« Je n’habite plus ici depuis plusieurs mois, mais je continue à venir, surtout pour que Jérôme me donne des conseils informatiques. Seule, je suis perdue avec un ordinateur », se justifie Carole(1), l’œil rieur. La frêle sexagénaire au brushing soigné a habité pendant six années au foyer Soleillet, situé dans la rue du même nom du XXe arrondissement de Paris. Après deux ans de détention à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis (Essonne), elle a peu à peu regagné son autonomie grâce au soutien des éducateurs du centre. Elle a repris un travail en tant qu’intérimaire dans la restauration collective et, surtout, a commencé à chasser ses vieux démons : « En prison, je prenais beaucoup de médicaments pour dormir, y compris la journée. Pendant plus d’un an après ma sortie, c’est comme si j’étais toujours en cellule dans ma tête. Ici, je me suis sevrée et maintenant je ne prends plus rien », explique-t-elle d’un air résolu.
Depuis plus de trois mois, elle habite dans un petit appartement dans l’Essonne, non loin de chez sa fille, avec qui les liens se renouent doucement. « Je veux absolument être présente pour mes petits-enfants, s’anime-t-elle, ce sont eux qui me donnent la force de ne pas recommencer les bêtises et me motivent à garder le cap. » Ayant dû « tout reprendre à zéro » à sa sortie de prison, elle ne cache pas sa reconnaissance envers l’équipe du foyer qui l’a accompagnée pas à pas dans ses démarches administratives, puis dans celles de recherche d’emploi et, ensuite, de logement. Elle revient presque chaque semaine pour glaner conseils et encouragements : « J’ai encore un peu besoin d’eux, pour mes papiers notamment. Ils savent que je me démoralise rapidement. Je ne me sens pas encore prête à couper totalement avec Soleillet. »
Le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de la rue Soleillet a été ouvert en 1984 sous l’impulsion de l’association Aurore, qui le gère toujours. L’idée ? Offrir un toit à des femmes – et à leurs enfants – bénéficiant d’une mise en liberté, d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, d’une libération conditionnelle, d’un placement extérieur, d’une détention à domicile sous surveillance électronique ou d’une libération définitive. Le service accueille parfois des femmes placées sous main de justice n’ayant pas été condamnées à une peine de prison ferme(2). Aujourd’hui, le foyer compte 42 places (dont 14 pour des enfants), 43 % des femmes ont été condamnées à plus de cinq ans d’emprisonnement.
« Je me sens plus forte »
Chaque mois, les éducateurs de Soleillet se rendent en duo dans les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis, de Versailles (Yvelines), de Fresnes (Val-de-Marne), dans le centre de détention de Réau (Seine-et-Marne), mais aussi régulièrement dans ceux de Rennes (Ille-et-Vilaine) et de Joux-la-Ville (Yonne). En lien avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), ils rencontrent des détenues qui les ont joints afin de préparer leur sortie. Après une première prise de contact lors de laquelle ils leur présentent le foyer, les professionnels proposent aux femmes le désirant de venir visiter l’établissement, à l’occasion d’une permission de sortie pouvant aller de un à dix jours. Pour Jérôme Dauriat, éducateur spécialisé au foyer depuis onze ans, pour qu’une femme soit admise, il faut « que l’on sente qu’un échange est possible entre elle et nous, que l’on pourra travailler ensemble. » Très vite, il s’agit de faire comprendre aux détenues que leur sortie sera un processus long et parfois pénible : « Souvent, elles anticipent leur sortie de manière absolument irréaliste, détaille l’éducateur. Plutôt que d’imaginer toutes les difficultés auxquelles elles vont être confrontées, elles se représentent une sortie idyllique. On ne veut pas casser cette énergie, mais notre mission consiste à les ramener à la réalité. On leur dit qu’on sera là pour les aider, mais qu’il y aura des hauts et des bas. »
Agées de 20 à 75 ans, les pensionnaires de Soleillet présentent des profils variés, mais avec des points communs presque immuables : « Ce sont souvent des femmes avec des parcours de délinquance très inscrits. Elles ont aussi en général une histoire assez longue de victimes, de déracinement, de violences physiques et psychologiques. Elles ont le sentiment de ne pas avoir été écoutées par la justice », explique Jean-Noël Barnet, éducateur spécialisé au foyer depuis vingt ans. C’est le cas d’Amandine, arrivée à Soleillet il y a neuf mois après deux années en prison pour tentative d’homicide envers son époux, qui l’a faite venir d’Inde il y a plus de vingt ans. « Mon mari me frappait, il ne me laissait aucune liberté et me parlait très mal. Je me suis mise à boire beaucoup d’alcool, à prendre des médicaments, à avoir des envies suicidaires », raconte cette mère de deux enfants de 18 et 20 ans, restés avec leur père. Grâce à l’équipe de Soleillet, elle travaille désormais comme cheffe de cuisine dans une crèche, un emploi qu’elle adore. « Depuis que je suis ici, je ne me sens plus seule, je me sens différente, plus forte. Ma priorité, c’est mon travail et retrouver mes deux enfants », ajoute-t-elle.
