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A Nantes, La Rivière accueille des femmes sans abri

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Delphine, résidente, dans sa chambre, avec sa fidèle chienne Epice  

Crédit photo Armandine Penna
A Nantes, comme ailleurs en France, le sans-abrisme touche aussi les femmes. Pour les accueillir et les protéger, l’association G-xiste a ouvert en mars 2020 un foyer où elles peuvent venir accompagnées de leurs animaux. Une colocation hybride tenue à bout de bras par deux éducateurs engagés.

Dans cette rue calme d’un quartier légèrement excentré de Nantes, la maison où l’association G-xiste a élu domicile en mars 2020 n’attire pas l’œil. Ni panneau, ni nom sur la boîte aux lettres, tout est entrepris pour qu’elle passe inaperçue. C’est une volonté revendiquée par les deux cofondateurs de ce foyer pour femmes sans domicile souffrant de problèmes d’addictions diverses. « On n’indique l’adresse nulle part car beaucoup de nos résidentes ont été victimes de violences durant leur parcours et cette maison doit leur permettre de se sentir protégées », explique Cécile Mamet, éducatrice spécialisée et cofondatrice de l’association. Protégée, tel est le ressenti de Delphine, 39 ans, hébergée depuis deux mois à La Rivière, du nom de cette maison louée à l’association par une filiale de la SNCF. De sa petite chambre sobrement meublée d’un lit, d’un bureau et d’une armoire, la jeune femme a une vue plongeante sur la partie avant du jardin, mais surtout sur la vigne vierge qui, en cette fin de printemps, montre ses plus beaux atours. « Ça me change de mon camion, plaisante-t-elle d’une voix rauque qui contraste avec sa silhouette filiforme. J’ai perdu mon permis et j’ai dû vendre mon camion dans lequel je vivais depuis plusieurs années. Ça m’a fait un choc », avoue-t-elle. Passé « quelques mois difficiles », la jeune femme intègre la maison en avril dernier et rejoint Marta(1), 43 ans, qui, elle, a pris ses quartiers dans l’une des deux chambres du premier étage en février dernier. Bien que très différentes, les deux colocataires partagent le même besoin de faire une pause, loin de la rue et de leurs addictions. « Ce lieu a été conçu dans l’intention d’aider ces femmes à reprendre leur souffle. Ce n’est pas le grand luxe, c’est un peu mal foutu, mais c’est le seul dispositif à ma connaissance qui propose une solution temporaire d’hébergement de ce type », résume Michel Girard, coprésident et cofondateur de G-xiste.

Les animaux sont nos amis

En France, rares sont les structures totalement dédiées aux femmes sans domicile. Plus rares encore celles qui acceptent leurs animaux. Car, à La Rivière, chiens, chats et autres bébêtes à poils sont les bienvenus. « Un endroit comme celui-là n’est pas du tout homologué,, intervient gaiement Cécile Mamet. Pourtant, il répond à un vrai besoin identifié sur notre territoire : celui des personnes qui préfèrent rester à la rue plutôt que de se séparer de leurs compagnons à quatre pattes. » Dans cette maison, au contraire, on leur réserve un accueil tout particulier. Une spécialiste canine et féline a d’ailleurs été consultée pour adapter le règlement en conséquence. Ainsi, Epice, la chienne de Delphine, n’a pas l’autorisation de pénétrer dans la pièce de vie et la cuisine ou de grimper à l’étage. Idem pour les deux chats de Marta, quand bien même ceux-ci ne quittent jamais la chambre de leur maîtresse. A peine pointent-ils le bout de leur museau par la fenêtre de l’étage, sans doute apeurés par le chien qui évolue avec aisance dans le grand jardin ceinturant la bâtisse. Heureusement, leurs maîtresses sont, elles, en bien meilleurs termes. « On a chacune besoin de notre espace privé, mais on apprécie de prendre des repas ensemble de temps en temps. Dans ce cas, généralement, c’est moi qui cuisine, et Delphine goûte », glisse timidement Marta, la quarantaine et le regard d’azur.

