« Quelques mois après la mise en place du nouveau gouvernement, la rentrée sociale s’annonce chargée et impose une coopération renforcée entre les acteurs associatifs et institutionnels, de nouvelles façons de travailler ensemble pour appréhender les enjeux qui s’annoncent : baisse du pouvoir d’achat, enracinement de la pauvreté, de plus en plus de personnes, isolées ou en famille, à la rue, crise du travail social…
En juin dernier la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a adopté son nouveau projet associatif pour les cinq prochaines années (2022-2027), fruit d’un travail d’intelligence collective avec les fédérations régionales et les adhérents de la FAS. Pour guider notre action et réaffirmer les valeurs que nous défendons, nous avons construit ce projet associatif autour de cinq axes stratégiques : conquérir de nouveaux droits et rendre effectifs les droits existants ; construire la solidarité à partir des personnes et des territoires ; développer les coopérations et promouvoir les dynamiques associatives ; soutenir et promouvoir le travail social et développer les connaissances pour changer le regard sur la pauvreté et adapter nos réponses.
Il ressort de ce travail un besoin fondamental de changer de méthode d’action pour retrouver de la confiance dans le secteur de la solidarité. Confiance envers les personnes en situation de précarité, envers les travailleurs du social et les associations. Cette démarche requiert de sortir d’un dirigisme centralisé pour prendre en compte les besoins des territoires, et d’une logique de procédures administratives et financières qui freine l’action au lieu de la soutenir.
Nous constatons une complexification de la mise en œuvre des politiques sociales avec notamment une profusion de textes législatifs et réglementaires, et un recours quasi systématique aux appels à projets ou marchés publics dont les temporalités courtes et le prisme de moins-disant social ont un impact sur les réponses sociales.
Cette logique entraîne un empilement des réponses, une multiplicité des financements et de niveaux de décision et compétences rendant notre système de protection sociale difficilement lisible. Or pour accompagner dignement les personnes et faire face à l’évolution de la complexité des situations nous avons plus que jamais besoin de développer des coopérations et des articulations entre dispositifs, secteurs d’intervention et différentes natures d’acteurs (associations, collectivités territoriales, personnes concernées).
Dialogue et coconstrution
De plus, le volume des indicateurs à remplir – souvent peu exploités et surtout peu en adéquation avec la réalité des parcours de vie et d’accompagnement des personnes – a un impact aussi bien sur le temps de travail réel auprès du public que sur la capacité d’adaptation des pratiques professionnelles et donc, in fine, sur le sens de son travail. La crise que traverse le secteur en est une traduction malheureusement éloquente.
Dans une interview à notre magazine F, le sociologue Jean-Louis Laville confirme que “traiter les problèmes auxquels sont confrontées les associations et la société implique de sortir de la technocratie envahissante pour aller vers l’action publique du XXIe siècle : un dialogue exigeant et une coconstruction entre les personnes concernées, les associations et les pouvoirs publics”.
Il nous paraît donc urgent et essentiel de sortir de la défiance qui s’est installée ces dernières années. Défiance à la fois vis-à-vis des publics accompagnés, mais aussi vis-à-vis des acteurs et actrices de la lutte contre l’exclusion. Ainsi convient-il de réaffirmer les rôles de chacun et de restaurer la confiance au sein de cadres de collaboration alors que les notions d’assistance, de bénéficiaires et même d’associations deviennent de moins en moins lisibles.
Afin de rendre effective cette simplification, la Fédération des acteurs de la solidarité propose la mise en place de nouveaux cadres de contractualisation basés sur la responsabilisation des acteurs, la simplification des modèles juridiques et des financements en fonction des secteurs (hébergement/logement, santé, insertion par l’activité économique…), une logique de programmation et de pluri-annualité des moyens, une souplesse dans l’affectation des crédits pour soutenir l’innovation et une évaluation sur la base d’indicateurs coconstruits.
En ce sens, l’exemple des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) est particulièrement éloquent. Ils font face à une multitude de défis quotidiens pour accueillir des personnes en situation d’exclusion. La FAS demande à simplifier la gestion des budgets par les associations et poursuivre la réforme engagée avec la Dihal (délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) sur les modalités de tarification de l’hébergement (dont la complexité des spécificités, en fonction des territoires et des publics accueillis, ne peut être appréhendée que par des spécialistes). La FAS plaide pour transformer les subventions en dotations pluriannuelles garanties à la hauteur des besoins des personnes accompagnées – notamment en les indexant sur l’inflation, en s’assurant qu’elles financent un accompagnement de qualité et en permettant des investissements avec les éventuelles marges dégagées.
Revoir les modes de collaboration
Comme l’indique Yvan Grimaldi, directeur des programmes “Inclusion sociale” de la Fondation de l’Armée du salut : “Au-delà d’une simplification administrative, ce sont les modes de collaboration qu’il faudrait revoir avec la question du financement qui est centrale. Nous devrions sortir du mode d’attribution des subventions à la découpe et revenir à un financement global sur le long terme pour soutenir des projets collectifs complets.”
Simplifier les démarches administratives signifie aussi lutter contre le non-recours. Avoir 30 % de non-recours aux droits est un échec tant pour les personnes concernées que pour la société. Ce taux reflète la complexité de faire falloir ses droits, il entraîne aussi un enracinement des problématiques.
Ainsi, accompagner la dématérialisation et favoriser l’accès aux outils numériques “peut constituer un progrès pour l’accès aux droits quand elle s’accompagne de démarches de simplification et d’automatisation”, comme l’affirmait la défenseure des droits dans un rapport de 2019. Cependant, “même si la dématérialisation a apporté une avancée majeure, il faut garder une dimension humaine et de proximité dans le traitement des dossiers administratifs pour les personnes en situation de précarité. Aussi, continuer à travailler sur la réduction des délais de traitement des dossiers, car l’impact sur la vie des personnes en termes d’accès à la santé, au logement, à l’emploiet à la citoyenneté est important”, dixit Lotfi Ouanezar, directeur général adjoint d’Emmaüs solidarité et adhérent de la FAS.
Le changement de méthode implique de sortir des leviers conjoncturels pour endiguer des problématiques sociales structurelles et d’être dans une politique d’anticipation et de prévention et non exclusivement de réparation. Cela demande du temps, de la confiance et de passer d’une logique de coûts à une logique d’investissement.
La FAS demande une action collective urgente, en parallèle d’une revalorisation des métiers de l’intervention sociale. En première ligne dans l’accompagnement des personnes en difficulté, ces métiers sont aujourd’hui en crise alors qu’ils sont essentiels à la cohésion de notre société. »
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