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Handicap mental : l’art, un outil de valorisation sociale et environnementale

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L’art recyclerie La balme de sillingy (74) ASH

Claude, résident, Véronique Gentil, coresponsable, et Françoise Golliet, éducatrice spécialisée, repeignent des chaises.

Crédit photo Tim Douet
Près d’Annecy, en Haute-Savoie, une recyclerie vient d’ouvrir ses portes. Les résidents de foyers de vie y réalisent des œuvres d’art en partant de meubles et objets récupérés en déchetterie. Vendus ensuite à des particuliers, ces objets en seconde vie valorisent les personnes. Mais ils contribuent aussi à la protection de l’environnement en favorisant l’économie circulaire.

Pinceau en main, blouse sur les épaules, aidée d’un cache pour ne pas déborder, Isabelle, 60 ans, s’attaque à la deuxième couche de peinture d’une table de chevet. Puis, ceci fini, elle s’applique à recouvrir le dessus du meuble de mosaïque, façon marqueterie. Concentrée, parlant peu, elle réitère juste plusieurs fois sa question : « C’est joli ? » Une façon pour elle de bien valider le compliment qui vient de lui être formulé par Olivier Godeux, sculpteur et plasticien, cofondateur d’Esperluette, entreprise d’aide à la création artistique. Cette société intervient au sein d’établissements médico-sociaux. Pour donner des idées ou bien très directement aux côtés des personnes, comme aujourd’hui Olivier, qui guide Isabelle dans la réalisation de son geste artistique. Plusieurs fois, elle l’interroge aussi sur l’état de ses mains, et si le fait qu’elles soient sales importe ou non. Odeur de peinture dans les narines, une ponceuse gronde aussi dans la pièce voisine, non chauffée celle-là et qui jouxte la réserve. C’est là que Christophe officie sur une chaise qu’il s’agit de remettre à neuf. Le gros œuvre de la machine terminé, il fignole à la main, pour obtenir un résultat doux et précis, sous l’œil de Caroline Gentil, coordinatrice de cette recyclerie créative, qui lui indique : « Va bien dans le sens de la fibre… »

Comme chaque jeudi depuis le début de l’année, L’Art’ Recyclerie, que vient d’ouvrir l’Association des amis et parents d’enfants inadaptés (Aapei) Epanou, à La Balme-de-Sillingy (Haute-Savoie), ouvre ses portes pour des ateliers créatifs à des résidents des établissements voisins gérés par l’association. Ce matin-là, à ceux du foyer d’accueil médicalisé (FAM) Les Iris pour personnes handicapées vieillissantes. Elle occupe des locaux d’environ 150 mètres carrés jusque-là abandonnés, dans la rue principale au cœur de la ville, dont les portes demeurent grandes ouvertes à tous, sauf lorsque les contraintes sanitaires exigent de fermer les magasins. Le principe ? Récupérer des meubles de taille moyenne en déchetterie ou auprès de particuliers pour leur donner une seconde vie. Ils seront remodelés, presque parfois réinventés par des personnes handicapées mentales, toujours désignées par les animateurs par le qualificatif « artistes ».

Valoriser les capacités, protéger l’environnement

« Dans l’imaginaire collectif, même pour les parents, une orientation en foyer de vie représente un renoncement, constate Sarah Brun, responsable “qualité, gestion des risques et responsabilité sociétale des organisations” (RSO) à l’Aapei, en bonne partie à l’initiative du projet. L’enjeu est donc pour nous de valoriser les capacités et le rôle des personnes accueillies dans ce type d’institution. » « Nous ne sommes ni un Esat [établissement et service d’aide par le travail] ni une entreprise adaptée », confirme Eric Lepage, directeur du complexe accompagnement et soins de l’association, à la tête d’un foyer de vie et de deux foyers médicalisés, dont ceux des Iris et des Roseaux, premiers impliqués dans le projet. Il précise : « Notre logique est tout autre. Nous ne poursuivons pas d’objectif économique. Nous limitons même le nombre de groupes accueillis pour laisser le temps à Véronique Gentil de bien préparer les ateliers. Parce que nous avons d’abord la volonté de mettre en avant leur rôle social au travers de la réalisation d’objets d’art. » A côté de ce nouveau regard porté sur les personnes, davantage focalisé sur leurs facultés que sur leurs déficiences, L’Art’ Recyclerie compte aussi parmi les projets de l’Aapei Epanou visant à réduire son impact environnemental, au travers d’une démarche de RSO. Son directeur général, Raphaël Miconnet, explique : « Nous avons conçu notre projet associatif sur la base de la norme ISO 26000 relative à cette dimension de responsabilité. Cela nous permet de balayer des thèmes peu communs dans un projet associatif et de placer de plus en plus de sujets liés à l’environnement et à l’écologie au cœur de la gestion de nos établissements. L’Art’ Recyclerie se retrouve donc au carrefour de deux de nos préoccupations : la valorisation des personnes et la protection de l’environnement. »

Une double dimension largement soutenue par les trois professionnelles qui ont été à la manœuvre pour convaincre en interne du bien-fondé de cette mise en place et pour décrocher les financements propres et externes nécessaires. Toutes trois ont un lien avec le foyer de vie Les Roseaux : Sarah Brun et Véronique Gentil y ont travaillé avant d’occuper leurs fonctions actuelles, et Céline Lacroix y exerce au poste de directrice adjointe. L’histoire a d’abord commencé par la réalisation d’une exposition de peintures qui a révélé l’intérêt du public, celui-ci ayant acheté davantage de toiles qu’elles ne l’auraient imaginé. Un déclic, en somme. Il aura fallu deux ans entre la genèse de l’idée et l’ouverture des portes. Le temps, pour Sarah Brun, de réunir les 124 000 € nécessaires (50 000 € investis par l’Aapei et le reste décroché grâce à un appel à projet de l’Union européenne). Le temps, aussi, pour Véronique Gentil, auparavant éducatrice, de suivre à Bordeaux une formation sur les « art-recycleries ».

