Recevoir la newsletter

MNA : « Les addictions pour supporter l’exil »

Article réservé aux abonnés

Présidente de l’association SOS Migrants mineurs, Fatiha de Gouraya a postfacé le livre de Nadia Hathroubi-Safsaf : Enfances abandonnées. Une enquête auprès des enfants des rues (éd. JC Lattès, 18 €).

Crédit photo DR
Depuis 2017, Fatiha de Gouraya accompagne les mineurs non accompagnés (MNA) marocains installés dans le quartier de la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Des jeunes qui échappent à l’aide sociale à l’enfance (ASE).

Actualités sociales hebdomadaires - Quelles sont les spécificités des jeunes que vous suivez ?

Fatiha de Gouraya : Comme beaucoup de MNA, ce sont essentiellement des migrants économiques en quête d’une vie meilleure et qui ont pour but d’envoyer de l’argent à leur famille. Dans le cas précis des mineurs d’origine marocaine, ce qui frappe le plus est leur jeunesse. Il n’est pas rare de rencontrer des enfants de 9 ans errant dans des squares du quartier de la Goutte-d’Or avec des adolescents de 17 ans. Une solidarité se développe entre eux, les plus âgés prennent soin des plus jeunes, et ils ont tendance à rester entre compatriotes. Ils sont aujourd’hui quelques centaines en région parisienne. S’ils ont en commun la migration, les profils sont très hétérogènes. Certains sont instruits tandis que d’autres ne sont jamais allés à l’école et sont enracinés dans la délinquance depuis des années. D’autre part, l’addiction au cannabis et aux solvants est très répandue parmi ces jeunes. L’image d’enfants qui sniffent de la colle dans un sac en plastique, qui avait choqué les riverains et avait été largement relayée par les médias, est bien réelle. Et saisissante de désarroi… Cette polyaddiction est un moyen, notamment pour les plus jeunes, de supporter, ou plutôt d’ignorer, l’exil et la séparation avec leur mère. Ils s’orientent vers des drogues bon marché : cachets, solvants, etc.

Qu’est-ce qui explique une migration si juvénile ?

La société marocaine est très inéquitable. L’ascenseur social est en panne et le manque d’égalité des chances se répercute très tôt sur les enfants. Les mineurs que l’on retrouve dans les rues de la capitale sont souvent issus de quartiers très criminogènes et étaient déjà des enfants des rues au Maroc. Beaucoup d’entre eux mendiaient dès l’âge de 8 ou 10 ans, tandis que d’autres vivaient de petits métiers (mécaniciens, vendeurs sur les marchés). Il n’existe pas au Maroc d’équivalent de l’aide sociale à l’enfance, seulement un système d’orphelinat qui ne permet pas de pallier la précarité des couches populaires. Beaucoup de jeunes prennent la route de l’Europe, d’abord en direction de l’Espagne, puis, pour certains, de la France et du XVIIIe arrondissement de Paris.

Comment survivent-ils ?

Certains ont trouvé des squats à Paris ou en proche banlieue, d’autres dorment sur des bancs. A la pression économique vis-à-vis de la famille s’ajoute l’urgence quotidienne de la survie du groupe. Il faut « faire de l’argent » pour manger le soir. En l’absence de moyens légaux pour travailler et s’insérer, ils survivent de petits larcins : vols à l’étalage, à l’arraché, petits trafics en tout genre. Ceux qui ne se dirigent pas vers ce type de petite délinquance basculent rapidement dans l’isolement : mendicité, restrictions alimentaires, errance, perte de contact avec la famille, dégradation vestimentaire et physique.

Pourquoi échappent-ils à l’ASE ?

Dès leur arrivée, les MNA s’inscrivent dans une course contre la montre pour prouver leur minorité et démontrer leur isolement aux autorités. Très peu ont la capacité de présenter des documents d’identité valables et beaucoup sont déjà poursuivis pour des faits de délinquance commis lors de leur passage en Espagne, par exemple. Ils fuient donc les institutions. De plus, l’accord signé entre Paris et Rabat le 7 décembre 2020 pour favoriser le retour des MNA marocains dans leur pays d’origine fait peser une chape de plomb sur ces enfants et renforce leur défiance. Ils savent que décliner leur identité peut être synonyme de fichage et que, si ce n’est pas déjà le cas, ils feront l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). L’ASE est parfois présente pour les plus jeunes, mais l’accompagnement se limite souvent à une place à l’hôtel. Les éducateurs ne sont pas assez outillés pour les aider et les dispositifs, déjà saturés, refusent de prendre en charge ces enfants au profil très volatile. L’ASE sait également que ce public est en manque de bases éducatives, d’instruction et d’un niveau linguistique suffisant pour s’insérer professionnellement ou scolairement. Et qu’il n’est nullement adapté à une prise en charge en institution classique. Lors d’un jugement au tribunal, il n’est pas rare de rencontrer un jeune de 14 ans qui n’a ni foyer où rentrer le soir, ni tuteur légal, ni éducateur référent.

Que propose votre association ?

Notre première mission consiste à repérer les individus les plus vulnérables, pour lesquels nous rédigeons systématiquement une information préoccupante que nous transmettons au procureur de la République. La présence quotidienne, au travers de maraudes ou de simples discussions avec les jeunes, permet à nos bénévoles de distinguer ceux qui peuvent être davantage exposés aux dangers de la rue : réseaux de traite d’êtres humains, règlements de comptes, overdoses, manque d’accès aux soins, etc. Ce travail de proximité nous permet de connaître les jeunes et d’être identifiés comme des personnes ressources. Que ce soit dans la rue, au commissariat, au tribunal, ou pour faire valoir leurs droits, ils savent qu’ils peuvent nous appeler pour les accompagner. D’autant plus qu’ils ne parlent que très peu français. Durant les maraudes, j’ai toujours un interprète marocain avec moi, car ils parlent un arabe teinté d’argot très difficilement compréhensible, même pour un arabophone. En échangeant nos coordonnées et en les suivant sur les réseaux sociaux, on peut retracer leur parcours de migration. On a tissé des liens avec des associations similaires en Espagne, en Suède, en Belgique et en Allemagne, afin d’éviter le risque de disparition des jeunes. La Belgique a par exemple créé un service rattaché au bureau du procureur dédié au repérage et au suivi des MNA. Il nous contacte souvent pour savoir si on a vu tel ou tel jeune dans les rues de Paris ou si on a des nouvelles informations sur sa situation.

Qu’expriment-ils comme besoins ?

Ce qui est paradoxal, c’est qu’ils n’émettent pas de demandes matérielles mais cherchent à comprendre le fonctionnement de la société française et de son administration. La présence d’un adulte inséré et actif socialement les rassure, la majorité d’entre eux ne côtoyant que des sans-abri et des délinquants. Autant d’échanges quotidiens qui n’ont rien de structurant pour des enfants. L’absence d’un point d’accueil dans le quartier ou d’un guichet avec des travailleurs sociaux augmente la désorientation des jeunes à leur arrivée. Les politiques s’y refusent, car ils craignent un appel d’air, un afflux plus conséquent de MNA. Ceux qui sont déjà là s’enracinent dans la misère. Il faut réadapter les dispositifs ; sinon, malheureusement, ce sont des places de prison qui vont devoir être construites.

Entretien

Société

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur