« Ce public est invisible de tous », lâche Etienne Prime, responsable de service au sein de l’association d’action sociale Le Mas à Lyon. Ces quelques mots résument à eux seuls la situation. En France, des milliers d’adolescents étrangers isolés, officiellement ni majeurs ni mineurs, se retrouvent à la rue, sans solution d’hébergement. En cause, un vide juridique autour de la reconnaissance de leur minorité. Une première évaluation est réalisée par une association mandatée par le département ou, dans le cas de Lyon, par la métropole. Si celle-ci les considère majeurs, les jeunes pourront se tourner vers le juge des enfants, qui statuera à son tour. Mais ce recours peut prendre plusieurs mois…
Avec une capacité de 52 places et sans limite dans le temps, la Station offre depuis novembre 2020 une solution temporaire à ce public de jeunes hommes isolés. « En ouvrant ce centre, nous sommes allés au-delà de nos obligations puisqu’en premier lieu, ces jeunes ont été reconnus majeurs. La métropole n’a donc aucun devoir d’assurer leur protection », affirme Renaud Payre, vice-président de la métropole de Lyon en charge de l’habitat et du logement social.
Jusqu’alors, Le Mas n’intervenait pas non plus en protection de l’enfance, ni auprès d’un public jeune. « Mais l’urgence a justifié notre action », poursuit Etienne Prime. Pendant plusieurs mois, ceux que le travailleur social surnomme « les apatrides de l’âge » sont donc hébergés au sein de bungalows avec des lits superposés, une salle de bain et un coin cuisine. « L’ensemble est sommaire et exigu, mais le lieu offre une forme de stabilité », ajoute-t-il. La Station a en effet pour vocation d’être un lieu de passage, une étape pendant laquelle les professionnels tentent d’amorcer une prise en charge. L’équipe, composée d’un coordinateur, de trois travailleuses sociales, d’une animatrice et, depuis février, d’une infirmière à mi-temps, intervient principalement sur la scolarisation et la formation, la santé et la sécurité alimentaire. « On se charge de faire le lien avec tous les partenaires, le rectorat, les écoles… On occupe de fait une fonction de représentant légal, sans en avoir le statut juridique », détaille Etienne Prime.
Il manque plus de 200 places
Il en va de même des parcours de soins. Privés de droits du fait de leur situation administrative, les jeunes sont systématiquement accompagnés par des salariés du Mas à leurs rendez-vous médicaux. « D’autant que nombre d’entre eux ont de lourds problèmes de santé ou d’addiction aux médicaments, souffle le responsable de la structure. Même sans maladie particulière, ils ont besoin qu’on prenne soin d’eux. » Les salariés peuvent également compter sur deux médecins bénévoles qui participent à des missions de réduction des risques et de vaccination.
Depuis son ouverture, plus de 180 jeunes ont transité par la Station. En moyenne, ils restent cinq mois. Mais le nombre de places ne suffit pas à couvrir les demandes. Aujourd’hui encore, ils sont plus d’une centaine à dormir dans la rue ou dans des squats. Les salariés du Mas tentent alors de prioriser ceux dont les situations de vulnérabilité et de précarité sont les plus extrêmes. « Depuis un an, on galère. On aurait besoin de 250 places. C’est jouable, mais il faudait que l’Etat s’engage dans l’ouverture d’un second centre. Pour pérenniser le dispositif, la prise en charge de ce public doit s’intégrer dans une véritable politique publique cofinancée par les collectivités et l’Etat », martèle Renaud Payre. A l’heure actuelle, la métropole finance seule la Station à hauteur de 600 000 € par an.
