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Travail social : « Amener les étudiants à penser leurs pratiques »

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Le travail social ne constitue pas un secteur comme les autres. Alors que de plus en plus de personnes se trouvent en situation de vulnérabilité, selon la sociologue Nadia Veyrié, la formation doit dépasser le simple cadre de la technique et inciter davantage les étudiants et les professionnels à interroger leurs pratiques.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi faut-il « Penser la formation en travail social », comme l’indique le titre de votre livre ?

Nadia Veyrié : Il y a quelques années avec Catherine Tourrilhes, qui a codirigé le livre avec moi, nous avons publié deux numéros sur cette thématique dans la revue Sociographe. Je suis sociologue et elle docteure en sciences de l’éducation, mais nous sommes aussi deux formatrices. Nous avons donc voulu confronter nos points de vue au niveau pédagogique. La formation en travail social est méconnue alors même qu’elle est particulière et sa finalité demeure différente de l’enseignement universitaire. Souvent en trois ans, les étudiants en travail social, avec ou sans bac, obtiennent un diplôme et un emploi. Le grand public méconnaît les professionnels du secteur social et médico-social, et lors du premier confinement, on a pu se rendre compte à quel point ils sont indispensables. Malgré tout, on a tendance à les oublier. On va nécessairement rencontrer au moins une fois dans sa vie un soignant ou un médecin, pas nécessairement un travailleur social. De fait, on ne sait pas véritablement en quoi consiste son métier. L’idée, avec ce livre, est donc de pouvoir penser cette formation et d’en témoigner. Faire connaître comment des jeunes sont formés pour devenir éducateur spécialisé, conseiller d’insertion… Pour ce faire, nous avons recueilli les contributions de différents acteurs : chercheurs, formateurs, psychologues…

En quoi cette formation est-elle si singulière ?

Elle n’est pas traditionnelle dans la mesure où les travailleurs sociaux sont essentiellement dans la relation humaine et non derrière un bureau. Ce sont des formations assez éprouvantes car elles sont en résonance avec le quotidien des personnes accompagnées. Au cours de son cursus, l’étudiant apprend un métier mais, surtout, il se confronte à la précarité, à la grande pauvreté, à l’exil, aux violences conjugales, au handicap… Autant de situations difficiles nécessaires à appréhender. L’autre particularité de cet enseignement concerne la place majeure de l’alternance. Au-delà des connaissances théoriques, plus que tout autre, l’étudiant en travail social a besoin d’aller sur le terrain pour comprendre et connaître son futur métier. Il n’est pas évident de former des personnes qui vont se retrouver à prendre en charge des publics en situation d’extrême urgence, en grande difficulté, comme des enfants ou des adolescents en protection de l’enfance ou des migrants arrivant en France. Enfin, pédagogiquement, dans les instituts de formation, le travail en groupe est privilégié. En effet, sur le terrain, les missions s’effectuent très souvent en équipe. Or travailler à plusieurs nécessite un réel apprentissage, ce n’est pas naturel pour tout le monde.

Dans un secteur qui a de plus en plus de mal à recruter, doit-on repenser l’apprentissage ?

Je n’ai pas d’avis tranché. Il y a eu et il y aura toujours des adaptations en fonction de l’évolution de la société. On le voit notamment avec la multiplication de la VAE (validation des acquis de l’expérience) ou des formations courtes pour faciliter le recrutement. Sur le terrain, les choses évoluent pour rendre le secteur plus attractif. Certes, il y a de plus en plus de « faisant fonction », de professionnels qui se forment sur le tard, mais il reste souhaitable qu’ils soient diplômés. Les futurs travailleurs sociaux doivent s’inscrire dans un processus, un cadre et avoir le temps de comprendre ce qu’il se passe, théoriquement et pratiquement. Mais la principale évolution de ces dernières années n’est pas liée au diplôme ou à la formation en tant que tels. Il y a vingt ans, les travailleurs sociaux avaient la vocation, se voyaient exercer à vie. Actuellement, des jeunes se forment en sachant qu’ils travailleront peut-être dans un autre secteur par la suite. Il y a sûrement des aspects et des réalités à repenser de ce point de vue-là.

Qui sont les formateurs aujourd’hui ?

Si ce sont majoritairement d’anciens professionnels du secteur, depuis une dizaine d’années, et j’en suis l’exemple, on voit apparaître de plus en plus de psychologues et de sociologues dans les écoles. Un ancien professionnel va essayer de transmettre ce qu’il percevait quand il était sur le terrain, son ressenti des situations, enseigner la gestion des conflits, de l’émotion face à la misère sociale. Comme Marcel Jaeger, figure du travail social, le dit dans notre ouvrage, dans ce cas-là, le formateur fonctionne un peu comme un « chef de bande ». Pour les non-travailleurs sociaux, la transmission est différente. On ne peut pas enseigner une façon de pratiquer, de travailler, de se poser des questions propres au terrain. Nous livrons plutôt une ouverture sur le monde. La formation ne doit pas être basée sur la seule obtention d’un diplôme. Nous devons amener les étudiants à être des professionnels aptes à réfléchir à ce qu’ils font, à analyser leurs pratiques, à se remettre en cause. Mais je pense que l’un nourrit l’autre. L’expérience antérieure du travailleur social ne suffit pas, il doit apprendre à devenir pédagogue. De même, l’universitaire doit prendre conscience que les étudiants apprennent aussi, et surtout, du terrain.

La formation est-elle la même selon que l’on s’adresse à un jeune post-bac ou à une personne en reconversion ?

Effectivement, beaucoup de personnes deviennent professionnels du secteur après avoir déjà eu une carrière. Cette pluralité des horizons constitue une richesse. C’est à nous de nous adapter aux personnes que nous rencontrons. Reprendre des études à 45 ans, ce n’est pas la même chose que les entamer à 20 ans. Nous devons rapidement voir quels sont les enjeux pour les uns et pour les autres en fonction de leur parcours et de leurs choix.

Comment éviter que les travailleurs sociaux deviennent « des techniciens du social » ?

Le risque pour ces professionnels est d’être considérés comme des objets interchangeables et qui seraient uniquement dans l’exécution d’un travail pratico-pratique quantifiable. Mais leur profession relève de la relation humaine et ne peut pas se limiter à la seule dimension mécanique, à la performance. Ils doivent garder la possibilité de penser leurs pratiques. C’est pour cela que nous encourageons les étudiants à écrire. Les travailleurs sociaux témoignant de leur quotidien ne sont pas si nombreux. Comme d’autres, ils sont touchés par le turn-over, le burn-out, les émotions… Ils doivent pouvoir les exprimer.

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