Quand le directeur de Mélanie Boulais, alors éducatrice spécialisée dans un IME (institut médico-éducatif), lui suggère en 2015 de s’inscrire à une formation pour faire évoluer sa carrière, après huit ans dans l’établissement, elle saisit l’occasion. « Même s’il est vrai que j’envisageais de changer de lieu de travail, je n’avais pas pensé à prendre une responsabilité d’encadrement », explique-t-elle. L’éducatrice tente finalement l’aventure, et s’inscrit au Caferuis (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale) à l’institut régional du travail social (IRTS) de Normandie-Caen. « Je l’ai fait sans hésiter, et sans m’informer sur d’autres formations possibles, tant ce choix me semblait évident. »
Au fur et à mesure de la formation, Mélanie sent qu’elle est prête à « faire un pas de côté », et à changer presque radicalement non pas d’univers professionnel, mais de fonction, pour devenir cadre. Le stage de six semaines, effectué dans un foyer d’hébergement pour personnes handicapées adultes, achève de la convaincre : « J’ai découvert l’animation d’équipe, j’ai pu participer à la mise en place du projet d’accompagnement personnalisé qui, alors, débutait seulement. » Une fois diplômée, elle intègre le poste de chef de service dans un IME. « Sans le Caferuis, je ne me serais jamais engagée sur ce type de poste. »
Offre de formations pléthorique
Ce parcours d’évolution classique dans le secteur social et sanitaire et social, s’il est toujours d’actualité, est loin d’être la seule réponse aujourd’hui aux demandes et besoins de formation de l’encadrement. L’offre a explosé au cours de ces dernières années sur un marché devenu très concurrentiel, quand les budgets consacrés à la formation tendent à se réduire. « Tout directeur d’établissement souhaitant se former peut choisir parmi une offre pléthorique, constate Roselyne Jossinet, consultante spécialisée et formatrice dans le cycle “Direction d’établissement social et médico-social” proposé par l’organisme de formation Comundi. L’un des freins que j’observe aujourd’hui tient à la prise en charge. Les budgets formation des établissements sont de moins en moins conséquents, les directeurs sont souvent obligés de faire des choix, en privilégiant le perfectionnement de leurs équipes, à leur détriment. En réponse, beaucoup d’établissements commencent à organiser des formations en interne. »
Pourtant, le besoin de préparation et d’adaptation du management n’a semble-t-il jamais été aussi fort, face à des organisations qui évoluent. La création de postes de responsabilités intermédiaires, comme ceux de chef de pôle ou de coordinateur, ou de fonctions de direction incluant la gestion de plusieurs services peuvent déstabiliser des managers dans des fonctions jusqu’alors plus organisées « en silo », selon Vincent Kadi, formateur spécialisé dans le secteur du social et médico-social, administrateur de Coopaname, coopérative de conseil et formation. « D’un management horizontal, on passe de plus en plus à des organisations plus horizontales, ce qui exige de travailler sur l’autonomie des équipes et la coopération au sein des équipes de direction. Or les établissements ne sont pas toujours préparés à ces évolutions. »
Adaptation nécessaire
Préparer les managers ou futurs dirigeants à ces changements conduit les organismes de formation à adapter leurs cursus. « Le Caferuis date de 2004, et depuis les fonctions de direction et de chef de service ont grandement évolué, constate Olivier Trubert, responsable des formations en management à l’IRTS Normandie-Caen. Ce qui ne signifie pas que la formation n’est plus du tout adaptée, car les fondamentaux restent les mêmes, mais qu’elle doit suivre les évolutions du terrain. Nous devons ouvrir le champ de réflexion des managers. On ne peut plus estimer que le fait qu’une institution est bien administrée signifie qu’un bon management en découle automatiquement. »
Au-delà des « basiques », des disciplines nouvelles apparaissent au programme : « Dans le cadre de cette formation qui est relativement balisée, voire cadrée, nous essayons d’impulser des contenus pour répondre aux besoins des managers sur le terrain, précise Stéphanie Jaouen, formatrice. Depuis cinq ou six ans, nous avons ainsi introduit des disciplines à la demande des directions, en psychologie par exemple, pour manager des personnalités différentes, ou en philosophie autour des questions d’autorité et de pouvoir, ou de la gestion du changement. »
Une autre nécessité est de s’adapter à de nouveaux profils de managers venus d’autres secteurs. « Nous accueillons de plus en plus de personnes dans un parcours de promotion interne, mais également en reconversion professionnelle, témoigne Laurent Seintein, co-gérant de l’organisme de formation Espace Seintein, spécialisé dans les formations en management. Ces dernières ont déjà dirigé des structures dans un autre domaine et souhaitent utiliser leurs compétences dans les établissement sociaux et médico-sociaux. Nous insistons moins sur la partie gestion administrative que sur la déclinaison opérationnelle de la stratégie d’établissement, d’accompagnement des équipes, avec des outils managériaux qui prennent en compte les spécificités du médico-social mais aussi et surtout les relations avec tout son environnement. »
« Embolisés par le quotidien »
La volonté d’innover dans les formats pédagogiques est un autre enjeu fort pour les organismes, contraints de s’adapter à un besoin d’individualisation des parcours, due à une diversité des profils entrants, mais également à un besoin de prise de recul des encadrants. Ainsi de Delphine Lamouret, titulaire d’un master en management des entreprises et services de santé, et du diplôme de directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social de l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique). Directrice adjointe d’un institut thérapeutique éducatif et pédagogique depuis janvier 2020, elle décide en 2022 de s’inscrire à la formation « Care+ Leadership dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux », à l’EHESP. « C’est mon premier poste de directrice, et il m’intéressait d’être aidée dans mon leadership et de prendre du recul car nous sommes trop embolisés par le quotidien. La force de cette formation est qu’elle se déroule en binôme, permet une analyse sur ma façon de diriger et des partages d’expériences avec les collègues », assure-t-elle.
La formation « Care+ Leadership » accueille des cadres « en cours de carrière, et propose, sur 18 jours, avec un petit effectif de 12 à 14 personnes, un travail très individualisé, mené avec deux formateurs », explique Hervé Heinry, responsable de la formation. La « recherche de sens » de la fonction de dirigeant dans un contexte tendu est également au programme. « Elle se pose de façon cruciale dans le secteur, poursuit-il. Nous avons créé ce cycle notamment pour resituer le rôle du directeur, qui parmi ses “clients” a certes les autorités de tarification et de contrôle, mais d’abord les personnes accueillies. »
En cours de finalisation, une réforme du Cafdes (certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale) et du Caferuis (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale) devrait, espère Marcel Jaeger, président de l’Unaforis (Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale) entrer en vigueur à la rentrée prochaine. « Pour favoriser la lisibilité des parcours, nous prônons non pas de remettre en cause les trois diplômes principaux du secteur – Caferuis, Cafdes et Deis [diplôme d’Etat d’ingénierie sociale] –, mais de mieux les articuler, selon un principe calqué sur celui du dispositif LMD [licence, master, doctorat]. » Le Cafdes, actuellement au niveau bac + 4, pourrait être « rehaussé » au niveau bac + 5, le Cafdes au niveau bac + 6. « Nous souhaitons notamment un lien plus étroit avec les universités, en tenant compte de la diversité des territoires, chaque centre agréé Cafdes ou Caferuis pouvant renforcer ses partenariats avec les universités et les grandes écoles localement, préconise-t-il. 80 % des formations du travail social ont déjà des liens avec l’université, on ne part pas de rien. » Dans un contexte tendu sur le front du recrutement, « ces évolutions permettraient de contrer le manque d’attractivité de ces métiers ».