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Jeunes en rupture : s'appuyer sur leur vécu

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Crédit photo Marta NASCIMENTO
Le 14 mars dernier, la Mission régionale d’information sur l’exclusion (MRIE), association de lutte contre la pauvreté en région Auvergne-Rhône-Alpes, organisait une journée de formation consacrée à l’accompagnement et aux voies d’accès aux droits des « jeunes en cumul de précarité ». Elisa Herman, sociologue chargée de mission au sein de l’association depuis 2018, décline les objectifs de cette formation qui a fait la part belle aux retours d’expériences sur les innovations sociales de ces dernières années. Elle insiste sur la nécessité de « prendre en compte le vécu des jeunes confrontés à la précarité » dans l’élaboration des dispositifs de lutte contre l’exclusion.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi consacrer une formation aux jeunes en cumul de précarités ?

Elisa Herman : Depuis trente ans, l’ADN de la MRIE est de produire une information ancrée très directement dans l’expérience des personnes concernées. Dans ce cas précis, le vécu des jeunes en situation de précarité constitue le point de départ des recherches qualitatives et quantitatives que nous menons sur le terrain. Ces connaissances ont vocation à informer les institutions et les professionnels sur les diverses formes que revêt l’exclusion aujourd’hui. Notre objectif est d’inviter à l’action. C’est pourquoi ces temps de partage d’expériences s’adressent à tous les professionnels intervenant auprès de jeunes dans les champs de la protection de l’enfance, de l’urgence sociale, de l’économie sociale et familiale, de la culture et du social. Avec 30 personnes inscrites, cette journée se déroulait pour la première fois en présentiel. D’autres sessions seront organisées dans les mois à venir. La formation existe également en webinaire, mais sa forme est plus condensée et il est impossible de conserver la dimension pratique qu’offrent les ateliers.

Justement, quelle place la pratique occupe-t-elle au sein de la formation ?

La dimension participative est fondamentale dans l’approche de la MRIE. Ainsi, dès le premier atelier animé en petits groupes, les participants ont dû co-construire un outil permettant d’impliquer les jeunes dans la qualification de leurs besoins. En effet, l’un des principaux enseignements de nos travaux est que la garantie de participation des personnes accompagnées demeure trop souvent cantonnée au stade d’intention, voire dans certains cas à celui d’une simple injonction à l’adresse des professionnels. Et pour cause : elle est difficile à mettre en œuvre sur le terrain. D’ailleurs, les observations recensées dans le Livre vert du travail social, publié en 2022, rejoignent ce constat. Garantir le pouvoir d’agir des bénéficiaires nécessite des outils et des techniques d’entretien spécifiques. Concrètement, le dire ne suffit pas. Les professionnels doivent être outillés.

Par quels moyens permettre aux jeunes de prioriser leurs besoins ?

Le dispositif « Zone libre » illustre bien cette approche. Il s’agit d’un lieu de vie semi-collectif comprenant des studios modulaires pour des personnes sans abri qui ne parviennent plus à envisager d’habiter dans un appartement individuel. Le projet est développé à Villeurbanne (Rhône) par l’association Alynea et soutenu par L’Entreprise des possibles, un collectif d’entreprises engagées. En son sein, les besoins que les personnes accompagnées estiment prioritaires sont au démarrage de leur accompagnement. A titre d’exemple, lorsqu’une jeune en situation de sans-abrisme s’est présentée aux professionnels de l’association en expliquant que dans l’immédiat, l’urgence était de refaire sa paire de lunettes, les professionnelles ont débuté leur accompagnement par des rendez-vous ophtalmologiques. Bien sûr, leur lecture de la situation – nourrie par leurs représentations de travailleurs sociaux – ne situait pas à cet endroit le besoin le plus essentiel. Mais qu’importe, dans ce cas précis, les lunettes ont bien été le point de départ. Non pas parce qu’un suivi ophtal­mologique était le besoin le plus prioritaire, mais parce que c’était celui qui faisait sens pour la personne. Cet accompagnement a permis la création d’un lien avec cette jeune fille. Comme de nombreux professionnels, ceux d’Alynea attestent de la réussite de cette approche avec un public confronté à l’exclusion sociale.

