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MNA : « Aucun outil fiable ne permet de définir leur âge »

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Docteure en sociologie, Noémie Paté est l’autrice de Minorité en errance. L’épreuve de l’évaluation des mineurs non accompagnés (éd. Presses universitaires de Rennes). Sa thèse a reçu le prix du défenseur des droits en 2019.

Crédit photo Frédéric Albert
Au terme de trois ans d’enquête sur les modalités d’examen de la minorité et de l’isolement des jeunes migrants, la sociologue Noémie Paté alerte sur les dysfonctionnements inhérents à la procédure. Ainsi que sur le caractère subjectif de l’évaluation qui empêche la mise en œuvre de la protection à laquelle a droit ce public.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi avoir consacré votre thèse à l’évaluation de la minorité des jeunes migrants isolés ?

Noémie Paté : J’ai débuté mon étude en 2013. Une année clef pour la situation des jeunes étrangers isolés. Si leur visibilité a émergé dans les années 1990, la médiatisation de leur arrivée sur le territoire s’est développée à partir de 2010. La circulaire dite « Taubira » du 31 mai 2013, relative aux modalités de leur prise en charge, acte le lancement d’un dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation. Elle marque le début de l’examen social de la minorité de ces enfants. Cette estimation de l’âge a pu s’effectuer via la création de la plateforme d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie), fermée depuis 2016. A l’époque, elle suscitait la polémique au sein du milieu associatif. C’est dans ce contexte que j’ai choisi l’observation des critères utilisés pour l’évaluation de la minorité comme objet de thèse.

Sur quelles données s’appuie-t-on pour déterminer un âge ?

Aucun outil fiable ne permet de définir l’âge de quelqu’un. Les professionnels doivent néanmoins se positionner. Pour ce faire, les décisions s’appuient sur cinq critères que j’ai nommés « Chaînes de justification de l’évaluation de la minorité ». Elles englobent d’abord ce qui répond à la demande institutionnelle, c’est-à-dire l’analyse des papiers d’identité, les calculs basés sur la trajectoire biographique ou l’âge des frères et sœurs du sujet. Le comportement ou l’aspect physique jouent aussi beaucoup. Viennent ensuite les capacités d’adaptation supposées du jeune, c’est-à-dire la facilité qu’il aura à s’intégrer dans la société française par le mérite ou la bonne volonté. Les éléments de légitimité narrative basés sur la sincérité, la crédibilité ou la spontanéité sont également pris en compte. Le dernier critère utilisé par les travailleurs sociaux et les magistrats tient à la souffrance observée chez le jeune. Les droits des mineurs se conditionnent donc à la mise en récit de leur parcours.

Pourquoi dénoncez-vous un détournement de cette narration ?

Les mineurs non accompagnés ne constituent pas les seuls usagers concernés par une mise en scène de soi. Depuis plusieurs années, les droits sociaux sont conditionnés à une sorte d’injonction narrative. Il s’agit de réussir à se raconter de la bonne manière, avec de bons indices et en provoquant les « bonnes » émotions chez l’auditeur. Cette logique s’observe aussi pour les mineurs isolés, avec l’impératif de se mettre à nu dans ses souvenirs, sa vie de famille, ses aspirations, ses traumatismes… C’est à travers cette mécanique que la perversion intervient. L’entretien, censé repérer les indices de vulnérabilité et les situations de danger dans lesquelles l’individu se trouve potentiellement, n’entend plus le protéger mais tend à permettre de débusquer une éventuelle faute. Pourtant, contrairement aux autres dispositifs comme celui de la demande d’asile, les jeunes ne bénéficient pas de l’accompagnement d’une association dans la constitution de leur dossier.

Vous évoquez un processus discriminatoire…

Ces jeunes manquent cruellement d’informations. A leur arrivée sur le territoire, les adolescents viennent de passer plusieurs mois, voire des années, sur la route de l’exil. Certains sont en grande précarité en France. Malgré cela, on exige d’eux une parfaite cohérence et l’exhaustivité de tous les éléments spatio-temporels de leur parcours. Et ce, afin d’étudier la vraisemblabilité de leurs propos au travers desquels la verbalisation des événements les met en souffrance. Certains professionnels affirment que les jeunes maîtrisent les règles du jeu et qu’ils ont bénéficié d’un briefing. J’ai plutôt remarqué qu’ils ne comprennent pas ce qui leur est demandé. Ils ne savent pas pourquoi ils doivent répondre à des questions précises sur le quartier au sein duquel ils ont grandi ou sur le comportement de leurs enseignants dans le pays d’origine, par exemple. Si on respecte le principe de présomption de minorité, ces jeunes devraient d’abord être perçus comme des mineurs.

Qu’en est-il aujourd’hui de l’utilisation contestée des tests osseux ?

Avant 2013, l’expertise médicale constituait le seul outil d’évaluation. Il existe un consensus scientifique autour des radiographies des poignets, de la clavicule ou des dents : elles ne constituent pas des outils d’analyse fiables. En cas de doute sur l’âge, le maintien de leur usage pose donc question. En effet, la marge d’erreur est estimée à deux ans et demi et les nouveaux arrivants sont majoritairement âgés de 16 ou de 17 ans. Pour autant, plusieurs magistrats avec lesquels je me suis entretenue affirment utiliser les tests comme outil de sélection, sans tenir compte de l’évaluation sociale ou des papiers d’état civil du jeune. Quand l’expertise médicale conclut à la non-minorité, l’argument scientifique est pointé. Il s’agit d’une solution de repli, utile au juge pour se décharger.

Ces pratiques sont-elles pour autant généralisées ?

Qu’il s’agisse de juges ou de travailleurs sociaux, des divergences interviennent dans la manière de percevoir les jeunes migrants et le sens que chacun met dans l’accueil et le traitement des situations. Ces différences tiennent aux études ou aux trajectoires familiales et professionnelles des acteurs. Ainsi une typologie des pratiques se décline-t-elle. Certains professionnels se tournent plus ou moins vers une approche de soupçon systématique et spontanée. Certains perçoivent plutôt leur métier comme relevant d’une mission de protection, de défense des droits de l’Homme, quand d’autres légitiment l’importance de « faire le tri » dans un contexte économique fragile. Des magistrats tranchent, par ailleurs, au regard des capacités réelles d’accueil des services de l’aide sociale à l’enfance sans tenir compte de l’évaluation préalable.

Quels autres facteurs entravent la présomption de minorité ?

La condition des mineurs isolés se situe au confluent des politiques de protection de l’enfance et de gestion migratoire. Malgré la bonne volonté des évaluateurs, les arrivées perpétuelles de jeunes et le côté répétitif de l’activité mènent les plus « protecteurs » à se lasser et à tenir un discours anti-immigrationniste. Il existe ainsi une corrélation entre le nombre de jeunes qui se présentent et la fermeté des décisions. Par ailleurs, les conditions contraintes de travail et les outils peu fiables génèrent un épuisement et une souffrance chez les professionnels. Enfin, dans leurs rapports d’évaluation sociale, ils proposent une conclusion sur l’âge dont les magistrats ne tiennent pas toujours compte. Pour négocier leur crédibilité, donner du sens à leur activité et la rendre acceptable, ils durcissent donc leurs diagnostics.

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