance :« J’ai envie de faire découvrir cette cuisine ».
 

Un cadre bienveillant

Moubarak jongle timidement avec l’anglais. Originaire de Somalie et en France depuis trois ans, le jeune homme apprend le français à coups de tutoriels sur Internet. C’est son assistant social du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) qui lui a recommandé Stamtish. « Je veux travailler vite », précise-t-il. Lydia, elle, a été présentée par l’association Entraide Le Relais, dédiée aux publics hébergés en hôtel et précaires. « Je vois combien c’est dur pour ce type de personnes de subir en France un déclassement social, estime Cécile Tindon, qui anime la cuisine d’Entraide. Il est précieux d’avoir un cadre bienveillant. »

Emanation du Refugee Food Festival – ce rendez-vous annuel international qui met les réfugiés à l’honneur à travers leur cuisine –, Stamtish a d’abord fait participer ses cuisiniers à des événements en collaboration avec des restaurateurs sous la houlette d’une assistante sociale. « Mais certains ont exprimé le souhait d’un cadre plus professionnalisant, retrace Laura Suffissais, l’une des deux coordinatrices. Nous avons alors choisi d’intégrer des compétences dans notre accompagnement et de les faire primer sur l’aspect strictement social, pour lequel nous avons déjà des partenaires. »

Forte de son expérience de cheffe de partie en restaurants traditionnels et gastronomiques pendant cinq ans, Tahmara Schaeffer est ainsi devenue, il y a un an, l’encadrante technique chargée d’insertion de la brigade Stamtish. « J’avais l’envie de transmettre mes gestes et de les faire évoluer par l’échange », confie celle qui a elle-même travaillé à l’étranger. Depuis, elle initie les aspirants cuisiniers, élaborant toutes sortes de mises en situation professionnelles en vue de leur faire rejoindre un employeur de son réseau. « Nos contacts peuvent compenser le manque d’expérience. »
 

Adapter la pédagogie

A l’image de Titin, beaucoup de recrues s’adonnaient déjà à la cuisine pour leurs proches avant de se lancer dans le dispositif. « Stamtish leur permet de tester la cuisine professionnelle sans avoir à s’engager dans une formation longue où tous ne rempliraient pas les critères d’admission, pose Tahmara Schaeffer. Mon objectif est de leur donner les fondamentaux. Même sans diplôme, on peut travailler si on a des bases de sécurité et d’hygiène. C’est ce que recherchent les restaurants. »

Reste à adapter sa pédagogie à un public qui, parfois, ne sait pas lire. Au programme de la matinée, une projection de photographies illustratives des différents types de restauration. En réponse à Moubarak, qui énumère quelques grandes chaînes américaines de restauration rapide, Tahmara mentionne des enseignes locales végétariennes et le tissu des acteurs de l’alimentation durable, dans lequel Stamtish est largement engagée. La formatrice attire l’attention de Lydia, mère afghane de trois enfants, sur la cuisine collective et ses horaires de travail continus. Impossible pour la chargée d’insertion de ne pas prendre en compte les contraintes de ces élèves cuisiniers pas comme les autres.

Après une pause déjeuner, place aux exercices pratiques. Tahmara Schaeffer retrouve son groupe chez La Cuisine de demain, qui lui prête ses locaux pour l’occasion. Depuis trois ans et demi, ce traiteur spécialisé dans les plats bio, locaux et « zéro déchet » emploie Eva en tant que commis-plongeuse. Son contrat à durée indéterminée a permis à l’Albanaise d’obtenir un titre de séjour pérenne. « Nous avions besoin de personnel et nous faisons confiance à Stamtish pour nous recommander quelqu’un. C’était aussi pour nous un engagement social », explique Isabelle Carrère, sa responsable. « Travailler avec une personne qui ne parle pas bien français demande de beaucoup répéter et montrer, de s’assurer d’être compris, décrit le chef Laurent Ringwald. Puis on trouve des automatismes. On se comprend par le regard. Cela demande plus de temps, mais s’ouvrir à l’autre est très enrichissant. »
 

Le choix des partenaires

« Je suis entourée de personnes soutenantes », salue Eva, appliquée à remplir des verrines. « La restauration peut être un milieu violent, prévient Laura Suffissais. Nous choisissons soigneusement nos partenaires. » Pas question d’engager ces personnes souvent fragilisées par leur trajectoire migratoire dans un nouveau parcours traumatique. « Lors des collaborations, j’observe comment le chef parle à mon cuisinier, abonde Tahmara Schaeffer. Je connais la liste noire des restaurants à Strasbourg. Que nos cuisiniers soient bien traités reste la base. »

Cet après-midi, Tahmara Schaeffer introduit les techniques de découpe. Titin trouve rapidement le geste pour réaliser de fines juliennes de carottes. Moubarak s’en sort mieux avec la macédoine qu’avec la brunoise, plus menue. Mais il a déjà assimilé la règle de la marche en avant : rien de sale ne doit plus être en contact avec du propre. Après six jours d’initiation étalés sur trois semaines, il pourra intégrer la brigade de Stamtish pour expérimenter des mises en situation progressives, puis être accompagné s’il le souhaite vers des formations plus avancées.

La progression est à la carte. Tandis que des personnes moins assurées se contentent au départ de faire découvrir leur cuisine à des curieux lors d’ateliers culinaires, d’autres pourront travailler à quatre mains avec un cuisinier professionnel, pour un projet modeste ou la préparation d’un événement de grande envergure, comme le buffet d’ouverture de la saison passée du Théâtre national de Strasbourg.

