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Etablissements et services : le travail de nuit reste un impensé

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Crédit photo Armandine Penna
« Electrons libres », « isolés », « invisibles »… Les travailleurs de nuit sont exposés à des risques sanitaires avérés tout en se trouvant, bien souvent, à l’écart du reste de l’organisation. Face à ces difficultés, les services de ressources humaines se penchent sur la question afin que les équipes de jour et de nuit puissent se rencontrer.

« Le travail de nuit peut altérer, de manière plus ou moins grave, la santé du salarié, allant de troubles du sommeil au risque de cancer ou encore à l’accident vasculaire cérébral », énonce l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), dans un de ses documents de prévention. Malgré ce constat alarmant, les établissements semblent encore peu nombreux à se pencher véritablement sur cette problématique. Une étude nationale de 2011 estimait à 40 000 le nombre de salariés travaillant de nuit dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée non lucrative dont 70 % dans le secteur des personnes âgées, du handicap et de la protection de l’enfance : moniteurs-éducateurs, surveillants, aides médico-psychologiques, éducateurs spécialisés, aides-soignants…(1) « On a parfois l’impression que le travail de nuit, qui est un risque professionnel reconnu au même titre que l’exposition au bruit ou aux produits chimiques, n’est pas perçu comme un vrai danger. Peu de personnes l’évaluent et font de la prévention, constate ainsi Laurence Weibel, chronobiologiste et chargée de prévention des horaires atypiques à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Alsace-Moselle. Les organisations considèrent souvent que le travail de nuit est une fatalité, qu’on ne peut pas faire autrement, qu’il n’y a pas de mesures pour alléger ses effets. »

Pourtant des dispositions existent. Et les cadres sont en première ligne pour engager une réflexion. Lorsque Laurence Weibel mène des missions auprès des structures, elle tente ainsi, d’abord, d’instaurer un dialogue. Et ce, même si celui-ci n’est pas toujours le bienvenu. « Il est extrêmement compliqué de réaliser de la prévention sur ce sujet. Souvent je n’ai ni l’employeur, ni les syndicats, ni les salariés avec moi. Les salariés eux-mêmes vont souvent arbitrer leurs choix horaires ou de rythme en fonction de leur vie personnelle. C’est toute la difficulté de faire de la prévention sur une question dont les conséquences sont très différées dans le temps. » Pas question pour autant d’imposer unilatéralement des mesures aux équipes. « Plus vous associez les salariés aux choix liés au travail et au rythme, mieux ils vont le supporter et le tolérer. Le travail de nuit est déjà tellement invasif, on ne va pas non plus en remettre une couche », insiste-t-elle.

Au-delà des instances de direction, comités sociaux et économique (CSE) et syndicats jouent un rôle clé pour impulser des débats. En témoigne la Sauvegarde du Nord, l’une des plus importantes associations de protection de l’enfance dans le nord de la France. Les représentants du personnel y ont mené pendant trois ans des négociations autour du rythme des travailleurs de nuit après la publication en 2018 d’un tract du syndicat Sud alertant sur la situation des surveillants dans l’une de ses unités, dénonçant des « dépassements de la plage horaire », sans contrepartie financière. Mais le sujet restait complexe, en particulier pour diminuer le nombre d’heures imposées chaque nuit à ces professionnels, reconnaît une responsable CGT. « Il faut savoir que cela arrangeait certains surveillants de nuit d’avoir des nuits un peu plus longues parce que cela réduisait le nombre de services dans la semaine », glisse-t-elle. Ainsi, pour les syndicats, l’objectif était prioritairement de s’assurer de la stricte application du précédent accord de 2010 et d’améliorer les conditions de travail des surveillants. Reste que ce bras de fer a eu le mérite de mettre le sujet sur la table : la direction a alors lancé un état des lieux, en coopération avec la CGT. Le tout a finalement abouti à une révision de l’accord en 2021. Un certain nombre de mesures relatives aux enjeux de santé-qualité de vie au travail ont été ajoutées ainsi que des compensations en cas d’éventuels dépassements.

