Deux millions de travailleurs sont pauvres. C’est avec ce chiffre volontairement dérangeant que les 35 fédérations et associations qui forment Alerte ont décidé d’illustrer une situation qui concerne désormais même les actifs. Le collectif a ainsi profité de sa troisième décennie pour s’interroger sur les facteurs d’une précarité qui touche aujourd’hui 9 millions de personnes. A commencer par ceux pourtant théoriquement protégés par un emploi.
Lever les a priori
« Le travail devrait être un remède contre la pauvreté. Or, c’est un peu un angle mort. Les discours usuels qui font écho d’une remise des gens au travail pour éradiquer la précarité sont faux », pointe Anne Rubinstein, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, lors d’un temps de débats organisé le 22 novembre au Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour l’anniversaire du collectif.
« 17 % des salariés sont au Smic, abonde Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT. Majoritairement des femmes qui travaillent dans le secteur des services, de l’hôtellerie ou de la restauration ». A l’époque de l’ubérisation du travail, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En effet, si le taux de chômage est d’environ 7 % actuellement, contre 12,5 % en mars 1994, la précarité n’en n’a pas mois progressé.
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15 ans d’erreur politique
Une situation contre-intuitive que l’économiste Michaël Zemmour impute aux politiques de lutte contre la pauvreté des 15 dernières années. « Elles ont été subordonnées à celles de l’emploi, à leur détriment, souligne-t-il. Car le travail n’est pas le seul paramètre pour combattre la pauvreté. Ce tournant est donc une erreur ! La question du chômage n’est qu’un facteur. De toute façon, puisque l’on entre dans une politique de rigueur, le chômage risque d’augmenter », souligne-t-il.
Autre élément d’explication : au-delà des emplois précaires, le travail serait en lui-même « malade ». Il engendrerait de la souffrance, en raison de nombreux emplois altérant la santé. Aides à domicile ou agents de collectivités territoriales en détresse, tous les métiers semblent concernés. Et qu’elles soient physiques ou psychologiques, ces maladies deviennent des points de bascule vers la précarité. Sans compter qu’effectué majoritairement par des femmes, le travail partiel subi ou fractionné draine dans son sillage des difficultés financières et un manque de protection sociale tacite. « Parmi les leviers auxquels nous pensons, l’association du monde économique aux réflexions sur la pauvreté pourrait être efficient, propose Anne Rubinstein. Le repérage des travailleurs aux conditions de vie extrêmes pourrait s’opérer par les entreprises ».
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« Si rien n’est investi sur les autres politiques publiques convergentes, la pauvreté ne régressera pas. Et il faut partir des attentes du public, soutient Nathalie Latour, directrice générale de la fédération des acteurs de la solidarité (Fas). Le droit à l’emploi est nécessaire, pas l’injonction au travail ! Les freins périphériques sont des leviers. On ne peut pas penser l’emploi sans penser à la question de la construction de logements ».
Avant d’envisager des solutions, l’observation s’impose. Quelque 330 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile, 2 000 enfants dorment à la rue. Et, sur les 9 millions de personnes en situation de pauvreté, 2 millions sont âgées et deux autres en situation de handicap. « La solidarité doit être vue de façon générale, affirme Anne Géneau, présidente des Petits frères des pauvres. Certes il faut un référent pour accompagner chaque personne, mais il faut aussi aller aux plus près des plus pauvres, c’est-à-dire, effectuer le dernier kilomètre. Laissons le numérique à sa place d’outil ! »
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