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 Assurance chômage : « Cette réforme risque de créer de nouvelles poches de précarité » (Michaël Zemmour).

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Alors que le taux de chômage reste une préoccupation majeure, le gouvernement s'apprête à restreindre encore davantage les conditions d'accès à l'assurance chômage. Pourquoi un tel durcissement et quelles seront les conséquences pour les populations les plus précaires ? Pour Michaël Zemmour, économiste et chercheur à l’université Lyon 2 et Sciences Po, « ces réformes constituent une restriction sans précédent de la protection chômage »    

L'annonce d'une nouvelle modification des règles de l'assurance chômage semble désormais inévitable. Le premier ministre Gabriel Attal a confirmé dans un entretien à La Tribune Dimanche qu'un décret serait publié dès le 1er juillet pour une mise en œuvre le 1er décembre. Allongement de la durée de travail nécessaire pour être indemnisé (actuellement de 6 mois), réduction de la période de référence pendant laquelle le demandeur d'emploi devra travailler (actuellement de 24 mois), durée maximale d’indemnisation (aujourd'hui de 18 mois pour les chômeurs de moins de 53 ans), autant de mesures que souhaite remettre en question le gouvernement.

Des dispositions qui se veulent incitatives au retour à l'emploi des chômeurs, mais qui soulèvent néanmoins quelques questions que nous avons posées à l'économiste Michaël Zemmour. Ce professeur d'économie, chercheur à l’université Lyon 2 et Sciences Po, étudie les systèmes de financement de la protection sociale et des services publics.

Dans quel contexte s’inscrit cette nouvelle réforme de l'assurance chômage ?

Michaël Zemmour : C’est la troisième réforme en très peu de temps, l’une concernait le calcul de l’allocation et l'autre raccourcissant la durée d’indemnisation du chômage. Cela a réduit le nombre de chômeurs indemnisés et diminué en moyenne de 20 % les indemnités, plus pour certains publics. Mises bout à bout, ces réformes seraient une restriction de la protection chômage sans précédent, depuis la création de l’assurance chômage.

On annonce la réduction de la durée d’indemnisation, la dégressivité du montant de l’allocation, l’allongement du délai de carence. Quels sont les objectifs du gouvernement ?

Deux choses semblent tenir la corde. Premier objectif du gouvernement : exclure plus de personnes du bénéfice de l’assurance chômage, en passant la période d’affiliation minimale pour être indemnisé de 6 mois sur deux années à 8 mois sur les 20 derniers mois seulement. Second objectif : réduire le nombre de personnes éligibles à l’assurance chômage. Mais aujourd’hui, 4 personnes sur 10 seulement sont indemnisées. Les autres n’ont pas de droits. Les jeunes qui entrent sur le marché de travail seront probablement les plus touchés. Mais aussi les précaires qui vivent des périodes alternées d’emploi et de chômage.

A mon sens, il n’y a pas de nécessité de faire cette réforme car il y a déjà eu des baisses importantes d’indemnités chômage. Il n’y a pas d’urgence à mener une nouvelle réforme car les évaluations des deux dernières réformes n’ont pas encore été rendues.

Les chômeurs entre 53 et 57 ans n’auront plus de régime différencié et seront tous limités à 18 mois d’allocation. Comment voyez-vous cette uniformisation ?

L’Etat envisage une réforme de l’indemnisation prolongée des seniors qui leur est, actuellement, plus favorable (environ 22 mois d’allocation actuellement accessible à 53 ans puis 55 ans, selon des modalités différentes). Cela ne semble pas totalement tranché mais ce serait pour ces chômeurs un plafonnement de leurs indemnités. En décalant ces bornes d’âge, et en faisant en sorte que cette indemnisation prolongée ne soit accessible qu’à l’âge de 57 ans, on inflige une double peine par rapport à la réforme des retraites.

>>> à lire aussi : « Le chômeur est rendu responsable de sa situation »

Car en décalant parallèlement l’âge légal de départ à la retraite, on créera de nouvelles poches de précarité des personnes qui ne sont ni en emploi ni en retraite. Des personnes de 60 ou 61 ans resteront probablement dans une période plus longue au chômage. Elles subissent déjà une précarité accrue. Avec cette réforme, et la suppression de l’ASS (allocation de solidarité spécifique), on diminue leur protection. La logique du gouvernement, est de se dire que les chômeurs, s'ils ne sont plus protégés, ils retrouveront un emploi. Ce qui paraît incertain. On risque en fait de créer une poche de précarité assez nette avant la retraite. Du côté des seniors, on peut envisager une bascule plus importante au RSA.

Lors de son entretien à La Tribune Dimanche, Gabriel Attal a cependant annoncé la création d'un « bonus emploi senior » qui permettrait de cumuler le nouveau salaire avec l'allocation chômage... 


Le « bonus emploi senior » reste encore vague. Le risque d'effet d'aubaine semble important : embaucher quelqu'un qui l'aurait été de toute façon, mais toucher l'aide. Ou baisser volontairement la rémunération proposée sachant que le chômage complètera. Il faudra connaître le dispositif dans le détail.

