La pièce n’est certes pas grande, mais elle dispose de tout l’équipement nécessaire pour la transformer en chambre coquette : un canapé-lit, une armoire, une cloison pour s’isoler des salariés. A côté, une douche et un WC. Pour aménager cet espace, Pierre-Yves Loaëc a créé une porte de séparation dans l’ancien local des archives de son agence de communication. De menus travaux pour une cause qui tenait très à cœur à ce dirigeant nantais : offrir gratuitement le gîte à des sans-abri dans ses bureaux inoccupés la nuit et le week-end.
« L’idée a germé en 2019, en partant d’un simple constat : mes bureaux étant en partie chauffés le soir et le week-end, qu’ils sont équipés de sanitaires, pourquoi ne pas en faire profiter des personnes en grande précarité une fois que ceux-ci sont inoccupés ? », raconte le fondateur et dirigeant de Nobilito et cofondateur de l’association Les Bureaux du cœur.
Approchées, Saint-Benoît Labre et Permis de construire, deux associations nantaises dédiées à la réinsertion des publics en grande fragilité, se montrent tout de suite très enthousiastes : « On a trouvé l’idée originale et séduisante car cela nous offre un autre champ des possibles en matière de logement. C’est d’autant plus intéressant que ce sont des entreprises lambda qui font la démarche d’ouvrir leurs portes à notre public, c’est peu banal », explique Thierry Pastou, responsable de l’hébergement pour l’association Saint-Benoît Labre. Parmi ce public, des femmes en situation d’urgence, des sortants de détention, des étudiants en grande précarité pour qui cette mise à l’abri temporaire, qui peut se prolonger jusqu’à six mois, sert de tremplin pour rebondir vers une solution plus pérenne.
« C’est un lieu d’apaisement et de réappropriation d’un espace personnel qui, s’il n’est pas durable, permet aux bénéficiaires de rebomber le torse », observe Ludovic Dardenne, directeur de l’association Permis de construire. Un lieu qui ne correspond toutefois pas à tous les publics. « Il est rare que nous placions des personnes qui sortent directement de la rue, poursuit-il. Il faut généralement un premier temps d’évaluation pour voir où en est la personne, notamment par rapport à d’éventuelles addictions et si elle est capable de rester seule. »
Rencontres d’un autre type
En pratique, le logement est accessible les soirs en semaine, à partir de 18 h jusqu’à 8 h 30, avant l’arrivée des salariés, et tout le week-end. Si, à son arrivée, le bénéficiaire signe un contrat tripartite avec l’entreprise qui l’accueille et l’association qui fait le lien, la confiance reste reine. « Je leur donne le double des clés pour qu’ils se sentent comme chez eux. Ce qui ne m’empêche pas de m’arranger pour les croiser le matin et le soir, histoire de créer des liens », décrit Pierre-Yves Loaëc qui, depuis le mois d’octobre 2020, accueille Souleymane, son troisième « invité ».
Un exercice auquel ses collaborateurs se prêtent aussi naturellement, en se rendant disponibles pour refaire un CV par exemple. « Plus qu’un simple couchage, cette démarche est hyper-pertinente car elle permet de casser les représentations que les employeurs ont sur le monde de la rue », se félicite Ludovic Dardenne. Reste que si une quinzaine de sociétés nantaises ont décidé de sauter le pas en ouvrant les portes de leurs bureaux, seuls deux lits sont actuellement occupés. « Certaines idées reçues perdurent parce que cela reste un Ovni pour nous d’aller travailler en lien direct avec l’entreprise, poursuit le directeur de Permis de construire. C’est tout un cheminement en interne dans nos associations. »