A leur arrivée au foyer, les anciennes détenues prennent possession d’une des 12 chambres du bâtiment principal. Malgré la salle commune, où ont été mis à disposition jeux de société et livres, les résidentes passent peu de temps entre elles et préfèrent l’intimité de leurs chambres individuelles respectives. L’équipe du centre n’encourage pas non plus les événements collectifs et n’intervient pas dans la sociabilité des femmes, sauf en cas d’altercation. Tout est tourné vers la mise en œuvre de leur projet individuel de vie post-carcérale. Les pensionnaires plus anciennes sont peu à peu relogées dans des appartements individuels situés dans le même quartier et qui sont partie intégrante du centre d’hébergement. Ce passage en appartement consacre une prise d’autonomie certaine : contrairement aux chambres du foyer, où les sanitaires sont partagés et les visites interdites, les femmes doivent gérer leur propre espace de vie. « Elles ont généralement subi des ruptures très importantes avec leurs lieux de vie, des appartements qu’elles ont dû quitter en catastrophe, des expulsions… Leur parcours résidentiel s’est soldé par des événements insécurisants. Ici, l’idée est qu’elles se sentent dans un cercle de protection. La difficulté et le paradoxe, pour elles, est de se sentir chez elles tout en se projetant vers l’avenir », analyse Jean-Noël Barnet.
Travailler la réinsertion
Les premiers mois qui suivent la sortie de prison sont en général bien remplis : il faut gérer les urgences administratives, familiales et psychologiques, au point que les éducateurs s’entretiennent avec elles plusieurs fois par jour. Au fur et à mesure que leur situation se régularise, les entretiens s’espacent jusqu’à passer à un rendez-vous hebdomadaire. « Pour réinsérer ces femmes dans la société, il faut créer les conditions pour que la récidive soit la plus faible possible, décrit Valérie Caulliez, cheffe de service du centre depuis 2005. Il y a donc beaucoup de choses à construire et à déconstruire. Il faut appréhender d’où elles viennent, comprendre dans quelle culture elles ont été élevées, dans quel contexte… »
Une fois les premiers impératifs pris en charge, la question du travail se pose. La réinsertion par l’emploi est incontournable pour ces femmes qui doivent gagner leur autonomie financière. Les éducateurs les guident à chaque étape : processus d’occultation du casier judiciaire, rédaction d’un CV, simulation d’entretien… « Il n’est pas facile de faire coïncider leurs aspirations professionnelles liées à la formation reçue en prison avec la réalité du marché du travail. Parfois, elles projettent des métiers un peu idéalisés. Il y a souvent des désillusions, donc on avance lentement », raconte Jean-Noël Barnet. D’où la nécessité de construire un récit qui explique aux recruteurs la vacance professionnelle liée à la période d’incarcération. Pour Jérôme Dauriat, « il faut qu’elles se confrontent à la possibilité de mentir et de faire de ce mensonge quelque chose qui corresponde à leur personnalité. Il y a une certaine résilience à inventer une fiction possible. Elles peuvent aussi admettre frontalement qu’elles sont allées en prison, mais l’important est de ne pas subir, de choisir son discours. »
Une seconde famille
Selon Rachid Ouassay, éducateur spécialisé à Soleillet depuis sa création, les profils des femmes détenues ont sensiblement changé. « Dans les années 1980, elles étaient en majorité des toxicomanes et des escrocs. Désormais, ce sont principalement des Guyanaises impliquées dans le trafic de drogue, des Nigérianes liées aux réseaux de prostitution. La forme de la délinquance a complètement changé. Et nos pratiques avec : pour pouvoir les aider, il faut bien connaître le traumatisme carcéral, la vie familiale de ces personnes, ce qu’elles ont vécu. Pour les femmes qui ont effectué de longues peines, le suicide est très présent, il faut être très vigilant. Qu’on ne nous demande pas de travailler plus vite, ça prend du temps. »
Qui dit temps, dit budget. Les femmes sont tenues de participer financièrement à leur hébergement, sur la base de 10 % de leurs ressources pour une chambre du foyer, et de 20 % pour un appartement individuel, afin de se réancrer dans la réalité. Les tarifs restent néanmoins très loin des prix du marché locatif parisien. Mais la quasi-intégralité du budget du centre d’hébergement est financée par la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl) et, dans une moindre mesure, par l’administration pénitentiaire. Comme la plupart des structures médico-sociales, ces dernières années, Soleillet a subi des restrictions budgétaires, faisant notamment passer l’équipe d’éducateurs d’un effectif de sept à cinq salariés. Le poste d’homme d’entretien a également disparu. Or l’accompagnement de ces femmes sortant de prison est long : la durée moyenne d’un séjour est de deux ans. « Les personnes qui sortent d’une longue peine ont besoin d’être portées, cela n’a rien à voir avec de l’assistanat. On ne peut pas travailler leur réinsertion à moindre coût », s’agace Valérie Caulliez.
Laura, guyanaise, vit à Soleillet depuis presque un an, après trois années de détention à la suite de son arrestation pour avoir joué la « mule »(3). Chaque matin, elle suit avec application une formation en restauration collective : à son retour au foyer, elle note avec une application d’écolière de nouvelles recettes dans son cahier à petits carreaux. Dans sa chambre exiguë, elle s’est créé son propre univers, entre ses boîtes à épices et les napperons aux motifs traditionnels guyanais qu’elle brode elle-même. « Comme ça, quand j’aurai ma propre maison, ce sera joli », annonce fièrement la femme de 48 ans et mère de quatre enfants, restés à Cayenne. Pourtant, il n’est pas question pour elle de rentrer au pays ou de quitter le foyer pour l’instant : « Quand je suis arrivée, je ne parlais pas bien français, je ne savais pas comment prendre le métro, je ne connaissais pas Paris, raconte-t-elle. L’équipe du foyer m’a tout appris. Maintenant, j’arrive à faire mes démarches seules. Je n’ai aucune relation en métropole, c’est un peu comme ma famille ici. »
(1) Les prénoms des résidentes ont été modifiés.
(2) Les femmes représentent 3,3 % de la population carcérale, selon l’Observatoire international des prisons (OIT).
(3) Passeurs de produits illicites.