Accompagnée de son père âgé de 89 ans, Marie-Luce entre dans le petit bureau de l’assistante socio-éducative Muriel Dubois, à l’hôpital de jour du service de gériatrie du CHU (centre hospitalier universitaire) de Rennes. C’est la quatrième ou la cinquième fois qu’ils se rencontrent. La mère de Marie-Luce souffre de la maladie d’Alzheimer, et leur médecin traitant les a orientés vers ce service de l’hôpital. Comme elle a décidé de garder sa mère à domicile, un suivi avec une assistante socio-éducative lui a été proposé. Or la maladie d’Alzheimer se révèle toujours une douloureuse épreuve pour les proches. « Au début, madame Dubois a vérifié qu’on n’était pas complètement fous de vouloir faire cela », explique Marie-Luce en souriant. La famille, qui ne rencontre pas de difficultés financières, recourt à des aides à domicile, ce qui facilite le rôle d’aidante de Marie-Luce. « On ne fait toujours pas d’inscription par précaution en Ehpad ? », lui demande l’intervenante. « Non, non », répond-elle de manière assurée.
La professionnelle le sait, chaque cas est différent. « Parfois, il faut décrypter ce dont les personnes ont besoin. Elles peuvent avoir les meilleures intentions du monde, penser pouvoir tout faire. Moi, je dois m’assurer qu’il y aura du répit pour l’aidant. » Muriel Dubois suit jusqu’à 400 patients par an. Tous ont entre 85 et 100 ans. Et certains souffrent non seulement de problèmes cognitifs, mais aussi de l’isolement. En concertation avec l’équipe médicale et soignante, l’assistante socio-éducative est chargée d’évaluer leur situation, de faciliter leur hospitalisation et leur retour à la maison ou en institution.
Bien que la crise sanitaire ait poussé les soignants sous le feu des projecteurs, force est de constater que les assistants des services sociaux hospitaliers restent encore dans l’ombre. Au CHU de Rennes, ils sont pourtant 30 à exercer ce métier. Leurs missions définies par les décrets du 26 mars 1993 et du 4 février 2014 consistent à conseiller, à orienter et à soutenir les patients et leurs familles, en les aidant notamment dans leurs démarches. Objectif : prévenir toutes les difficultés sociales ou médico-sociales et y remédier. Pour cela, ils travaillent non seulement en coordination avec les services de soins, mais aussi avec d’autres institutions extérieures.
L’un des grands principes guidant le service social est l’accueil inconditionnel. « D’abord on soigne, puis on voit comment on peut ouvrir des droits », affirme Cyrielle Boyer, assistante socio-éducative rattachée pour sa part au service de pédiatrie. A leur arrivée, certaines familles n’ont aucune couverture sociale. « Il faut éviter le renoncement aux soins. On peut, par exemple, aider à réaliser des devis pour des mutuelles », souligne-t-elle. Allocation journalière de présence parentale (AJPP), congé pour enfant malade, aide à domicile financée par la caisse d’allocations familiales (CAF), etc. Qu’ils soient défavorisés ou aisés, tous les foyers sont informés de leurs droits. Cependant, Cyrielle Boyer constate une augmentation du nombre de familles étrangères sans droits ouverts, sans logement et plongées dans une extrême précarité économique, psychique et administrative. « Cela ne représente pas la majorité des personnes rencontrées, mais ce sont des situations chronophages pour nous car la précarité les touche à tous les niveaux. » La prise en charge devient alors multidisciplinaire : ouverture des droits à la caisse d’assurance maladie, demandes d’hébergement ou du statut d’asile politique, contact avec des associations caritatives, scolarisation des enfants, etc.
Le rôle de Cyrielle Boyer au sein du service de pédiatrie relève avant tout d’un soutien à la parentalité. L’hospitalisation s’avérant souvent imprévue, elle peut être vécue comme un événement de grande ampleur. « Lorsque des parents découvrent que leur enfant souffre d’une maladie chronique, ils accusent le coup. L’hospitalisation bouleverse une organisation familiale parfois fragile. Tant de questions se posent. » Comment se libérer du travail ? Qui peut veiller sur l’enfant qui reste à la maison ? Cyrielle Boyer ajoute que l’hospitalisation peut également constituer un temps de répit pour la famille. Il arrive fréquemment que des enfants soient hospitalisés simplement pour des pleurs afin d’éviter des situations potentiellement maltraitantes. « Le rôle de l’assistante sociale est de rassurer le parent angoissé et épuisé dans son rôle. » Comme d’autres professionnels, elle a constaté durant le confinement, et sans la soupape de l’école, une nette augmentation des situations de protection de l’enfance et d’épuisement des parents. « Nous pouvons être amenés à rédiger des écrits, des informations préoccupantes qui sont ensuite transmises aux services du département », détaille celle qui travaille en partenariat avec la cellule d’accompagnement et de suivi de l’enfance en danger (Cased).
Anticiper les besoins
Diplômée depuis 2001, Hélène Fourré est, quant à elle, affectée au service de soins de suite et de réadaptation gériatrique de l’unité de soins de longue durée (USLD) de la Tauvrais, qui dépend du CHU. Là, pas moins de 60 lits sont à sa charge. « Il faut aller assez vite, il y a beaucoup de travail », explique-t-elle. En plus de l’accès aux droits, Hélène Fourré organise la sortie des patients. Etant donné leur âge avancé, certains retournent à leur domicile tandis que d’autres sont orientés vers l’institutionnalisation. L’assistante socio-éducative doit alors mettre en place des plans d’aide adaptés. « Les gens arrivent de plus en plus tard à l’hôpital tout en étant davantage dépendants. Dès qu’il y a un incident médical, la récupération est moins facile », souligne-t-elle. Toutes les semaines, elle effectue un point avec l’équipe du service : « Quand le médecin dit que la sortie est proche, on évalue ce que le patient est capable de faire. Puis on essaie d’ajuster les aides en fonction, toujours en lien avec sa famille. » Les patients âgés qui retournent chez eux ont souvent besoin d’un soutien à la toilette. S’il existe des services de soins et d’hygiène à domicile pris en charge par la sécurité sociale, les places sont malheureusement très rares. Il faut donc s’adresser à des services payants. Or, à raison de trois passages dans la journée à 21 € l’heure d’aide ménagère, le coût grimpe rapidement.