Concernant les jeunes, comment seront-ils impactés ?

Il faut avoir en tête que les jeunes de moins de 25 ans ne sont pas éligibles au RSA. Prenons par exemple un jeune de 22 ans qui travaille 6 mois. Son contrat s’arrête. Aujourd’hui, il peut avoir accès au chômage, le temps de retrouver un emploi qui corresponde à sa formation. Demain, ce même jeune n’aura ni chômage ni RSA. Il y a une mise sous pression très dure sur les jeunes en insertion professionnelle.

Faute d'accord entre les partenaires sociaux, le gouvernement a décidé de reprendre la main. Quelles sont les conséquences de la fin de ce système paritaire sur l'assurance chômage 

Concernant la fin du système paritaire dans la politique de l’assurance chômage, le gouvernement et les partenaires n’ont pas la même vision de l’assurance chômage. Pour le gouvernement, c’est d’abord un instrument du marché du travail avec des récompenses, des incitations et éventuellement des punitions.

Pour les partenaires sociaux, il s'agit d'un outil de lissage des revenus, de sécurisation des parcours. C’est aussi vrai du côté du patronat que du côté des syndicats.

Ce même instrument qui est vu différemment des deux côtés ne donne pas les mêmes décisions.

Normalement, il y a une logique de caisse d’assurance sociale, donc les recettes de l’assurance chômage ne sont censées servir qu’à payer les indemnités de chômage. Mais il y a de plus en plus de ponctions sur les caisses d’assurance chômage pour financer d’autres choses, comme France travail, la formation, des domaines que l’Etat devrait lui-même financer. Il y a une forme d'indifférentiation entre les caisses de l'assurance chômage et celles de l'Etat.

>>> Lire aussi : Assurance chômage : « Pas de données chiffrées » sur les demandeurs d’emploi qui pourraient basculer dans le RSA

Selon moi, on peut voir deux logiques économiques de l'exécutif. La première : réduire les dépenses de l’assurance chômage tout en maintenant le niveau de la CSG du côté de l’assurance chômage et se servir de l’excèdent pour payer le déficit de l’Etat. En somme, faire des économies en prenant de l’argent à l’assurance chômage.
La seconde logique : une mise sous pression du marché du travail en imaginant que cela améliorera l’emploi, mais nous n’avons aucune preuve aujourd’hui que cela fonctionne, ou que cela évitera une augmentation des salaires et favorisera des acceptations d’emplois à des conditions moins ambitieuses. En effet, il y a une inquiétude autour des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs dans lesquels des salariés revendiquent des meilleures conditions de travail et de salaire. En dégradant les protections, on pourrait contrebalancer cela.

Quelles seraient selon vous les directions à prendre pour réduire le chômage tout en résorbant le déficit de l'Etat ?

Le déficit de l'Etat s'explique par le fait que nous nous sommes privés de recettes. Les prélèvements obligatoires ont beaucoup baissé ces dernières années, tant pour les ménages que pour les entreprises. Mais il n'y a pas de logique économique propre en choisissant de réduire le déficit, en allant faire un, puis deux, puis trois tours de vis sur les budgets, et finalement sur les personnes les plus précaires.

Le marché du travail est complexe. Tous les demandeurs d'emploi ne sont pas dans la même situation. Mon sentiment : il y a une vision fausse d'un système d'assurance chômage qui ménerait à la désincitation au travail, alors que 61 % des chômeurs ne sont pas indemnisés. Certains sont bénéficiaires de minima sociaux. Et une personne au chômage sur 3 vit sous le seuil de pauvreté, impactant sa famille et ses enfants.

Les causes du chômage sont multiples : des effets économiques, des emplois qui ne correspondent pas à la formation des demandeurs, des freins à l'emploi comme des difficultés de logement, de santé, ou encore, de garde d'enfants. La logique qui voudrait que, pour régler le problème du chômage, il faudrait durcir les conditions d'accès à des indemnités, est fausse. On finit, en effet, par taper toujours sur le même clou, venant aggraver et accroître la situation des travailleurs pauvres. Un retour à l'emploi peut être possible mais il ne sera pas très rémunérateur. On a d'ailleurs quelques indices du côté des minima sociaux. Quand on augmente la pression sur les personnes en recherche d'emploi, on aura parfois plus de retours à l'emploi mais des allers-retours plus fréquents entre emploi et non-emploi, ainsi que des temps partiels qui ne permettent pas de sortir de la pauvreté.

Agir directement sur la création d'emplois est un levier possible. Les contrats aidés ont malheureusement beaucoup diminué ces dernières années.

Je n'ai aucun élément de preuve que les conditions d'indemnisation du chômage expliqueraient le chômage. Les travaux économiques démontrent que la recherche d'un bon emploi stable et correspondant à sa qualification demande des moyens : une meilleure indemnisation du chômage, comme en Europe du Nord, le financement de la formation, ainsi qu'une politique forte et directe de création d'emplois dans des secteurs où le marché du travail ne pourvoit pas assez d'emplois.

 >>> à lire aussi : L’essor des dispositifs de réduction du chômage de longue durée

 

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