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Financement : Serafin-PH modifie déjà les organisations

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Photo d'illustration.

Crédit photo FRANCK FIFE / AFP
Outil de réforme tarifaire expérimenté dès l’année prochaine, Serafin-PH a des conséquences pour les professionnels de terrain et les managers. Dans beaucoup de structures, l’offre de services est calibrée en fonction de sa redéfinition des besoins et des prestations. Et son appropriation, assez large, inquiète parfois, alors que de nombreux paramètres demeurent inconnus.

Un quart des cent professionnels de l’établissement public médico-social de Chancepoix (Seine-et-Marne) s’impliquent au sein de groupes de travail internes qui réfléchissent à la définition des contours de Serafin-PH et à leur traduction concrète. La nomenclature des besoins et des prestations, outil qui a été défini dans le cadre de cette réforme au long cours pour repenser les accompagnements, est déjà utilisée au sein de l’établissement : « Elle conduit nos pratiques à évoluer vers un décloisonnement de l’offre et une meilleure coordination avec les partenaires de notre territoire », explique Allison Cannizzaro, sa directrice, qui représente par ailleurs le Gepso (Groupe national des établissements et services publics sociaux) dans le groupe technique national Serafin-PH. Le secteur associatif s’empare lui aussi du dispositif. Au sein d’APF France handicap, c’est toute une région, le Grand Est, qui s’est employé à « traduire l’ensemble de l’offre de services en prestations », raconte son directeur général, Prosper Teboul, qui précise que deux autres régions, la Bretagne et l’Ile-de-France, devraient prochainement lui emboîter le pas. « Cela permet déjà de réaliser un travail qualitatif et de comprendre ce qui pourrait être entrepris pour améliorer les accompagnements », commente Alexis Roger, adjoint à la direction du pôle « offre sociale et médico-sociale » de Nexem. Empiriquement, il estime qu’une moitié de ses adhérents s’appuient déjà sur les besoins et prestations définies par Serafin-PH, dans le cadre de la redéfinition d’un projet d’établissement, du projet associatif ou de l’élaboration du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (Cpom).

En somme, lancé en 2014 et prévu pour aboutir en 2024, Serafin-PH produit déjà de premiers effets sur les organisations et pour les professionnels, alors même que demeurent de nombreuses incertitudes, voire quelques inquiétudes, sur ses contours définitifs. Rien d’étonnant à cela au vu de l’ampleur de la réforme qu’il porte, puisqu’il vise à modifier les modes de financement d’environ 11 250 établissements (lesquels rassemblent 488 200 places) et la structuration de leur offre. Un « big bang », résume Mickael Brandeau, directeur général adjoint de l’Adapei (Association des personnes en situation de handicap mental, de leurs parents et amis) d’Ille-et-Vilaine (voir page 34).

Rapide appropriation

L’objectif est triple, rappelle Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui pilote l’essentiel de la réforme. Il s’agit d’abord de rendre les financements plus équitables, et en particulier de réduire les importants écarts de subventions pour les places constatés d’un établissement à l’autre, en fonction par exemple du département financeur. Le deuxième but tient à rendre les allocations de ressources plus simples et plus lisibles afin, troisième attente, de soutenir la transformation de l’offre vers une plus grande inclusion, une moindre institutionnalisation des personnes accompagnées : « Le cœur de la réforme consiste à lier le financement des structures aux besoins des personnes et aux modalités d’accompagnement mises en place pour y répondre », synthétise Virginie Magnant. Sur ce point, la démarche suscite une approbation unanime.

De quoi susciter une appropriation rapide. La preuve ? Serafin-PH a produit quelques concrétisations. Surtout via le nouveau référentiel constitué par la nomenclature des besoins et des prestations (voir encadré) : « Des blocs de besoins ont été définis, liés à l’autonomie, aux soins somatiques et psychiques ou à la participation sociale », détaille Sébastien Honoré, secrétaire général adjoint d’Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’Esat), qui ajoute que, face aux besoins, des prestations sont aussi classées. « Cela permet de disposer d’un langage universel avec tous les établissements et aide à avoir une approche analytique », se félicite Dominique Lagrange, président de l’association des directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (ADMDPH).

