Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi y a-t-il, selon vous, urgence à instituer l’hospitalité comme droit fondamental ?
Marie-Laure Morin : Aujourd’hui, aux frontières de l’Europe comme dans de nombreux endroits du monde, les droits fondamentaux des personnes migrantes sont complètement bafoués. Dans l’ensemble du parcours migratoire, tout est fait pour les repousser ou les rendre invisibles en les plaçant dans des camps. La fermeture des frontières a pour prix la vie des exilés et des violations massives des droits de l’Homme. Or, en 1948, nous avons rédigé une Déclaration universelle des droits de l’Homme précisément pour qu’il soit impossible de maintenir des personnes dans la privation de leurs droits. Ces droits fondamentaux sont des limites aux actions souveraines des Etats et un socle de l’Etat de droit et de la démocratie.
Les principes de fraternité et de solidarité existent déjà. Qu’apporterait un nouveau droit ?
En matière d’immigration, le principe de fraternité tel que compris par le Conseil Constitutionnel depuis le 18 juillet 2018 consiste à dire qu’on peut apporter du secours humanitaire une fois que les personnes ont franchi la frontière, mais pas avant, ni pendant. Par ailleurs, le principe de solidarité, qui fonde nos institutions sociales collectives en organisant la participation via l’impôt et les cotisations sociales, suppose déjà une appartenance à la communauté. Nous avons besoin d’un droit qui concerne l’ensemble du parcours d’exil, depuis le départ du pays d’origine, en passant par les pays de transit jusqu’à l’arrivée dans le pays de destination. L’hospitalité englobe la liberté de demander à rester et de s’installer.
En quoi cela renforcerait-il la solidarité entre les états ?
Comme pour le climat, en matière de migration, les Etats sont interdépendants. Or dans le cadre des Etats-nations, chacun renvoie aujourd’hui la responsabilité aux autres. Un problème majeur tient à l’externalisation de la politique migratoire de l’Europe auprès de pays tiers. D’après la convention de Genève et la Cour européenne des droits de l’Homme, il est interdit de refouler une personne dans un pays où elle risque de subir des traitements inhumains et dégradants. C’est pourquoi on les empêche d’entrer en les parquant dans des camps, ou en sous-traitant la surveillance des frontières en demandant à des pays tiers – comme la Libye – de les garder. C’est également la raison pour laquelle les Etats européens ont ajouté la notion de « pays sûrs », dans lesquels il serait possible de renvoyer les exilés. L’hospitalité comme principe international garantissant la solidarité des Etats pourra casser cette tendance, car les Etats devront s’entendre pour répartir et accueillir les exilés.
Vous insistez sur l’importance du contrôle du juge…
En effet, car la principale raison politique pour justifier le refus d’entrée dans le pays relève aujourd’hui de l’ordre public et de la sécurité, exigences écrasant toutes les autres, notamment depuis le 11 septembre 2001. Si le principe d’hospitalité est reconnu comme droit fondamental, les juges seront obligés de faire un raisonnement de proportionnalité, entre la violation des droits des migrants et l’ordre public. L’Etat devra justifier le refus d’entrée, ce qui n’est pas le cas actuellement malgré les nombreuses violations des droits de l’Homme, principalement en mer.
Existe-t-il des expériences d’accueil réussi en France ou ailleurs ?
Des villes ou des villages en Italie ont montré que l’accueil des migrants était possible, malgré les obstacles. La commune de Riace en Calabre a reçu des migrants et revitalisé son village. Palerme a édicté une charte en guise de déclaration des droits des migrants qui consacre la liberté de circuler et de s’installer. En France, le réseau de l’Association nationale des villes et territoires accueillants en France (Anvita) s’inspire de cette démarche. Il s’est constitué notamment après les expériences d’accueil de Grande-Synthe ou de Strasbourg. Lors de la campagne municipale de 2021, ce réseau a demandé aux villes de prendre des engagements en matière d’accueil : cela va du respect de la liberté de mariage et du droit à la paternité à la possibilité effective de logement, d’éducation, à l’accès aux services sociaux sans discrimination et à l’ouverture de lieux d’accueil. Le problème est que l’octroi des titres de séjour et des visas relève des compétences de l’Etat. Pour autant, de nombreuses initiatives individuelles et collectives ont vu le jour, comme le réseau Welcome pour le logement des demandeurs asile ou le Réseau éducation sans frontière (RESF).
Que préconisez-vous pour changer le droit à l’échelle nationale ?
La politique migratoire est conçue comme une politique de sécurité, et donc principalement de gestion des frontières, et non pas comme une politique étrangère. La question de l’asile est réglée par l’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides], et les demandes de séjour par l’Ofii [Office français de l’immigration et de l’intégration] et les préfectures. Je propose de créer un office interministériel auprès du Premier ministre, signifiant ainsi que l’immigration n’est pas seulement une question de police. Nous pourrions imaginer des centres d’accueil décentralisés dans les villes chargés d’assurer l’orientation et l’accès aux droits. Autre mesure : l’instauration d’un visa de circulation. Le contrôle aux frontières existerait toujours mais il se ferait en 48 heures par exemple et sous contrôle d’un juge.
En quoi l’intégration des migrants serait-elle facilitée ?
Il s’agit d’un point majeur car il est aujourd’hui interdit de travailler sans titre de séjour. Il existe par ailleurs une différence entre les demandeurs d’asile et les étrangers qui arrivent sans visa. Les premiers bénéficient d’un statut avec un hébergement, le droit à la complémentaire santé solidaire, et une petite allocation. Ma proposition est d’offrir les mêmes droits à tous. Le droit au travail, le droit à la santé, le droit au logement sont des droits fondamentaux. Si on les octroie dès l’arrivée sur le territoire, les personnes seront plus autonomes et parviendront davantage à s’insérer, plutôt que de créer des poches de pauvreté.
Le contexte actuel ne semble pas favorable à une telle évolution…
J’en suis parfaitement consciente, alors je fais une réponse de juriste : les droits de l’Homme sont des outils d’action politique et sociale permettant l’affirmation de nouveaux droits. Ils se construisent à la base, dans le mouvement de la société, par étapes. Malgré la reconnaissance des droits de l’Homme, pendant longtemps les femmes en tant que citoyennes n’ont pas pu voter. Mais c’est précisément la contradiction entre la reconnaissance de la citoyenneté et l’absence de droit de vote qui a nourri les combats pour la légitimité de ce droit de façon universelle. En ce sens, reconnaître les droits fondamentaux des exilés, c’est leur reconnaître des possibilités d’action collective. Je propose de prendre l’hospitalité comme une boussole qui permettra de construire des réformes futures.