En dépit de leurs connaissances artistiques, elles ont aussi choisi de se faire aider par Esperluette, qui vient deux fois par mois apporter des conseils en matière de créativité ou de décoration. Et alors que peu de places étaient jusqu’alors offertes aux bénévoles au sein de l’association, quelques-uns ont fait leur entrée, qui pour transporter les objets, qui pour soutenir l’encadrement des personnes, qui pour offrir son expertise d’architecte d’intérieur.

Projet expérimental à pérenniser

Parmi les résidents du FAM Les Iris et du foyer de vie Les Roseaux, 17 sont déjà impliqués, pour certains très régulièrement, jusqu’à deux fois par semaine. D’autres établissements de l’association se montrent volontaires et L’Art’ Recyclerie pourrait même permettre de tisser des liens entre les secteurs « adultes » et « enfants ». Toutes ces personnes ont besoin d’un soutien, idéalement individuel, dans la réalisation de ces activités. Ici, Esther, pour veiller à ce qu’aucun trou ne soit oublié lorsqu’elle coud une pochette. Là, Claude, dans la fabrication de pochoirs. Plus loin, Perrine, pour que le coussin soit suffisamment garni. Leur pathologie les rend fatigables, peu endurants. Les activités s’enchaînent rapidement pour varier les plaisirs, et une pause-boisson s’impose au bout d’environ une heure de travail. Peu d’entre eux peuvent exprimer par le langage leur plaisir d’être là. Et même lorsque la parole est possible, comme dans le cas de l’énergique Fabrice, qui compte parmi les participants les plus réguliers et vit au foyer Les Roseaux, ce contentement se perçoit davantage par le ton employé et la joie qu’il traduit que par le fond des propos. Fabrice aime à parler de voitures, de sa famille, et veille, lors de la pause, à ce que tout le monde ait bien quelque chose à boire. D’autres vont témoigner des bienfaits de ce travail artistique en se montrant plus apaisés que de coutume ; d’autres encore, en souriant largement. Sophie, elle, par sa fierté lorsqu’un fauteuil dont elle avait réalisé tout le recouvrement a été vendu. « Ils voient un résultat presque immédiat de leur travail, c’est très gratifiant », commente Virginie, éducatrice spécialisée, à ses côtés ce jour-là.

Les sourires sont décuplés quand, comme ce soir-là, les clients viennent chercher des meubles qu’ils ont achetés et qu’ils peuvent dire aux résidents que le résultat de leur travail est apprécié. « On a à peine le temps de terminer les meubles qu’ils sont déjà vendus », s’amuse Véronique Gentil, qui semble malgré tout voir partir ces objets à regret, comme si chacun d’eux recelait une part de l’histoire de L’Art’ Recyclerie et de la vie des personnes qui y interviennent. Le couple d’acheteurs du jour, lui, semble ravi de sortir avec son « coup de cœur » dans les bras. « Nous sommes passés devant la vitrine un dimanche, en allant au marché, racontent-ils. Au départ, on pensait que c’était un atelier de réparation. Mais si, en plus, ça peut aider quelqu’un… Ce qu’ils font est beau, les gens sont sympas. On apprécie ! » Et aujourd’hui, ils peuvent directement remercier Fabrice, encore présent lors de leur passage. C’est lui qui a réalisé l’essentiel : « Félicitations, Fabrice, vraiment ! »

A les voir si contents, nul doute que le bouche-à-oreille produit des effets… Pour autant, il s’avère difficile pour l’équipe de L’Art’ Recyclerie d’établir les prix. Alors elle a choisi de fixer une contribution minimale propre à chaque objet et de laisser une part à l’appréciation du client. Ce qu’elle gagne, elle le conserve, pour l’achat des matériaux, les factures, le loyer. Pour l’heure, L’Art’ Recyclerie est un projet expérimental. « Mais nous devons l’installer dans le temps, soutient Raphaël Miconnet. La municipalité souhaite construire une recyclerie, y accueillir des structures d’insertion. Nous pourrions y trouver notre place. » Et quitter les locaux actuels, destinés à être détruits. En attendant, Céline, Véronique et Sarah, le trio de professionnelles, fourmillent de projets pour leur bébé. Accueillir en résidence des artistes d’une école des beaux-arts, ouvrir un café solidaire – puisque, affirme Sarah Brun, « cette recyclerie est aussi un lieu d’accueil et de “vivre ensemble” ».

En guise de confirmation, les passants s’arrêtent devant la vitrine, observent, interrogent. Comme cette femme bientôt retraitée devant une malle en toile de jute. Elle affirme regarder régulièrement en faisant ses courses – pour « piquer des idées de déco, que je pourrai réaliser quand je ne travaillerai plus ». Une reconnaissance de la valeur des objets, mais surtout des personnes, effectivement perçues comme des artistes.

Carte d’identité

Créée en 1955 en Haute-Savoie, l’Aapei Epanou encadre des services et établissements à destination des personnes handicapées mentales. Dispositifs d’accompagnement, lieux d’hébergement, Esat, la palette s’adresse tant aux adultes qu’aux enfants et adolescents. Actuellement, les 450 salariés suivent 700 personnes en situation de handicap. L’association est membre de l’Unapei.

Contact : 04 50 69 30 75 – contact@aapei-epanou.org .

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