« Je n’ai pas vu en six ans autant de choses faites que pendant trois mois. » Florian Huyghe, chargé de mission « habitat/logement » à la Fondation Abbé-Pierre, se satisfait des actions déployées sur les bidonvilles dans le contexte de la crise liée au Covid-19. « L’intervention sur site est l’un des aspects de la résorption des bidonvilles telle qu’elle est prévue dans l’instruction du gouvernement du 25 janvier 2018 », a rappelé, en guise d’introduction d’une conférence en ligne, Manuel Demougeot, directeur du pôle « résorption des bidonvilles » et directeur de cabinet à la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), lors d’un webinaire organisé le 3 juillet. « C’est vraiment le plus tôt possible qu’il faut aller sur un site. Aller vers les personnes, dans le cadre de cette notion d’“aller vers” bien connue du travail social. Il faut agir sur les sites avec un triple objectif : le premier est de répondre à tout ce qui relève du sanitaire et de l’urgence ; le deuxième est la volonté d’encadrer le site, de le rendre plus acceptable pour les personnes qui y vivent. Et le troisième est la résorption des bidonvilles. Intervenir sur le site ne signifie pas le stabiliser, le pérenniser comme une forme différente d’habitat, mais travailler à la disparition du site dans un terme plus ou moins moyen », a-t-il poursuivi.
Améliorer le pilotage des actions
Le chargé de mission « habitat/logement » à la Fondation Abbé-Pierre s’est également réjoui de voir naître, lors de la gestion de la crise sanitaire dans les bidonvilles, « un début d’animation et de coordination au niveau local entre les associations et les pouvoirs publics ». Il reconnaît, cependant, que le pilotage entre les acteurs « reste encore à travailler ». « Si on veut agir sur les bidonvilles, il faut un croisement des interventions entre les pouvoirs publics, les acteurs privés et les habitants. Chacun a des compétences et des connaissances qui peuvent permettre d’avancer sur la question de la résorption des bidonvilles », insiste Florian Huyghe. Estimant qu’il faut déterminer des axes locaux de résorption des bidonvilles au niveau des métropoles. « Cette stratégie nécessite de définir qui anime, qui coordonne, qui pilote, qui se met autour de la table sans oublier les habitants, et de définir les interventions pluridisciplinaires. »
L’impérieux accès à l’eau
Si les problématiques de l’accès à l’eau ne sont pas nouvelles dans le cadre de la politique des bidonvilles, les acteurs du terrain (associations et organisations non gouvernementales) ont tous reconnu qu’elles ont pris beaucoup de place au moment de la crise sanitaire du fait notamment de l’impérative nécessité de l’hygiène pour éviter la propagation du coronavirus dans un contexte de forte promiscuité des habitants. Pour rappel, le Collectif national droits de l’Homme Romeurope estimait, le 26 mars dernier, que 80 % des squats et bidonvilles recensés sur le territoire, où vivent environ 19 000 personnes, n’avaient aucun accès à l’eau potable. « On a vu monter des problématiques d’accès à l’eau, d’assainissement et d’hygiène [EAH] lors de cette épidémie de Covid-19, reconnaît Manon Gallego, cheffe de mission France chez Solidarités internationales. Une coordination informelle EAH est née mais beaucoup de questions se sont posées car il existait peu de repères sur les interventions EAH. Vers quels standards tendre ? Quels cadres et quels outils juridiques ? Quelles responsabilités de compétences vis-à-vis des pouvoirs publics ? »
Et Adeline Grippon, coordinatrice de la mission banlieue Ile-de-France pour Médecins du monde de poursuivre : « Avant la crise du Covid-19, l’accès à l’eau dans les bidonvilles paraissait impossible pour beaucoup d’associations. Les mairies craignaient que ce soit un moyen de pérenniser le bidonville. Or l’accès à l’eau permet de stabiliser le terrain pour donner un minimum de dignité aux personnes. »
La chargée de mission a expliqué que de nombreuses communes ont découvert que l’accès à l’eau était très simple à mettre en place et ne coûtait pas cher. « Un plaidoyer que l’association Système D porte de longue date mais n’arrivait pas à faire entendre », a-t-elle déploré. « En Seine-Saint-Denis, l’accès à l’eau a été possible grâce à l’appui de la préfecture aux communes et ONG. Toutefois, dans les villes où les bidonvilles ne sont pas suivis par des collectifs de citoyens ou par des associations, les communes ne se sont pas saisies de cette question. Les ONG pourraient avoir un rôle pour les accompagner pour mettre en place l’accès à l’eau dès qu’un bidonville s’installe », a considéré Adeline Grippon.
Lors de ce webinaire, Manuel Demougeot a rappelé l’importance pour les acteurs intervenant dans les bidonvilles, de regarder aussi ce qui se passe en termes de protection de l’enfance, de délinquance et des droits des femmes. « Dans un bidonville, il y a souvent derrière une organisation du site, une exploitation des uns par les autres, voire parfois un système qui ressemble à celui des marchands de sommeil », a-t-il rappelé. Olivier Peyroux, sociologue et cofondateur de Trajectoires, association spécialisée dans la prise en compte des populations migrantes habitant en bidonville et squats en France, a souligné la nécessité de mieux comprendre les dynamiques sociales dans les bidonvilles pour mieux agir.
Des Relations de pouvoir
« On n’a pas deux bidonvilles identiques. Ne pas prendre en compte l’écosystème propre à chaque bidonville peut réserver des surprises. Ainsi, des initiatives qui sur le papier sont très bonnes ne vont pas nécessairement fonctionner. Il existe encore quelques petits bidonvilles familiaux, mais dans la majorité des cas, pour des raisons d’expulsions à répétition, on a eu des mélanges de populations très hétérogènes aussi bien sur le plan social que sur les durées d’arrivée et des projets migratoires. Il ne s’agit pas de personnes qui appartiendraient à un groupe familial avec un projet migratoire totalement identique », a-t-il analysé. « Des personnes peuvent être victimes de marchands de sommeil qui leur font payer un droit d’entrée ou un loyer parce qu’ils estiment avoir trouvé le terrain du bidonville. Quand on installe des toilettes sèches, il est courant que le groupe familial se les accaparent et fasse payer l’accès aux habitants. »
Ces relations de pouvoir qui se nouent dans les bidonvilles ne doivent pas être niées par les acteurs de terrains, au prétexte que « cela va nuire à l’accompagnement social et à l’action humanitaire », a insisté sociologue. « L’important est d’être en capacité, lors d’une intervention dans un bidonville, quand il est stabilisé mais aussi pour conduire vers l’insertion des habitants, de prendre en compte cette diversité. De proposer un accompagnement social différencié en tenant compte de ces rapports de force et de domination. »
Olivier Peyroux a également souligné que durant le confinement, des recompositions des populations ont eu lieu. « Des personnes qui étaient à l’hôtel ont souhaité passer le confinement avec des membres de leur famille qui étaient sur le terrain, d’autres sont retournées au pays et vont revenir. Il est nécessaire de refaire un diagnostic, famille par famille, afin d’avoir une vision la plus holistique possible. »
Pour rappel, le budget dédié au soutien des actions de résorption des bidonvilles a été doublé en 2020, passant de 4 à 8 millions d’euros. « Les demandes remontées des territoires sont importantes. Des actions et projets nouveaux vont toucher plus de campements et plus de personnes dans toutes les problématiques sociales. Un vent nouveau qui va permettre de donner une accélération aux actions », a assuré Manuel Demougeot.
Il existe aujourd’hui plus de 500 bidonvilles en France métropolitaine dans lesquels vivent entre 16 000 et 20 000 personnes, dont environ 5 000 mineurs. Selon la Dihal, « ces chiffres restent stables depuis une vingtaine d’années ».