Pour que la mayonnaise prenne entre les résidentes et que cette formule soit bénéfique, il faut des garde-fous. Le principal étant de s’assurer de l’adhésion de la future usagère. A cette fin, l’entrée dans les lieux est toujours précédée d’un premier rendez-vous avec le professionnel partenaire qui a adressé la personne. S’ensuit un second rendez-vous dans la maison, puis un dernier avec l’animal, en présence de la conseillère canine et féline. « Il est arrivé qu’elle refuse une candidate dont elle jugeait le chien trop dangereux », se souvient Cécile Mamet. Si l’admission ne prend généralement que quelques jours, elle peut aussi s’échelonner sur plusieurs semaines, afin de laisser à la postulante le temps de cheminer vers le désir d’être accompagnée. « Nous ne pouvons accueillir les femmes qui viendraient chercher uniquement un toit. Ici, nous sollicitons beaucoup les résidentes. Cela peut vite devenir invivable quand on n’en a pas envie. Sans compter qu’à la longue certaines règles imposées par la colocation et le besoin de sécurité finissent par peser », admet Michel Girard.

Semi-autonomie

Sandra, 47 ans, peut en témoigner. Après un séjour de onze mois dans la maison, son seul souhait était de trouver un logement autonome. La raison : pouvoir recevoir la visite de sa fille. « On n’a pas le droit d’accueillir à La Rivière des personnes étrangères à l’association. Je sais que cette règle est là pour nous protéger des éventuelles mauvaises fréquentations, mais c’était le plus difficile à vivre pour moi », reconnaît l’ex-habitante, qui vit désormais dans un logement social situé à seulement quelques encablures de là. Cette proximité a un avantage : elle permet de nouer un lien de qualité entre les professionnels et les usagères. « Ici, le principe de la distance professionnelle qu’on nous enseigne à l’école est battu en brèche. L’accompagnement rapproché est le moyen que nous utilisons pour que les femmes acceptent de prendre appui sur nous et puissent aller de l’avant », confie Cécile Mamet.

En pratique, le temps de présence des professionnels est moindre que dans certaines structures. Toute la semaine, dès potron-minet et jusqu’à la tombée de la nuit, mais pas plus. « Le lundi et le vendredi, nous y allons en duo ; les autres jours, nous alternons, en faisant parfois intervenir l’un de nos 12 bénévoles. Le week-end et la nuit, en revanche, il n’y a pas d’encadrement », spécifie la cofondatrice nantaise. C’est là une autre des originalités de cette structure hybride où le choix a été fait de ne pas mettre d’astreinte en place. A la place, un téléphone, que les résidentes peuvent utiliser pour joindre l’un de leurs deux référents en leur absence. « Cette semi-autonomie est volontaire, explique Michel Girard. Ici, les résidentes sont chez elles. Elles disposent chacune de clés et peuvent aller et venir comme bon leur semble, dans la mesure où elles ne dépassent pas les bornes. » Des bornes dont les résidentes acceptent le principe dès l’admission, à travers la signature d’un contrat de séjour dans lequel elles s’engagent, entre autres, à ne pas découcher sans raison et à ne pas consommer sur place certaines substances, licites ou illicites.

Pour autant, la consommation d’alcool reste un sujet central au sein de la maison. Ce, alors qu’elle est théoriquement interdite. « On n’impose à personne d’avoir un projet d’abstinence. Certaines femmes souhaitent boire raisonnablement de façon à pouvoir reprendre le cours de leur vie sereinement. Aussi, lorsque écart il y a, on veut pouvoir en parler ensuite avec la consommatrice », précise Cécile Mamet. En parallèle, l’équipe éducative encourage les résidentes à se rapprocher de structures de soins spécialisées en addictologie de type Csapa (centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie) ou Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), si un tel soutien thérapeutique n’a pas encore été mis en place. De manière générale, l’association n’a pas vocation à se substituer aux autres suivis. Complémentaire, l’accompagnement prend majoritairement ancrage sur les aspects de la vie pratique, avec toute la souplesse qui caractérise une structure de cette taille. Repas, courses, ménage, lessive… servent ainsi souvent de prétextes pour se raccrocher au réel. L’accompagnement proposé par les éducateurs, quant à lui, touche un large spectre de sujets : insertion sociale, demandes d’aides ou de papiers d’identité, ouverture d’un compte bancaire, réduction des risques avec la participation ponctuelle d’une infirmière, prise de rendez-vous médicaux, orientation vers des dispositifs de droit commun… De quoi lever tous les freins d’accès à un logement et, selon les situations, à un emploi.

