Actualités sociales hebdomadaires - Quel regard portez-vous sur l’entourage des personnes accompagnées au sein de votre association ?
Francis Pradelles : Les familles sont pour nous des partenaires majeurs. Nous ne sommes ainsi légitimes à intervenir auprès des proches que si nous les considérons comme des personnes importantes dans leurs parcours de vie. Nous tenons à prendre en considération leur place et leurs attentes et nous tentons très modestement d’y répondre. Mais je ne vais pas vous cacher qu’il arrive parfois que nous ne soyons pas d’accord sur les besoins. Il s’agit alors de ne pas adopter une posture de « toute-puissance », mais d’essayer, avec humilité, d’entrer dans un dialogue constructif pour relayer notre position, de faire comprendre où commence notre accompagnement et jusqu’où il peut éventuellement aller. L’idée est de rétablir un équilibre. En 40 ans d’exercice professionnel, j’ai été témoin d’une réelle évolution. Les aidants, les proches, par leur militantisme, ont souhaité prendre une autre place. Et je crois que ma fonction d’encadrant consiste à accompagner ce nouveau regard sur les proches des personnes que l’on accueille. Ces personnes sont un maillon de la chaîne, tout comme nous. Il y a encore dix à quinze ans, on ne parlait pas de partenariat, les parents étaient plus ou moins présents, plus ou moins associés à la discussion. Dès lors que les aidants sont aujourd’hui reconnus dans leur fonction, dans la place qui leur est due et qui doit leur être reconnue auprès de la personne, le dialogue en est facilité, même si la relation de confiance est toujours à rechercher.
Comment peut-on faciliter la relation entre les professionnels et les proches ?
Cette relation n’est pas toujours évidente à mettre en œuvre. Il ne suffit pas de la décréter. Il faut la faire vivre au quotidien, le dialogue doit être permanent dans le cadre de la vie associative. Pour notre part, le lien se met d’abord en place par des propositions de rencontres ponctuelles, qui se déroulent tout au long de l’année. Nous proposons, par exemple, différentes interventions – sur la prise en compte de la personne en situation de handicap au sein de la société, sur la place des aidants auprès de ces personnes… – tout en interrogeant la manière dont ils peuvent être intégrés à notre vie associative. Ces discussions passent aussi énormément par les conseils de la vie sociale (CVS). Nous accordons une importance majeure à ces instances. L’Apajh du Tarn organisait depuis longtemps des groupes d’expression, aussi bien pour le secteur de l’enfance que pour celui des adultes. Mais la promulgation de la loi de 2002 est venue accorder, au travers des CVS, un droit inaliénable aux personnes accueillies ainsi qu’à leurs proches de s’impliquer dans la vie de nos structures. Ils sont ainsi devenus des acteurs à part entière, tout en conservant un regard parfois critique vis-à-vis des orientations et des décisions qui peuvent être prises. Depuis plusieurs années, les CVS ont d’ailleurs pris une part croissante au sein de l’association. Les ordres du jour sont désormais souvent coconstruits avec leurs organes exécutifs, qui sont toujours des représentants des familles ou des personnes accueillies. Nous proposons également à des parents volontaires de s’associer à nos réflexions concernant le projet associatif, les projets d’établissement, de service… Au fil du temps, nous avons pu observer une nette évolution de l’intérêt que pouvaient porter les parents et les aidants aux actions menées par l’association en étant ainsi impliqués dans ses réflexions.
Ces transformations doivent-elles s’accompagner d’un changement de posture managériale ?
Selon moi, il s’agit aujourd’hui de responsabiliser les professionnels, de prétendre à leur autonomie, de leur faire confiance et de ne pas les enfermer dans des cases trop étroites. Il faut favoriser leur créativité mais aussi l’équité. Autant d’éléments contribuant, je pense, à un engagement différent des professionnels en menant des actions en collaboration, dans le dialogue. La volonté doit émaner du plus haut et s’articuler très concrètement dans les relations du quotidien, qu’elles soient hiérarchiques ou fonctionnelles. Mais la volonté ne suffit pas à elle seule, il est ensuite indispensable de la construire, de la nourrir et de la soutenir. Avec les cadres intermédiaires, par exemple, les choses ne vont pas toujours de soi. Je pense qu’il faut également les accompagner, essayer de comprendre pourquoi il peut y avoir d’éventuelles résistances. A chaque niveau, nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne.
Au quotidien, dans votre institution, qui est chargé d’assurer les relations avec les familles ?
Il est important de ne pas démultiplier les instances, pas plus que les personnes présentes, de façon à faciliter l’entente et l’écoute de chacun. La place de la direction est bien sûr centrale, dans sa fonction de représentation de l’association, ses valeurs, ses engagements ; celle du coordinateur de projet du jeune ou de l’adulte l’est également, qui a une vision très globale de la situation. Nous pouvons parfois également y associer un psychologue ou un autre intervenant, mais en général nous nous limitons à deux ou trois personnes au maximum et à ce type de fonctions. Le rôle des personnes de proximité reste essentiel, car ce sont elles qui échangent de manière quasi permanente avec les proches et les familles. Ce dialogue est primordial, il nous permet nous aussi de replacer la personne dans cet environnement global qui est le sien. Il est parfois difficile pour les parents de personnes adultes d’appréhender les évolutions dues à l’âge, de juger de la plus grande capacité ou non de celles-ci à décider par elles-mêmes. Notre rôle est alors de soutenir la décision de ces dernières et de ne pas nécessairement suivre des parents qui souhaiteraient quelque chose de différent. Un équilibre assez délicat à trouver. Dès l’enfance, les parents peuvent également se projeter, avec pour objectif d’aller d’un point A à un point B. Or, malgré les compétences mises en œuvre, les formations des professionnels et leur engagement, il ne nous est pas toujours possible d’affirmer que nous pourrons atteindre ce but. Une réalité qui peut être difficile à entendre pour un parent et ajouter crispations et fragilisation à la relation.
Que faudrait-il encore pour associer davantage les aidants aux décisions ?
Actuellement, nous nous sommes engagés à piloter des actions de formation et de sensibilisation auprès des aidants sur des thématiques particulières et très concrètes. Ces actions peuvent aborder des sujets très variés comme la déglutition, la sensibilisation aux droits des aidants, l’orientation en secteur adulte, en secteur personnes âgées… L’idée est d’instaurer une forme de pair-aidance, avec des aidants qui seraient ensuite en capacité de relayer ces informations à d’autres proches. Il s’agit là d’un axe important pour 2022-2023. Par ailleurs, de plus en plus souvent, ces aidants suivent les interventions aux côtés des professionnels. Pour avoir expérimenté ce type de dispositif en 2021, lors de sessions consacrées à l’annonce du handicap ou à la question de la participation financière des usagers, je vois tout l’intérêt de cette démarche, car je m’aperçois que les professionnels eux-mêmes ont une autre attention, une autre écoute, quand ils sont en présence d’un parent. Mais nous sommes toujours ouverts à de nouvelles initiatives, attentifs à ce qui pourrait être amélioré, confirmé, ou modifié. Je crois qu’il ne faut surtout pas rester sur des acquis. Il est également intéressant d’étudier ce qui se passe ailleurs. Début octobre, une délégation de l’Apajh du Tarn se rendra, par exemple, à Malaga pour rencontrer les responsables d’une association espagnole. L’objectif est de comprendre quelle est la place donnée à la personne et à l’aidant au sein de leur institution, mais aussi quel est l’impact des politiques publiques sur l’accompagnement.