Comment lutter contre le non-recours aux aides des jeunes ?

Les modalités de lutte contre le non-recours doivent s’adapter à notre connaissance du public. En son temps déjà, Pierre Bourdieu déclarait : « La jeunesse n’est qu’un mot. » C’est toujours une réalité. Des conditions de vie très diverses cohabitent sous l’étiquette de « jeunes en cumul de précarités ». La situation d’un jeune de 22 ans qui ne possède pas de titre de séjour est très différente de celle d’un mineur, de nationalité française, qui a quitté l’école à 16 ans. De ce fait, il importe de coordonner une multitude d’actions en fonction des profils, de proposer des informations qui soient à la fois appropriables par les jeunes et harmonisées sur les différentes plateformes qu’ils peuvent consulter et, lorsque c’est nécessaire, d’« aller vers » dans l’espace public. En ce sens, les méthodologies employées par la prévention spécialisée dès les années 1970-1980 – passer du temps dans la rue et se rendre dans les lieux où se trouvent les jeunes – nous semblent pertinentes. Parfois, le meilleur moyen d’échanger avec un jeune décrocheur, c’est de le retrouver devant son ancien collège, à la sortie des cours, lorsqu’il vient revoir ses amis d’école. Ensuite, le non-recours est aussi le fruit d’un millefeuille administratif. Il est nécessaire de questionner la multiplication des dispositifs. Certes, leur existence répond à des situations et des besoins particuliers. Mais paradoxalement, ils ont les qualités de leurs défauts et les défauts de leurs qualités. Une trop grande fragmentation mène inévitablement à la création de cases dans lesquelles les usagers n’entrent jamais, car ils n’en cochent pas toutes les caractéristiques. Dans le même temps, spécifier l’accès à un accompagnement permet de construire une démarche très ajustée et d’affiner un diagnostic préalable.

Quelle place le numérique doit-il occuper dans cet « aller vers » la jeunesse en situation de précarité ?

Il est certain que les institutions doivent s’approprier les codes de la jeunesse pour s’adresser à elle. Les réseaux sociaux sont tout indiqués. Typiquement, la communication de l’Afpa autour du dispositif « La Promo 16.18 », qui s’adresse spécifiquement aux jeunes que l’on catégorise sous l’acronyme « NEET » (« Not in Education, Employment or Training », c’est-à-dire sans études, sans emploi et sans formation) est un bon exemple. Ce dispositif permet aux jeunes de s’approprier et de comprendre rapidement les démarches à effectuer pour réintégrer une formation. Toutefois, le numérique n’est pas la panacée. Naviguer sur les réseaux et effectuer des démarches administratives sont deux activités très différentes et l’éducation numérique reste essentielle pour s’approprier les codes de l’administration.

Y a-t-il une augmentation des mineurs qui décrochent ?

La loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 a institué une « obligation de formation » pour les jeunes de 16 à 18 ans, dans le but de lutter contre les situations d’invisibilité et d’absence de propositions faites aux NEET. Depuis, les jeunes passent moins entre les mailles du filet et sont contactés par des organismes de formation et d’accompagnement dès lors qu’ils décrochent. Par conséquent, il est difficile d’attester d’une augmentation statistique. En revanche, on observe une plus grande précocité du décrochage scolaire ces dernières années, ce que les chiffres de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale confirment.

Comment suivre les parents dans l’éducation de ces jeunes décrocheurs ?

Leur rôle est central. Cependant, nous observons à la MRIE que les conditions de vie des personnes tout comme la manière dont la précarité crée des empêchements dans la parentalité sont des éléments insuffisamment pris en compte. C’est notamment le cas en protection de l’enfance. Très souvent, les dossiers et rapports produits par les travailleurs sociaux ne permettent pas de définir finement les conditions matérielles de vie de la famille. Savoir dans quel logement elle vit, avec quelles ressources et de combien de temps les parents disposent pour être avec leurs enfants… Autant d’éléments qui ne sont pas recueillis systématiquement alors qu’ils sont nécessaires à l’accompagnement.

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