« Le passé ne veut pas s’en aller. Il revient sans cesse sur ses pas. » La phrase est lancée comme une amorce par Judith Perrignon pour démarrer l’atelier d’écriture hebdomadaire au centre d’hébergement d’urgence (CHU) Popincourt du Samusocial de Paris. « Ces mots peuvent s’appliquer à la guerre, mais aussi à nos vies », poursuit la journaliste et écrivaine. S’ensuit un échange pêle-mêle entre les personnes hébergées, avant qu’elles n’attrapent feuilles et stylos pour poser leurs idées sur le papier. Tous les mercredis après-midi, pendant trois heures, le Samu social de Paris propose aux résidents du centre des ateliers d’écriture, animés par Judith Perrignon et le romancier Yann Apperry. L’objectif : passer un moment ensemble et s’exprimer à travers la poésie. « Ce temps est sacré pour moi, je suis là toutes les semaines », confie Nacera. « Je n’aime pas forcément parler, alors les ateliers m’aident à dire ce que je pense », explique de son côté Rachid. Au fil des séances, certains réussissent à s’ouvrir et à parler de leur vécu. « Des personnes sont amenées à se livrer, mais nous ne leur demandons jamais frontalement, détaille Judith Perrignon. Les choses viennent incidemment, même si cela fait évidemment partie du projet. »
Parmi les participants, beaucoup sont des exilés et n’écrivent pas le français. Il s’agit alors de les écouter pour retranscrire leurs mots. « Certains parlent comme des livres alors qu’ils n’écrivent pas, souffle admirative Judith Perrignon. Les fulgurances qu’ils ont parfois me frappent.. Les paroles sortent comme comme si c’était aiguisé à l’intérieur par la vie et les émotions. »
Ouverture sur le quartier
Ces ateliers ont lieu pour la quatrième année consécutive au sein du CHU parisien. Initialement développés et soutenus par la Maison de la poésie, ils sont depuis septembre dernier financés par la région Ile-de-France dans le cadre d’une résidence d’écrivains de dix mois. L’occasion pour les deux auteurs d’entamer un projet personnel d’écriture en lien avec les séances. « J’aimerais réaliser un roman graphique, rapporte la journaliste. Mon intention est de partir des vies de ces personnes, qui sont très dures, et de raconter ce monde parallèle qu’on parvient à créer pendant l’atelier. »
Le basculement des ateliers en résidence apporte également une nouvelle ampleur au projet. Un partenariat a par exemple été noué avec la médiathèque de quartier à l’occasion du Printemps des poètes, qui se tiendra du 12 au 28 mars. Plusieurs ateliers ont été organisés avec les résidents autour de « L’éphémère », la thématique de l’événement cette année. Les différents textes écrits seront exposés dans l’établissement le temps du festival. Des cartes postales graphiques reprenant des poèmes des participants doivent aussi être distribuées au sein du réseau des commerçants de la rue Popincourt. Un moyen de mettre en lumière l’action du centre et le public accompagné. « Les gens savent que le CHU existe, mais ils n’ont aucune idée de ce qu’il s’y passe réellement. Nous voulons attiser la curiosité », pointe Gabrielle Soucail, chargée de mission au Samu social de Paris. Parallèlement, le projet s’attache à ce que les hébergés aussi « s’ouvrent sur l’extérieur ». Gabrielle Soucail espère « qu’à terme, éventuellement, certains se sentiront suffisamment à l’aise pour aller à la médiathèque d’eux-mêmes. Nous savons qu’entrer dans un endroit comme celui-ci n’est pas forcément évident pour eux. » Soutenue par la région jusqu’à fin juin, l’association cherche un moyen de rendre ces ateliers pérennes, peut-être en passant par le mécénat.