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Faire face aux situations d'emprise dans les lieux de vie informels

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Le terme d’emprise ne dispose pas de qualification juridique, excepté dans le cadre de violences conjugales (loi du 30 juillet 2022).

Crédit photo Association Acina / DR
L’emprise sur les publics en grande précarité qui vivent au sein de bidonvilles se révèle omniprésente dans le quotidien des travailleurs sociaux du secteur. Pour leur permettre d’assurer leur mission d’insertion, plusieurs formations proposent des outils d’identification et de signalements.

« Lorsque j’ai intégré mon équipe, mes collaborateurs m’ont prévenue, confie Mélissa Ould Mohammed, responsable, depuis deux ans, de l’antenne du Val-de-Marne de l’association Acina (Accueil, coopération, insertion pour les nouveaux arrivants). On m’a avertie qu’il y avait de la méfiance, qu’en raison de la présence de chefs, il fallait faire attention à ce que l’on disait et aux personnes que l’on rencontrait. Je venais pourtant déjà du secteur mais la problématique n’avait jamais été abordée dans mon ancien job. » Peu visibles et mal documentées, les situations d’emprise et de traite des êtres humains s’immiscent dans le quotidien des professionnels en charge de l’accompagnement social des publics qui vivent en squats et en bidonvilles. Conséquence : « Lorsque le travail social ne fonctionne pas, cela peut donner l’impression que cela tient à la singularité des personnes en situation de très grande précarité. Or, en creusant un peu, nous nous apercevons que ces phénomènes entravent considérablement l’insertion », affirme Olivier Peyroux, co-fondateur de Trajectoires, association d’aide à l’intégration sociale de populations migrantes.

Les discriminations, les expulsions répétées de lieux de vie informels et les publics non francophones sont souvent pointés comme les principaux freins à l’accompagnement, la domination subie par les familles s’avère un autre motif important. « Ce cas de figure est fréquent et n’est pas spécifique à l’origine des personnes », confirme la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) dans une fiche pratique publiée en avril 2023 à destination des acteurs politiques et associatifs. « Si les situations ne sont pas repérées et traitées, elles risquent de mettre en échec l’accompagnement », souligne le document.

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Dans ce contexte, plusieurs associations créent des modules de formation ou de sensibilisation à destination des travailleurs sociaux. Le but : donner des conseils pratiques pour accompagner les familles, en dépit de réseaux mafieux présents sur le terrain. Avec comme premier précepte, le repérage et comme méthode de fiabilisation, l’étayage des informations.

Répertorier les indices

« Tout le travail doit être basé sur des indicateurs, détaille Olivier Peyroux. Lorsque des enfants mendient, spontanément, chacun y va de sa petite interprétation : ce sont des Roms, c’est culturel… Mais la détention d’informations objectivées telles que l’âge, l’amplitude horaire de la pratique et la déscolarisation est nécessaire pour alerter les services de protection de l’enfance, le cas échéant. » Des propos corroborés par Guillaume Lardanchet, président de l’association Hors-la-rue qui œuvre pour le respect des droits des enfants et adolescents étrangers. « Certains commettent des délits, ce sont donc des délinquants qui sont interpellés, jugés et souvent placés dans des foyers dans lesquels ils ne restent pas. Nous les retrouvons ensuite à nouveau dans la rue, abonde le président dont l’association sensibilise au phénomène des travailleurs sociaux, des magistrats, des avocats et des associations. Pourtant, lorsqu’on prête attention à quelques signes, on s’interroge. » Le taux de réitération des actes de délinquance, la réception d’un grand nombre d’appels, la prise de stupéfiants, la connaissance des subtilités du code pénal sans savoir ni lire ni écrire, le refus de participer à des activités socio-éducatives ou le port de vêtements abîmés… constituent autant d’indices qui présument d’une délinquance « encadrée » et, surtout, d’un enfant en danger.

« Il ne faut pas se contenter d’un seul signe pour émettre des conclusions. La sensibilisation que nous effectuons a pour autre objectif de fournir des outils pratiques afin de montrer que, malgré la diversité des publics, il y a des similitudes dans les parcours. La fatalité n’existe pas. La répétition des modalités d’emprise et des fonctionnements criminels transcendent les appartenances culturelles avec des mécanismes qui touchent l’ensemble des origines géographiques des sujets », indique Guillaume Lardanchet.

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Dans de nombreux bidonvilles, les travailleurs sociaux font face à une autre forme d’emprise. En grande précarité, les familles s’en remettent à des « intermédiaires » pour obtenir l’accès à un hébergement, à de la nourriture ou à un service de traduction. « Là où les services publics et le droit commun ne remplissent pas leurs fonctions, la nature ayant horreur du vide, elles s’en remettent à d’autres personnes qui, par effets d’opportunités, profitent de leur misère en proposant leur aide. Des dettes sont ainsi instaurées pour combler les besoins », explique le président d’Hors-la-rue. Un processus bien rodé et connu de nombreux professionnels qui composent avec au quotidien. « Nous ne pouvons pas entrer dans certains bidonvilles en raison de la présence de chefs de “platz” (terrain en roumain). Ils peuvent craindre que les associations attirent les pouvoirs publics et qu’une expulsion s’ensuive ou bien de perdre des revenus si certains parvenaient à s’insérer », confie la cheffe de service d’Acina. Ici, pas de vérité intangible. « Pour autant, nous intervenons sans problème dans certains bidonvilles en établissant un dialogue avec le chef. Nous tentons toujours de créer un contact. »

Croiser les regards

Certains tolèrent en effet la présence de travailleurs sociaux et ne s’interposent pas dans l’accompagnement alors que d’autres parlent au nom des familles en assurant qu’elles ne demandent pas d’aide. Une occasion de mettre en musique les outils de repérage proposés par les formations. Et ce, dans l’objectif de mener discrètement les individus vers les locaux de l’association et de créer des opportunités d’aide pour d’autres, par le biais du bouche-à-oreille. « La formation permet de repérer les membres importants sur les terrains. L’observation de l’emplacement des baraques, de la façon dont les gens s’adressent les uns aux autres, de qui parle en premier, c’est tout un travail d’analyse », retient Mélissa Ould Mohammed, qui a suivi le module en ligne proposé par la Dihal et Trajectoires. « Après son visionnage, nous avons généralisé à toute l’association la venue d’un responsable lors des premières visites de bidonvilles. » Cette présence supplémentaire, génératrice de confiance, offre des possibilités d’analyses avec la mise en retrait d’un membre de l’équipe.

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L’essentiel de l’accompagnement se concrétisant par des actions « d’aller vers », les travailleurs sociaux constituent les premiers témoins d’actes illégaux, dont le recensement s’aligne avec la stratégie de résorption des bidonvilles*. Il n’en reste pas moins que leur rôle ne doit pas se confondre avec celui des acteurs de justice.

Créer des passerelles

Insertion sociale, protection des victimes… Pour répondre à l’ensemble des enjeux, la connaissance des partenaires d’un territoire ainsi que des différentes possibilités de signalement se révèle donc cruciale. « Nous expliquons comment peut se coordonner la réflexion nécessaire pour transmettre les informations relevées aux personnes légitimes pour les traiter », indique François Duchamp, chef de projet et organisateur d’une session de formation sur l’identification et les alertes relatives aux situations d’emprise, d’exploitation ou de traite dans le département du Rhône, où, entre 70 et 80 lieux de vie informels sont répertoriés. « Outre la maîtrise du cadre légal, il est essentiel de tisser du lien entre le milieu associatif et le milieu judiciaire. Chacun doit connaître les réalités, les champs de compétence et les possibilités de l’autre. Nous le rappelons », conclut-il.

Se détourner du traitement judiciaire des réseaux revient à paralyser la situation et à empêcher les victimes d’être reconnues et protégées. Sans outils pratiques, les travailleurs sociaux peuvent, quant à eux, perdre la confiance des usagers, s’exposer à des menaces d’intimidation où se voir interdire l’entrée d’un lieu de vie.

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>> Les prérequis d’intervention de François Duchamp, de l’association Trajectoires

Se doter d’outils pour obtenir une connaissance fine du terrain avec, par exemple, des ressources linguistiques pour échanger avec le public.

Allouer un temps de travail suffisant pour organiser les visites sur site.

Disposer d’une méthodologie en se posant des questions telles que « à quoi dois-je faire attention sur le terrain ? », « qu’est-ce que j’inscris sur mon rapport de mission ? », « Avec qui puis-je le partager ? »…

Participer au maillage inter-associatif en collaborant.

Se saisir des ressources partagées avec l’ensemble des acteurs dans un cadre commun (indicateurs, trame de document,…).

Identifier clairement l’ensemble des acteurs de police, de justice et de protection des victimes pour pouvoir les saisir rapidement.
 

>> Les trois caractéristiques de la traite selon la Dihal

  • Un acte : recrutement d’une personne.
  • Un moyen : utilisation de la force ou menace d’en faire usage, ainsi que toute autre menace de contrainte.
  • Un but : exploitation de la victime (obligation à commettre des délits, exploitation sexuelle, mendicité…).

(*) Dans sa stratégie de résorption des bidonvilles, le gouvernement entend dépasser l’approche centrée sur les évacuations au profit d’une approche globale (insertion, prévention des réinstallations, ordre public).

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