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Gens du voyage : « Un racisme environnemental »

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Voyageur, c’est ainsi que William Acker, issu d’une famille de « gens du voyage », se définit. Son livre Où sont les gens du voyage ? Inventaire critique des aires d’accueil (éd. du Commun) a reçu le prix de l’Ecologie politique en avril 2022.

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Dans son livre-enquête Où sont les gens du voyage ?, le juriste William Acker montre que ces populations sont discriminées et assignées à vivre dans des zones de relégation particulièrement polluées.

Actualités sociales hebdomadaires - Vous critiquez la terminologie « gens du voyage ». Pourquoi ?

William Acker : Cette dénomination administrative englobe de nombreuses personnes avec des cultures et des langues différentes, qui ne se reconnaissent pas nécessairement comme une seule et même communauté. Cette appellation, stigmatisante à bien des égards, est également source de discriminations. C’est pourquoi il existe des revendications qui tendent à sa suppression. Tsiganes, Roms, Manouches, Gitans, Yéniches, Voyageurs… tous ces termes recouvrent des réalités multiples et démontrent la riche diversité qui existe dans ces communautés du voyage. Juridiquement, les « gens du voyage » sont appréhendés par leur mode de vie en habitat mobile traditionnel. Ce critère juridique est commode pour viser tous ceux qui sont tenus pour « tsiganes » dans l’imaginaire public. L’administration ne cherche pas à toucher uniquement le mode de vie, mais bien l’origine qui l’accompagne. La meilleure illustration de ce phénomène est l’existence de sous-catégories administratives telles que « gens du voyage sédentaires ». Un bel oxymore qui en dit long.

De quand date la volonté de les implanter quelque part ?

La seconde moitié du XXe siècle a été marquée par des tentatives de sédentarisation dues à plusieurs facteurs : l’augmentation du champ de l’installation illicite, la création d’interdictions de certains territoires, la réduction des espaces de vie aux aires d’accueil, l’incitation à la scolarisation des enfants… Actuellement, un grand nombre de « gens du voyage » sont totalement ou en partie sédentarisés. Or, si la sédentarisation est souvent présentée par les pouvoirs publics comme un progrès nécessaire, elle n’a pas toujours été bien menée ni bien accompagnée. Et encore moins bien vécue. Elle est parfois une source d’appauvrissement, de maltraitance et de relégation.

Quelle est l’estimation du nombre des « voyageurs » ?

C’est difficile à déterminer. L’estimation oscille entre 250 000 et 600 000 personnes, voire plus. Certains affirment qu’environ un million de personnes en France auraient des origines romani ou tsiganes. Cela dépend de qui l’on compte : les personnes qui vivent en habitat léger, celles qui logent en mobile home ou celles qui habitent en caravane et qui, en plus, ont des origines du Voyage. Les statistiques ethniques restent interdites en France et le statut de minorité n’existe pas. Il n’empêche, depuis la fin du XIXe siècle, l’Etat n’a eu de cesse de compter – et de ficher – la population en créant des statuts spécifiques.

Vous fustigez l’idée que la sédentarité aide les voyageurs. Pourtant, les travailleurs sociaux s’attellent à leur faire obtenir des droits liés au domicile…

En effet, et c’est un paradoxe. Mais après des années d’encouragement à la sédentarisation, il convient maintenant d’accompagner les personnes vers l’habitat pérenne et l’inclusion. Sur le terrain, les travailleurs sociaux jouent souvent un rôle important auprès des familles, en particulier pour les plus fragiles. Mais, d’une part, ils se trouvent régulièrement face à des manques criants de moyens et, d’autre part, ils sont souvent impuissants face aux décisions administratives. En particulier, face aux expulsions à répétition, qui ruinent le travail de suivi des familles. On note aussi des contradictions : les travailleurs sociaux que j’ai pu rencontrer sont régulièrement confrontés à la mise en œuvre de demandes publiques avec lesquelles ils sont en opposition, et ont parfois l’impression de participer à certaines maltraitances institutionnelles à l’égard des familles qu’ils accompagnent. Pourtant, ils ont un véritable rôle à jouer, avec de grands enjeux liés notamment à la médiation professionnelle, à la santé ou à la scolarité. Autant de secteurs qui souffrent de graves défaillances et pour lesquels les moyens sont totalement absents dans certains départements. Enfin, il existe environ 100 000 enfants déscolarisés, et leur nombre risque d’augmenter avec l’enseignement à distance qui est en train de se mettre en place.

Pourquoi y a-t-il si peu d’aires d’accueil ? Et pourquoi les conditions de vie y sont-elles souvent mauvaises ?

Seules les communes de plus de 5 000 habitants ont une obligation de disposer de lieux d’accueil et de stationnement. Dans la réalité, seulement 3,6 % d’entre elles disposent de tels terrains. En matière d’accueil, ce seuil conduit à d’énormes limites. Dans la Creuse, par exemple, sur les 256 communes du département, seules deux comptent plus de 5 000 habitants, et donc une aire de stationnement. Il existe en plus des phénomènes d’évitement. Ainsi, seuls 25 départements sur 95 respectent aujourd’hui les objectifs fixés. Dans les Alpes-Maritimes, bien que le département compte 1,5 million d’habitants et que les besoins sont estimés à au moins une trentaine d’aires – et alors que la première loi sur l’accueil remonte à 32 ans –, il n’en existe que trois. En pratique, les aires affichent régulièrement complet, ce qui empêche l’accès à un stationnement légal. On peut dire que ce département reste comme interdit aux « gens du voyage ». Au-delà du manque de places, deux enjeux majeurs n’ont pas été réellement pris en compte ces dernières décennies : les effets de relégation que ces aires d’accueil induisent et les pollutions qu’elles subissent. Elles sont essentiellement situées dans des zones industrielles, loin des habitations. Par ailleurs, elles sont régulièrement implantées dans des zones polluées ou à risques, notamment à proximité de sites dits « Seveso », ce qu’une récente circulaire interdit désormais. Pendant un an, j’ai produit un recensement de tous ces lieux en France, démontrant que 71 % d’entre eux sont totalement relégués hors des villes et que 51 % sont contaminés. A l’échelle de certains départements ou métropoles, 100 % des aires se situent près d’une déchetterie, d’une station d’épuration, d’une autoroute ou d’une centrale nucléaire. Il y a là une sorte de racisme environnemental. Sans compter les conséquences sur la santé.

Comment expliquez-vous le stéréotype très ancré selon lequel les gens du voyage vivent de rapines ?

On a construit, comme souvent dans l’Histoire, un ennemi, un indésirable, sur des faits ou croyances érigées en généralités. Les stéréotypes sont très nombreux et bien vivants. Les raisons et les mécanismes très complexes. Certains pourraient être contrés, notamment ceux liés au traitement médiatique des « gens du voyage ». Ces derniers sont presque toujours appréhendés par l’infraction ou le crime. Si demain je commets une entorse, je lirai dans mon journal local qu’un « homme de 31 ans issu de la communauté des gens du voyage » a commis un délit. Quand bien même ce fait n’a aucun rapport avec mon origine. On ne donne jamais la version du Voyageur, sa voix ne passe pas dans l’espace public. Il me semble que l’équivalent n’existe pas pour les « gens du sur-place »… D’où l’intérêt de ce livre.

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