Au sein des services d’orthopédie-traumatologie et de chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire, Grégory Teulet s’occupe également du retour à domicile des patients. Il anticipe les difficultés auxquelles ces derniers pourraient être confrontés, une fois dehors. Le temps d’hospitalisation ne dépassant généralement pas quatre ou cinq jours, il ne peut s’entretenir avec eux qu’une ou deux fois au maximum. « Le médecin répare ce qui ne va pas. Moi, je cherche les ressources extérieures qui pourront aider la personne à sa sortie », remarque Grégory Teulet. Sécuriser les soins post-hospitalisation peut, par exemple, s’avérer compliqué pour une personne sans domicile fixe. Prenons le cas d’un patient dont la fracture s’est infectée : « Cela nécessite des soins lourds, en particulier des antibiotiques en intraveineuse. J’ai travaillé avec le service social d’un centre de rééducation fonctionnelle pour lui trouver une place en attendant qu’une autre se libère en LHSS [lits halte soins santé], où la prise en charge est plus légère. »
Pour ne pas être condamné à intervenir dans l’urgence, Grégory Teulet tente désormais d’anticiper les besoins avant l’hospitalisation, en rencontrant les infirmières de programmation. « Quand elles perçoivent de possibles complications pour une personne, elles me donnent son contact, indique-t-il. C’est plus cohérent de procéder ainsi car les séjours hospitaliers sont souvent programmés plusieurs mois à l’avance. » Avec le temps, l’assistant social a réussi à consolider sa place dans le service. « Quand je trouve que la sortie peut se révéler dangereuse pour la continuité des soins, j’envoie un mail aux chirurgiens et j’obtiens une réponse. Ils sont très réactifs et tiennent compte de mes évaluations. » A son arrivée, il avait pourtant été mis en garde : « Tu vas voir, on a l’image de ceux qui empêchent les sorties. » L’objectif affiché des assistants sociaux est, a minima, d’éviter les réhospitalisations rapides. Pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle, la direction du CHU de Rennes a parié sur le renforcement du service social. « En cinq ans, leur nombre est passé de 20 à 30, ce qui est plus en adéquation avec l’activité réelle de l’établissement, se félicite Stéphanie Jacq, cheffe du service. Nous avons réévalué les charges de travail car c’était ingérable. » Des temps d’information ont été mis en place à destination des soignants en chirurgie, « ce qui était impensable auparavant ». D’autres recrutements sont encore prévus.
Travail de relais
Voile blanc et lunettes, Fatima patiente, assise dans la salle d’attente du centre d’évaluation et de traitement de la douleur. A côté d’elle, une paire de béquilles. La Bretonne a du mal à se déplacer à cause d’une maladie invalidante. Eva Domalain, assistante socio-éducative, furète dans les couloirs à la recherche d’un bureau vide. « A l’hôpital, on est un peu sans domicile fixe », plaisante-t-elle. Après avoir toqué à quelques portes, elle finit par trouver son bonheur, et l’entretien peut commencer. Il y a quelques mois, elle avait déjà rencontré son interlocutrice pour l’épauler dans une demande de relogement prioritaire. La chambre et la salle de bains de Fatima sont actuellement à l’étage de sa maison, ce qui n’est pas compatible avec son état de santé. « Si je reste là, je pète un câble », lâche celle-ci. « Je n’ai pas d’autre moyen pour accélérer le dossier, lui répond Eva Domalain. Ils ont tellement de demandes. »
Fatima aimerait aussi que son assistante sociale lui rédige un courrier afin d’appuyer une demande d’aide financière. Elle doit 3 000 € à un site de services d’aide à domicile. En regardant la facture, Eva Domalain fronce les sourcils : « Il y a quelque chose qui ne va pas. Il ne devrait rien rester à votre charge. » Elle décide d’en avoir le cœur net en appelant la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Téléphone vissé à l’oreille, elle patiente. Plusieurs minutes. Le temps passe et, soudain, ça raccroche. Elle devra rappeler plus tard. « Je suis effrayée par le temps que passent les assistantes sociales au téléphone », déplore Stéphanie Jacq. Carsat, CAF, CPAM, MSA, etc. Tous les organismes partenaires ont modifié leur organisation. « Il existait autrefois des numéros directs et des lignes dédiées aux travailleurs sociaux. Désormais, on tombe sur des plateformes avec un numéro unique. Nous n’avons plus de lien direct avec eux. » Cette situation n’est pas sans conséquences. Pour Grégory Teulet, « le travail de relais visant à éviter la rupture du parcours de soins et d’accompagnement social est de plus en plus difficile à mettre en place. On se retrouve seul. » Eva Domalain rédige le courrier demandé par Fatima, puis la raccompagne. Sans doute la reverra-t-elle d’ici quelques semaines. Ce ne devrait pas être à elle de l’accompagner dans ses démarches. Mais comment refuser ? « Normalement, nous intervenons ponctuellement sur un temps très court, trois ou quatre jours dans la vie des gens. Mais, à défaut de référents extérieurs, on se retrouve à faire du suivi chronique », soupire l’assistante socio-éducative.