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« Les associations doivent penser l’organisation du travail »

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Simon Cottin-Marx

Chercheur associé au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts), Simon Cottin-Marx publie C'est pour la bonne cause ! Les désillusions du travail associatif (ed. de L'Atelier)

Crédit photo DR
Les associations peinent souvent à mettre en pratique avec leurs propres salariés les valeurs qui les animent. Dans son ouvrage C’est pour la bonne cause !, Simon Cottin-Marx, qui est passé par le monde associatif, décortique les paradoxes du secteur.

Actualités sociales hebdomadaires - Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Simon Cottin-Marx : Les travailleurs associatifs constatent un décalage entre les valeurs affichées, le métier tel qu’ils devraient le pratiquer et la réalité de ce qu’ils vivent. Mais c’est finalement le lot de presque tous les salariés de constater un écart entre le prescrit et le réel. La différence avec le monde associatif est qu’il s’agit d’organisations avec des valeurs, un projet social et souvent politique. Généralement, les salariés n’y viennent pas par hasard, ils se reconnaissent dans ces valeurs. Comme beaucoup d’entre eux, je me suis demandé pourquoi il existait un tel écart entre les valeurs de démocratie, de solidarité et de respect affichées par les entreprises associatives et la réalité du terrain. C’est ce qui a motivé l’écriture de ce livre, dans lequel je ne questionne pas les actions des structures à l’égard des usagers, mais bien les conditions de travail.

Comment expliquer ce « grand écart » entre les valeurs prônées et le quotidien des salariés ?

Les entreprises associatives sont soumises à deux grandes tensions. La première est liée à l’origine de leurs financements. Les pouvoirs publics, au sens général du terme (l’Etat, les régions, les départements et parfois les communes), ont tendance à appliquer une politique de valeur gestionnaire, autrement dit à dépenser le moins possible pour obtenir un maximum de résultats. Nous observons une mutation des relations entre associations et pouvoirs publics. Alors qu’avant le modèle était la subvention, nous avons évolué vers une certaine forme de contractualisation qui passe par le marché public. Auparavant, les associations proposaient un projet et étaient subventionnées pour le mettre en œuvre. Aujourd’hui, ce sont les collectivités ou l’Etat qui définissent les besoins et mettent en concurrence les associations pour appliquer les politiques publiques. Les structures sont face à des objectifs de rentabilité, elles doivent être plus efficaces avec parfois moins de financements. En plus de cette pression des pouvoirs publics sur les financements, j’ai repéré trois spécificités du monde associatif, qui constituent la seconde grande tension. Tout d’abord, les salariés travaillent « pour la cause », ils sont engagés dans leur travail. Ils vont être amenés à donner gratuitement de leur temps à l’entreprise associative et vont être payés, en partie, par un salaire symbolique. Ce point se vérifie toutefois pour certaines catégories de salariés mais pas pour toutes. Cela peut être vrai pour les cadres et employés, mais moins pour des personnes qui occupent des postes de secrétaires ou de comptables. Il ne faut pas oublier que l’on rejoint aussi le monde associatif par manque de choix, parce que l’on n’a pas trouvé d’autre emploi.

Et les deux autres caractéristiques ?

La deuxième spécificité est de travailler « avec » des bénévoles. Ce n’est pas neutre. Lorsque des bénévoles réalisent le même travail que les salariés, cela peut entraîner des problèmes de reconnaissance. Si le bénévole travaille gratuitement, pourquoi certains seraient-ils payés pour effectuer une tâche similaire ? Le pendant de cet aspect est que travailler avec des personnes extrêmement motivées peut aussi donner du souffle aux salariés. Enfin, le troisième élément, c’est qu’œuvrer dans le monde associatif, c’est travailler « pour » des bénévoles. Dans les structures « loi 1901 », ceux qui dirigent la structure sont des bénévoles : le président, le trésorier, le secrétaire… Ils occupent la fonction d’employeur. Et si celle-ci peut être déléguée à certains salariés, les transferts de responsabilités et la division des tâches ne sont pas toujours très clairs. Il existe une confusion autour de cette fonction. De plus, ces employeurs bénévoles ne sont pas nécessairement formés pour l’être, ni des professionnels du secteur. On peut devenir président d’une association du social et avoir auparavant exercé dans l’industrie. Leur expérience n’est pas toujours transposable. Des employeurs bénévoles portent aussi la fonction sans en avoir l’envie. S’ils sont là, ce n’est pas pour être « patron », mais avant tout pour mener à bien le projet associatif. Certains sont même dans le déni. Je pense à un syndicaliste à la tête du comité d’entreprise d’une importante structure qui demandait à ses salariés de l’appeler « camarade ». Il ne se voyait pas comme un patron, et lorsque ses salariés portaient des revendications au sujet des salaires ou des congés, la situation était compliquée à assumer pour lui.

Pourquoi le monde associatif ne se préoccupe-t-il pas assez du travail ?

Dans les mondes associatif et de l’économie sociale et solidaire, on s’intéresse beaucoup à la gouvernance, aux plaidoyers, mais la question du travail n’est pas investie. Encore une fois, les employeurs sont venus pour défendre le projet de l’association, non pour être employeurs. C’est quelque chose qui arrive en plus. Les questions du travail sont techniques, un peu ennuyeuses, très réglementées et complexes. Il faut maîtriser le code du travail, savoir réaliser des fiches de paie, gérer avec l’Urssaf, assurer le dialogue social… Occuper bénévolement ce poste prend du temps. Face à ces tâches, certains peuvent se décourager. Des salariés craignent parfois de trop en demander à leur employeur au risque qu'il se mette en retrait de l’association. Et puis le monde associatif est finalement assez récent. La professionnalisation s’est opérée progressivement et la question du travail est venue tardivement. Dans l’animation, par exemple, il y a eu des mouvements d’éducation populaire au début du XXe siècle pour encadrer les jeunes. L’Etat a commencé à construire des infrastructures pour s’occuper des baby-boomers après la Seconde Guerre mondiale, et c’est seulement à la fin des années 1980 que la convention collective de l’animation est née et que ce secteur a été reconnu comme professionnel.

Comment le secteur peut-il tenir ses engagements ?

Il n’y a pas de solution toute faite, pas de formule magique. Je dirais que la première chose est de penser l’organisation du travail. Il est important d’y consacrer des espaces de discussion avec les salariés, qui sont investis dans le projet de la structure. J’observe des initiatives intéressantes, comme celle de la convention collective nationale de la Confédération paysanne, dont je parle dans le livre. Cette convention prévoit la mise en place d’une commission paritaire composée de salariés et d’employeurs, lesquels réalisent plusieurs actions. Ils proposent des formations de manière commune aux employeurs et salariés afin de leur expliquer leurs droits et devoirs. Ils expliquent également comment peut être pensé et structuré le travail, car tout ne peut pas s’opérer de manière informelle. Ils interviennent enfin pour réaliser des médiations lorsqu’il y a des conflits du travail. Se syndiquer peut aussi aider les salariés à prendre conscience de leur place de travailleurs et les employeurs à s’approprier leur fonction, à bénéficier d’un soutien et à être formés.

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