Autre élément de l’équation Serafin-PH, le modèle de financement retenu à la fin de l’année par la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel sera hybride : un budget socle et une part variable au travers du droit personnalisé à prestation. Là encore, le caractère bicéphale du financement rassure tout le monde et répond aux attentes des acteurs. Pour autant, la répartition entre les deux modes de financement reste ignorée de tous et, au vu des multiples composantes du socle, il n’est pas certain que la simplification annoncée soit effective : une part liée à la qualité des prestations, une majoration pour réaliser les accompagnements les plus complexes, un complément pour restructurer l’offre…

En attendant l’étude d’impact

« On reçoit vraiment les documents, que l’on peut travailler avec nos adhérents. La concertation est réelle et on construit en transparence, y compris en faisant remonter les inquiétudes et les points de vigilance qui demeurent », indique Gwenaëlle Sébilo, conseillère technique autonomie à l’Uniopss, qui réunit des acteurs du secteur privé non lucratif.

Les principales craintes ont trait à la question de savoir si les financements s’avéreront suffisants pour répondre aux besoins réels, y compris des personnes les plus en difficulté, et pour éviter tout risque de sélection à l’entrée dans un dispositif. Des inquiétudes d’autant plus fortes que, pour l’instant, aucune étude d’impact ne peut être menée. Or la réforme risque de générer des gagnants et des perdants. Allison Cannizzaro attire l’attention sur les établissements les plus médicalisés et souligne que les enquêtes nationales réalisées sur les coûts l’ont été d’après des dispositifs existants, ne valorisant pas suffisamment les offres nouvelles déjà mises en place qui tendent à cet accompagnement individuel pourtant promu par Serafin-PH. A titre d’exemple, elle cite les équipes mobiles d’appui à la scolarisation ou les temps de coordination. Le mode de financement risque-t-il alors de se révéler obsolète dès sa mise en œuvre ? Un danger que n’écarte pas Alexis Roger, de Nexem. Virginie Magnant ne balaie pas les inquiétudes d’un revers de main : « C’est une réforme tarifaire qui porte, rien que pour le budget de la CNSA, sur 12 à 13 milliards d’euros. L’enjeu est considérable, et suscite des questions. »

Autre interrogation : les MDPH aimeraient avoir la certitude qu’elles réaliseront toujours les évaluations. Mais Dominique Lagrange, directeur de celle des Pyrénées-Atlantiques depuis sa création, prévient : elles auront pour cela besoin de moyens et sans doute d’une certaine stabilité, alors qu’elles sont actuellement prises dans un « rythme fou » : « Je dois repenser presque tous les ans mon organisation et les systèmes d’information », observe-t-il.

Car un autre enjeu, et pas uniquement pour les MDPH, tient à la façon dont Serafin-PH s’articulera avec les autres réformes en cours. Celles-ci ont tendance à s’empiler au gré des annonces politiques sans que les acteurs aient le temps de se les approprier, note Gwenaëlle Sébilo, qui parle de « distorsion » entre les deux rythmes d’annonce et de mise en place sur le terrain. Virginie Magnant se veut rassurante, soulignant que Serafin-PH est un outil tarifaire au service de l’accompagnement des personnes : « C’est tout ça, mais ce n’est que ça », sourit-elle. Le Gepso, qui entend veiller en particulier au raccordement de cette réforme avec les « communautés 360 », partage l’analyse et voit une complémentarité entre les deux chantiers menés : les communautés touchent à l’organisation des activités pour répondre aux besoins, et Serafin-PH établit leurs modalités de financement.

Des formations pour une acculturation

Ce principe posé, certains acteurs attirent l’attention sur des angles morts de la réforme. Les frais de siège sont un « impensé », pointe Prosper Teboul, alors même que les directions générales jouent, selon lui, un rôle considérable en période de restructuration ou de crise. Au-delà, il estime qu’il faudra accompagner le secteur, qui se retrouvera également confronté à d’énormes enjeux patrimoniaux. A elle seule, l’association APF France handicap dispose d’un million de mètres carrés. Or tous les baux ne sont pas rayables d’un trait de plume. Poussés à devenir plus autonomes, les salariés devront néanmoins être soutenus. En interne, par leurs managers de proximité, selon Alisson Cannizzaro, pour qui ces derniers représentent la « clé de voûte de la réussite de la transformation de l’offre ». Par des formations, aussi, puisque la transformation de l’offre verra leurs métiers évoluer, préviennent tant leurs représentants que ceux des employeurs, la CFDT ou Nexem.