Dès l’élaboration d’une liste de courses, Stamtish facture les contributions et rémunère les cuisiniers sous forme de contrats d’extra. « L’intégration passe par l’autonomie financière. Cela montre aussi aux participants les droits associés au travail et les éloigne du travail au noir. »
 

Identifier les évolutions

« J’assiste à des métamorphoses, sourit Tahmara Schaeffer. Les personnes s’autorisent à faire des erreurs à l’oral et prennent confiance. » L’encadrante documente leurs évolutions, leurs compétences acquises et celles à perfectionner. Avant et après une prestation, elle prend un temps avec chacun. « Ce moment individuel leur permet de s’exprimer. Nous parlons de cuisine et du reste. Ils ont besoin de se sentir écoutés. J’identifie les problèmes ou les envies et j’active mes contacts. Cela suppose un gros travail de veille sur les dispositifs existants », résume la chargée d’insertion, à l’affût des cours de français proposés par l’Ofii ou par des associations de quartier. « J’aiguille vers des partenaires pour une lettre de motivation ou de la gestion d’entreprise dans des cas plus avancés. »

Sur les six recrues du premier semestre 2024, deux ont décroché un contrat et quatre ont intégré une formation. Les allers-retours des cuisiniers dans la brigade sont fréquents. « Stamtish est la seule structure locale d’insertion de nos publics par la cuisine, met en avant Florence Eloudyi, qui oriente pour le bureau strasbourgeois de l’Ofii des personnes avec des titres de séjour durables. Les préjugés liés à l’immigration constituent un frein réel à l’insertion de nos usagers, et nous saluons son travail de sensibilisation auprès des employeurs. »

Histoire de multiplier les opportunités, Stamtish envisage plusieurs évolutions. L’association cherche désormais à acquérir sa propre cuisine et projette d’ouvrir sa garderie. Car le port du voile et la charge des enfants constituent encore de lourds obstacles à l’insertion de certaines cuisinières.
 


Paroles de pros

« Nous partons du principe qu’en plus d’être un secteur qui recrute, la cuisine est un patrimoine immatériel facile à transporter. Et la table, un formidable outil pour créer de l’échange entre les cultures. »

Laura Suffissais, co-coordinatrice de l’association Stamtish


Paroles d’usagers

« Stamtish est un accélérateur qui m’a poussée vers un CAP et offert mes premières expériences, de la préparation de quelques repas jusqu’à des événements de grande ampleur. J’ai appris à prendre la parole devant les clients. Aujourd’hui, je collabore à mon tour avec des cuisiniers de l’association. »

Patricia Lwamba Anunu, cheffe au Graffalgar, à Strasbourg, originaire de RDC


L’ouverture aux financements privés

 

En 2023, le budget de Stamtish, avec trois salariées, s’élevait à 150 000 €. Jusque-là, l’association tirait 60 % de ses ressources du Fonds social européen, 10 % de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg et 8 % du BOP 114, crédits du ministère de l’Intérieur alloués sur appel à projets pour l’intégration des primo-arrivants. Devant la baisse annoncée de ses soutiens publics, Stamtish cherche aujourd’hui à développer les financements privés. Pour la première fois, la Fondation de France a abondé 2,5 % de son budget l’an dernier.

L’association répond à des appels à projets pour financer ses prestations solidaires à destination de publics fragiles. Son chiffre d’affaires, issu de prestations à des clients privés, représente 12 % de son budget. Afin de continuer à sensibiliser tout type de public aux richesses des migrations, elle peut adapter ses tarifs et facturer à minima de quoi couvrir les salaires de ses cuisiniers, les ingrédients et la location des locaux. Elle mise sur un concept d’« Escape Game » culinaire pour développer des rendez-vous familiaux ou d’entreprise.

Stamtish vient d’entamer des démarches pour pouvoir percevoir des dons défiscalisés. L’association souhaite aussi s’ouvrir au mécénat et conçoit actuellement dans cette optique une charte éthique pour se prémunir de partenariats avec des acteurs préjudiciables aux pays d’origine de ses cuisiniers.
 


Les 3 conseils de Tahmara

 

Encadrante technique chargée d’insertion au sein de la brigade Stamtish, Tahmara Schaeffer a été pendant cinq ans cheffe de partie dans des restaurants gastronomiques et traditionnels. Elle livre ici ses trois recommandations majeures.

1. Prévenir les malentendus. Je ne communique pas l’adresse physique de l’association avant d’avoir vérifié dans un premier échange que la personne est motivée et qu’elle a bien compris qui nous sommes. Sinon, je réoriente tout de suite. Notre programme vise l’insertion professionnelle mais il s’adresse à des débutants, même si on peut les rediriger après. Et nous ne sommes pas un incubateur.

2. Peser les difficultés. La progression doit se faire en douceur, même si les mises en situation doivent faire expérimenter aux cuisiniers les « coups de feu ». Au plus près de leur montée en compétences, je choisis pour chacun la collaboration qui va matcher.

3. Rester en lien. A leur arrivée, je fais signer aux personnes un engagement d’assiduité. Je travaille avec un public qui n’est pas toujours ponctuel et qui a beaucoup d’autres choses à penser. Alors il faut sans cesse faire des rappels et se tenir disponible. Nous communiquons beaucoup par messages.

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