Recadrage parfois obligé

Delphine vient ainsi de décrocher un temps partiel au Jardin de Cocagne nantais, un chantier d’insertion en maraîchage biologique. Encore quelques semaines bien au chaud à La Rivière, et elle pourra peut-être reprendre la route dans un nouveau camion. Son souhait le plus cher. Mais, pour le moment, rien ne presse. Car si le projet de La Rivière a été conçu avec l’intention d’en faire une structure de transition, il arrive que le séjour se prolonge au-delà de six mois avant qu’une solution tenable soit trouvée.

A La Rivière, la vie en communauté n’est cependant pas toujours un long fleuve tranquille. Aux chamailleries classiques d’une colocation s’ajoutent des conflits plus spécifiquement liés aux addictions, qui obligent parfois les maîtres de maison à interrompre le suivi. « Il a déjà fallu qu’on revienne hors de nos permanences parce qu’une femme n’avait pas respecté le règlement et rendait la vie des autres impossible. Dans ce cas, on commence par recadrer une fois, deux fois. Et si ça ne fonctionne pas, on peut aller jusqu’à l’exclure du programme, même si on le fait la mort dans l’âme », décrit le cofondateur d’un air contrit. En deux ans, sur les 13 résidentes d’hier et d’aujourd’hui, deux femmes ont dû quitter la maison prématurément. Les neuf autres ont pu intégrer un foyer, une résidence thérapeutique, retourner en famille ou s’installer dans leur propre appartement (en logement social ou dans le parc privé).

Petite goutte dans l’océan de l’offre en accueil, hébergement et insertion (AHI), La Rivière est une alternative qui a du mal à convaincre les financeurs. Et ce, malgré les efforts déployés par l’équipe pour se faire une place dans le secteur de l’AHI. « On a frappé à toutes les portes, mais nous ne disposons d’aucun financement pérenne. Devoir repartir chaque année de zéro est épuisant. Ça nous fait douter de la possibilité de durer dans le temps et d’essaimer », déplore Cécile Mamet. L’année dernière, l’association a collecté 72 000 €, en comptant les fonds versés par les trois collectivités (région, département et ville de Nantes), le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la récidive (FIPDR), la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et quelques fonds privés.

« L’idéal serait qu’on puisse toucher 97 000 €, voire 111 000 € pour ouvrir une quatrième place en appartement », informe-t-elle. Cette somme permettrait aussi de fidéliser Lucile Poinsignon, psycho-somatothérapeute, et Patrick Sorin, art-thérapeute, actuellement bénévoles et qui interviennent très ponctuellement. « L’idée est de faire découvrir de nouvelles choses aux résidentes pour qu’on puisse, si elles accrochent bien, faire le lien avec les professionnels à l’extérieur », expose ce dernier d’une voix posée. Sandra, l’ex-résidente, invite pour sa part les colocataires à mettre les mains dans la terre. Notamment dans celle du potager où elle avait planté les premières graines lors de son séjour à La Rivière et où poussent désormais pommes de terre, tomates, petits pois et autres légumes d’été. « Lorsque je suis arrivée dans la maison, je m’étais promis de m’impliquer dans l’association à ma sortie. Ce potager, c’est mon humble contribution pour tout ce que l’équipe de G-xiste m’a apporté. C’est ma façon de valoriser le travail de Cécile et Michel, car c’est grâce à eux que j’en suis là aujourd’hui. »

Notes

(1) Prénom d’emprunt.

Reportage

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