Fédérer le jour et la nuit

Les enjeux de prévention sanitaire ne sont pas les seuls qui se posent pour les personnels. Il s’agit en outre de garantir leur pleine intégration au sein des structures. Denis Dolidon, ancien directeur des ressources humaines (DRH) dans l’industrie et coach, a été mandaté il y a quelques années par l’Uriopss (union régionale interfédérale des organismes privés à but non lucratif) d’Auvergne pour piloter des sessions de formation spécifiquement dédiées à la coopération avec ses équipes. « Nous sommes partis du constat que les personnes travaillant de jour étaient dans une certaine incompréhension vis-à-vis de celles qui travaillaient de nuit. Dans certaines organisations, les équipes ne se rencontraient jamais. Ce qui était désastreux, car c’est à partir de ce moment-là que des oppositions émergeaient, expose l’ex-DRH. Nous avons alors demandé aux travailleurs de nuit d’aller à la rencontre de leurs collègues de jour pour échanger avec eux. Quand on remet de la communication entre les personnes, on s’aperçoit qu’elles peuvent se comprendre, qu’elles entendent les contraintes de l’autre. » Instituer des temps de transmission et organiser des temps de rencontre supplémentaires est primordial, selon lui. « Il faut fonctionner par exception, pour que les équipes aient ponctuellement l’occasion de se croiser », assure Denis Dolidon.

Un constat partagé par la Fédération médico-sociale (FMS), une organisation qui gère une quarantaine d’établissements dans les Vosges. Celle-ci a mis en place voilà trois ans un projet dénommé « Bonne jour nuit », visant à améliorer la situation des personnes présentes la nuit dans neuf de ses structures (Ehpad, foyers d’hébergement, maisons d’accueil spécialisées…). « Ce n’est pas une thématique qui ressort beaucoup dans le secteur. Ce sont des personnels auxquels on ne prête pas nécessairement attention », déplore la directrice du support innovation Céline George. Après un premier diagnostic et plusieurs immersions, la responsable du développement RH de l’époque avait instauré un plan d’action en plusieurs étapes. Là encore, le volet « communication » a été au cœur du dispositif. « Il était ressorti qu’il n’y avait pas de lien entre le jour et la nuit, raconte Céline George. L’idée a alors été de créer une communauté. Quand nous organisions des réunions sur ce projet, des surveillants de nuit étaient conviés mais aussi des cadres de la direction et des membres des équipes de jour, de manière justement à croiser et faire évoluer les regards. » Plusieurs intervenants extérieurs ont, en outre, été sollicités : un nutritionniste, un ergonome ou en encore un cabinet de coaching qui a accompagné l’ensemble des unités dans la mise en place de micro-siestes, d’ateliers de yoga et de sophrologie.

La FMS s’est par ailleurs penchée sur les parcours de ces professionnels. Résultat ? En coopération avec les équipes de direction, les fiches de poste ont été actualisées, des plans de formation ont été établis avec la possibilité, pour ceux qui le souhaitaient, de se convertir au travail de jour. Derrière toutes ces initiatives, l’objectif était d’accorder une réelle reconnaissance à ces métiers. « Ce sont des personnes importantes pour l’organisation. Elles sont seules la nuit. Elles ont la responsabilité du bâti, des personnes. Elles ont une mission fondamentale », conclut Céline George.

Quelles solutions de prévention ?

L’INRS a publié une série de recommandations pour prévenir les risques liés au travail de nuit. Selon l’institut, il s’agit d’abord d’optimiser « les horaires et les rythmes de travail ». Fixer l’heure du début de la prise de poste du matin au plus tôt à 6 heures, éviter les postes longs la nuit et instituer un temps d’échange formel lors de la relève, figurent parmi les conseils de l’INRS. L’organisme recommande aussi de choisir les modes de rotation les plus adaptés, en évitant tout particulièrement les rythmes au cours desquels trois équipes effectuent des roulements de huit heures consécutives avec un changement chaque semaine de tranche horaire, autrement dénommés les « 3x8 ». Ceux-ci soumettraient « le plus l’organisme à des états de désynchronisation répétés ». L’INRS suggère par ailleurs d’adapter le contenu et l’environnement de travail, mais aussi de sensibiliser les équipes, en programmant des actions d’information et de formation sur l’hygiène de vie et de sommeil ainsi que sur les modalités d’exposition à la lumière. Enfin, la micro-sieste, sieste d’une durée de 15 à 20 minutes, constituerait une mesure efficace et immédiate. Celle-ci permettant une augmentation des niveaux de vigilance pendant plusieurs heures. Pour ce faire, il demeure nécessaire d’aménager les locaux et d’organiser ces temps de pause en lien avec la hiérarchie et les collaborateurs pour s’assurer que les effectifs soient suffisants.

Notes

(1) Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la BASS – « Travailler la nuit dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif », 2011.

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