Les formations, justement, apparaissent pour continuer l’acculturation à Serafin-PH. APF France handicap s’active à bâtir un webinaire à usage interne. De son côté, l’Uniopss a remporté l’appel d’offre de la CNSA pour construire deux modules de formation, l’appropriation théorique de la réforme et des ateliers pratiques. Ils seront adaptés aux différents publics (gestionnaires, institutionnels…) et accessibles normalement à la fin du premier semestre.

Le calendrier de cette réforme au long cours s’accélère. Cette année, il s’agit de calibrer l’expérimentation, prévue de grande ampleur en 2022. Peut-être même à l’échelle de territoires dans leur ensemble. « Elle sera complexe et demandera beaucoup d’engagement des équipes dans un contexte peu porteur, avertit Prosper Teboul. Le Covid et les effets du Ségur de la santé peuvent démobiliser les salariés. Or, sans eux, aucune transformation de l’offre ne sera réussie. »

 

Premiers pas

En octobre 2020, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a publié le « Guide de bonnes pratiques sur les usages qualitatifs des nomenclatures des besoins et des prestations Serafin-PH. Conçues pour soutenir la réforme tarifaire à venir, ces nomenclatures ont une portée plus large de transformation de l’offre de services. Le guide est à télécharger ici .

Adapei 35
Partir des pratiques du quotidien

C’est une obligation. Les structures de l’Adapei d’Ille-et-Vilaine qui ont mis en place le dossier informatique de leurs usagers, à leur disposition depuis quatre ans, doivent utiliser les grilles d’analyse des besoins et des prestations définies par Serafin-PH. « Nos éducateurs n’ont pas encore reçu de formation sur les tenants et aboutissants de cette réforme, mais nous veillons à ce qu’ils se l’approprient en partant des pratiques de leur quotidien », décrypte Mickael Brandeau, directeur général adjoint, chargé des activités et des projets. Difficile, pour lui, de savoir comment les 1 300 salariés de l’association perçoivent cette réforme. Mais il note que la tarification à l’activité (T2A) mise en place pour le financement des soins freine les ardeurs et effraie. En matière de handicap, personne ne veut d’une tarification à l’acte. Autre difficulté rencontrée, ce qu’il appelle des « trous dans la raquette » : si une dizaine d’actions ont été recensées pour le soin, une seule l’est pour l’insertion professionnelle.

Malgré tout, il travaille à affiner les contours de Serafin-PH. En interne, d’une part, au travers du groupe de travail de l’Unapei qui réunit une dizaine de personnes : contrôleur de gestion, directeurs généraux, directeurs administratifs et financiers… et autres parties prenantes de la réforme. Sur le plan national, d’autre part, fort du constat que le système actuel de financement arrive au terme de son existence, qu’il n’est pas équitable, en particulier faute d’objectivation des coûts à la place. « Quand on touche aux financements, on touche à tout, prévient-il. A la qualité, à l’accompagnement, aux partenariats. » Un « big bang » qui implique à ses yeux que l’on prenne son temps. Malgré l’implication précoce de l’Adapei 35 dans le dispositif, Mickael Brandeau estime que les délais sont ambitieux, et s’inquiète en particulier pour les membres qui n’ont pas encore mis en place le dossier informatique de l’usager. Afin de sensibiliser l’ensemble des associations, il prévoit l’organisation d’un webinaire en mars.

Le plus important casse-tête sur le plan national, selon lui ? Trouver un modèle de financement simple pour des organisations complexes. L’expérimentation qui se dessine pour 2021-2022 devrait commencer à apporter des éléments de réponse, à condition, pointe-t-il, de se donner le temps d’en tirer les fruits.

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